Il s’agirait pour Québec solidaire de demeurer dans le cadre d’une politique concrète : soit “lutter pour des changements immédiats, réalisables dans le cadre de l’État et du système capitaliste actuel, tout en ancrant ces luttes immédiates dans une perspective à long terme. Québec solidaire devrait donc éviter de se radicaliser de manière exacerbée, ce qui aboutirait à le dévoyer de ses potentialités et à l’isoler.
En fait, la question du maintien de l’unité de Québec solidaire à travers le grand passage des congrès d’orientation qui doit s’étendre sur des années est une question importante, mais la résolution de cette question va passer par la rigueur dans les débats, par la volonté d’en bannir tout esprit fractionnel et par l’acceptation de la compréhension que des courants politiques plus définis vont apparaître au-delà des collectifs reconnus et qu’il sera nécessaire de pouvoir baliser le vivre ensemble dans un contexte où la diversité politique va être plus marquée et plus complexe à gérer.
Identifier la grande notoriété d’Amir Khadir issue de son travail politique parlementaire exemplaire et son habileté à s’appuyer sur ce dernier pour intervenir dans les grands enjeux sociaux aux “succès réalisés par QS pour prendre place sur la scène politique”, c’est passer à côté de la question essentielle pour qui connaît la vie de QS de l’intérieur, celle d’un parti en développement devant faire face à plusieurs défis à toute une série de niveaux dont l’implantation électorale n’est qu’un parmi d’autres. (Voir l’entrevue d’Amir Khadir sur le site Presse-toi à gauche !)
Pourquoi un parti politique s’interrogent nos auteurs ?
“Mettre en place un parti politique de gauche fait sens, si une insertion dans le champ politique fonctionne”. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Aujourd’hui, Québec solidaire doit élaborer un programme de transformation écologique et sociale, organiser des militantes et des militants pour gagner des élections sous un mode de scrutin défavorable, faire l’éducation politique de la population et appuyer les orientations qui sont porteuses d’une véritable volonté de résistance aux attaques patronales et gouvernementales dans les différents mouvements sociaux. Un parti politique de gauche vise à s’insérer dans le champ politique pour le transformer. Et que veut dire l’expression que l’on ne doit pas “dupliquer ce que les mouvements sociaux font”. En fait, un parti de gauche doit lutter pour l’indépendance politique des mouvements sociaux, pour des stratégies de mobilisation populaire autonome... C’est ce que certains avaient défini dans l’UFP comme étant les tâches du parti de la rue. Lutter pour des changements immédiats, réalisables dans le cadre de l’État et du système capitaliste actuel, voilà le réalisme auquel nous invitent nos auteurs. C’est une affirmation bien facile et non démontrée sur l’existence d’une marge de manœuvre, dont on ne dit pas l’ampleur, pour un réalisme qui a, partout dans le monde démontré son échec. Cet appel au réalisme est-il une invitation à faire face aux problèmes écologiques, dans le cadre d’une lutte pour un capitalisme vert ? Est-il une invitation à faire de la gérance provincialiste la démonstration des capacités de Québec solidaire à mieux administrer le Québec et de le mettre ainsi à l’abri du vent de droite qui souffle sur le monde ?
Comment ancrer les luttes immédiates dans une perspective à long terme, si on ne présente pas dans les luttes les plus immédiates la nécessité d’une rupture avec les projets actuels de l’offensive capitaliste contre les acquis populaires ? Un grand parti populaire se construira dans la seule mesure, ou un grand mouvement populaire réussit à nous sortir de la défensive mal assumée qui est la caractéristique de la situation actuelle des classes ouvrières et populaires. Un parti politique de gauche doit être partie prenante des débats et des initiatives militantes qui permettront de dégager des stratégies et des tactiques pour faire des pas dans cette direction.
Constituer un pôle
Nos auteurs se paient de mots lorsqu’ils présentent l’actuelle mode de construction de QS comme celle d’une fédération de réseaux qui réalisent une synthèse de leur prise de parole publique... C’est bien comme cela que Québec solidaire devrait concevoir sa construction, mais il suffit de voir le plan d’action du dernier conseil national misant d’abord et avant tout sur une stratégie électorale comme mode de construction, pour voir que la fédération de réseaux pour être aux rendez-vous impliquerait l’organisation des militantes et militants de QS dans les mouvements sociaux et l’établissement de tâches précises de construction du parti dans ces différents mouvements.
Les auteurs nous invitent à apprendre à composer avec d’autres courants. Oui, mais de quoi nous parle-t-on au juste ? En ce qui concerne de la politique d’alliance, il ne faut pas seulement savoir faire de l’arithmétique, mais aussi de l’algèbre et comprendre qu’il est des alliances qui affaiblissent, paralysent et qui nuisent à la construction et à l’autonomie.
Pour de vrais bilans
Le PQ a du composer parfois avec sa base électorale, mais il n’a pas hésité à la confronter et sur les débats essentiels : privatisation de l’école publique, libre-échange, fiscalité compétitive. Le PQ a été partie prenante du virage à droite des élites québécoises. Aujourd’hui, il poursuit sur cette lancée, car il vise, et le texte le dit bien, à récupérer la base adéquiste. Si on est pas clair sur le fait qu’il faut arracher à ce parti la direction de la lutte nationale qu’il mène à l’impasse, qu’un des défis de Québec solidaire est de démontrer que le PQ reprend et plie à sa manière les politiques néolibérales, si on laisse supposer qu’on peut et doit chercher des alliances avec un tel parti, on mine les bases de la construction de Québec solidaire, de son autonomie et de sa nécessité. Il faut remplacer l’alliance interclassiste sous la direction des élites petites-bourgoises mise en place par le PQ par une alliance de classe d’un parti qui vise à organiser les classes ouvrière et populaires comme la force hégémonique de la lutte nationale, féministe et écologique pour la défense d’une société nouvelle.
L’opportunité de conditions qu’il faut bien identifier.
Le PQ connaît une montée électorale. Dans la population francophone, il est de 15 à 20% d’avance sur le PLQ. Québec solidaire a encore 8% des intentions de vote. Sa situation financière est difficile. La stratégie de construction du parti laisse en friche ou à des initiatives dispersées l’enracinement dans les mouvements sociaux. Il ne semble pas que ce soit une voie royale pour la construction de QS comme on le croit trop facilement.
La perspective écosocialiste et féministe est essentielle...
Il est vrai qu’il faudra du temps... pour fonder, à une échelle de masse une perspective écosocialiste, mais on s’engagera sur cette voie en démontrant le plus concrètement possible qu’elle est maintenant une perspective essentielle, qu’elle ne doit pas rester une perspective du surlendemain. Si on doit défendre cette perspective dans QS, comme parti processus, on ne défendra pas une telle perspective en faisant croire qu’il est possible d’améliorer notre environnement dans un cadre capitaliste comme le suggérait plus tôt les auteurs. Il ne s’agit pas de chercher à radicaliser de manière exacerbée QS. Et qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire concrètement au niveau des propositions qu’il faut avancer ? En posant les questions du contrôle démocratique de l’économie, des conditions essentielles à un monde qui respecte notre écologie et de l’humanisation du travail, le Cahier de l’enjeu2 intitulé Pour ne société solidaire et écologique ne pose-t-il pas les questions essentielles ? ¨Pour nous, ce sont des questions légitimes qui nous invitent à une logique de rupture qui n’a rien à voir avec une radicalisation exacerbée. Voilà des positions qu’il faut discuter si on ne veut pas se contenter d’une posture... prudente et d’un modérantisme réfléchi.
Québec Solidaire se doit d’être un Parti des urnes, mais également de la rue.
Le fait est qu’il faut chercher à attirer à Québec Solidaire des couches militantes plus larges, dans le mouvement populaire, féministe et syndical. Mais est-ce en faisant des compromis programmatiques que nous y arriverons ? Et à quel niveau, sur quel aspect ? Les auteurs n’en font aucune mention. Ils argumentent qu’il y a peu d’enracinement des idées et des pratiques socialistes au sein du peuple. Cela ne tient pas la route. L’Histoire est pleine d’exemples qui nous enseignent que le mouvement ouvrier apprend de la lutte, et c’est au travers de ce processus en s’appropriant le programme politique du Parti qui défend clairement ses intérêts de classe qu’il peut réussir à vaincre.
Bien au contraire, toutes les fois où les Partis se réclamant de la gauche n’ont pas indiqué clairement où se situaient les intérêts de classe du mouvement ouvrier, où le programme confondait lutte populaire et lutte de classe, où les intérêts des classes dirigeantes n’étaient pas identifiés, à chacune de ces occasions le mouvement ouvrier a connu un lamentable échec.
Et c’est bien ici que les auteurs font une erreur fondamentale, en tentant de réinventer la roue, en faisant fi des leçons de l’histoire.
Qu’a-t-on retenu de l’Unité populaire au Chili ? Du Front populaire en France ? Dans aucun cas la défaite du mouvement ouvrier n’a été due à un radicalisme exacerbé, et certainement pas au manque d’alliances larges, mais bien à la confusion programmatique qui lui a enlevé tous ses moyens et qui a permis à la bourgeoisie de survivre et de renverser la vapeur.
Au Québec, le mouvement ouvrier, malgré un niveau de combativité parmi les plus élevé en Amérique du Nord, a connu nombre de défaites dans les dernières décennies. Mentionnons simplement le déficit zéro du gouvernement Bouchard en 1996 qui a entraîné un recul majeur des soins de santé et le décret imposé par Charest en 2005 au secteur public accompagné d’une série de lois antiouvrières. Ces défaites ne sont pas le fait d’un manque de combativité, mais bien de la carence du facteur subjectif, soit la clarté des enjeux, particulièrement en ce qui concerne le déficit zéro, et l’absence de direction politique capable d’unifier le mouvement.
Ces défaites ne seront pas sans conséquence à long terme sur le niveau de combativité des troupes. Le mouvement ouvrier et populaire a besoin de victoires et c’est à travers ces victoires qu’il pourra augmenter son rapport de force et s’approprier une perspective politique anti-capitaliste. Pour vaincre, il faut aussi savoir tirer des leçons de l’Histoire.
André Frappier et Bernard Rioux