La situation politique bascule. En cette rentrée tous les ingrédients d’une crise majeure s’accumule. Peut-être pour la première fois depuis 2007, le pouvoir est fragilisé et en situation de reculer. Car différents éléments de crise s’accumulent qui viennent renforcer le camp de la mobilisation et mettre en difficulté le camp réactionnaire. La crise économique n’est pas finie, les nouvelles arrivant du premier marché mondial, les USA, foyer initiateur de la crise, vont toutes dans le même sens : celui d’un ralentissement économique, marqué par les faillites, les saisies immobilières, la faiblesse de la consommation. Une nouvelle étape de la crise s’annonce qui n’exclut pas une retombée dans la récession. Là-bas, comme en Europe, la facture de la crise est payée par les travailleurs, la majorité de la population : les revenus populaires reculent, les droits sociaux sont encore plus entamés, le chômage explose. La France n’échappe pas à la règle. D’ailleurs les coupes claires opérées dans les services publics dont l’Éducation nationale, les économies à la hache taillées dans le régime des retraites provoquent une situation de détresse sociale.
C’est bien sur les retraites que se joue un affrontement majeur. Déterminant pour les rapports de forces à venir. Parce que cette question concerne l’ensemble des salariés, les jeunes, et représente un enjeu de société sur une question décisive : la répartition des richesses. La droite ne s’y est pas trompée faisant de la réforme Woerth la question clé de la crédibilité en direction des marchés financiers. Le patronat, lui, voit déjà plus loin s’attaquant au « marché » de la santé en clair au système collectif de remboursement des soins : l’assurance maladie. On nous avait annoncé un dossier social bouclé d’avance, rendu consensuel par un matraquage médiatique sur l’incontournable fardeau démographique, et voilà que des mobilisations réussies au printemps modifient la donne, bouscule les plans gouvernementaux dont la brutalité même fait que, c’est l’ensemble des directions syndicales qui appellent à l’heure où nous écrivons à manifester et à faire grève.
C’est bien la capacité à construire un mouvement prolongé, à généraliser la protestation sociale, la grève et les manifestations qui feront plier le gouvernement. De ce point de vue, les initiatives prises autour de l’appel Copernic Attac ont joué un rôle très positif d’information, de mobilisation, de création de cadres unitaires, de regroupement d’équipes prêtes à l’épreuve de force. La multiplication de meetings unitaires en cette rentrée est un signe encourageant de la mobilisation. C’est pourquoi nous sommes de toutes les initiatives donnant de la force au mouvement.
Le ministre Woerth porte non seulement la réforme des retraites mais aussi toutes les contradictions du gouvernement. C’est l’homme de l’affaire Bettencourt, l’homme du bouclier fiscal, le banquier de l’UMP et de la campagne de Sarkozy de 2007 ; bref un homme-clé dans les relations si particulières entretenues par l’équipe au pouvoir avec les principales fortunes de ce pays. C’est ce qu’éclaire, grâce au travail de départ de l’équipe de Mediapart, l’éclatement de l’affaire Woerth-Bettencourt. Le fait même qu’un tel personnage soit également celui qui est utilisé pour expliquer à la population qu’il faut se serrer la ceinture est en soi une provocation, un signe éclatant de l’arrogance de ce pouvoir. La démission du ministre ne réglera pas tout mais elle est une mesure de salubrité publique. C’est pourquoi nous soutiendrons celles et ceux qui se battent pour que la lumière soit faite, que l’affaire ne soit pas enterrée par une justice aux ordres. D’autant que du côté de l’Élysée, on répond à la crise par un nouveau pas vers l’extrême, vers le retour de discours racistes qui rappellent les années 1930. Les expulsions de Roms selon une logique de culpabilité collective, la déchéance de nationalité, les nouveaux délires sécuritaires et anti-immigrés ouvrent la voie d’une alliance avec le Front national comme Berlusconi l’a installée en Italie. Là encore, c’est la révolte qui doit l’emporter.
Beaucoup à gauche, sondages en mains, crient victoire pour 2012. Et les appétits présidentiels de s’organiser. Nous ne partageons pas cette vision des choses. Une épreuve de force peut se gagner ou se perdre. les rapports de forces pour 2012 se jouent maintenant. Une condition de la victoire, c’est la capacité de construire sur les trois fronts de rentrée des mobilisations populaires appuyées par une gauche sociale et politique unie et de combat.
PIERRE-FRANÇOIS GROND
* Paru dans la Revue TEAN 13 (septembre 2010).
LE GANG DU FOUQUET’S
Chaque jour qui passe confirme l’illégitimité de ce gouvernement de voleurs, de menteurs et de crapules.
Le 15 septembre, l’Assemblée nationale a été le théâtre d’une de ces mascarades qu’affectionne la classe politique. Prenant quelques libertés avec le règlement, le président de cette assemblée, Bernard Accoyer, a mis fin aux manœuvres procédurières de l’opposition pour forcer le vote sur le projet gouvernemental relatif aux retraites. On peut, certes, s’indigner de l’arrogance d’un pouvoir qui n’hésite pas à fouler aux pieds les règles qu’il a lui-même instauré. Mais, franchement, ce serait passer à côté de l’essentiel ! Car enfin, qui sont donc ceux qui, sans état d’âme, ont voté le recul de l’âge de la retraite, une mesure qui va frapper tous les salariés mais, en priorité, les plus exploités d’entre eux (ceux qui ont commencé à travailler jeune ou encore les femmes aux carrières discontinues) ? Et bien, tout simplement, une toute petite minorité de privilégiés qui, pour leurs propres retraites, bénéficient d’un « régime spécial » proprement hallucinant où les annuités comptent double ! Régime qu’ils n’ont évidemment pas l’intention de « réformer »… Mais l’exemple vient de haut : cette démonstration éclatante du cynisme sans borne des parlementaires de la majorité est parfaitement au diapason des pratiques de Nicolas Sarkozy et de son gouvernement.
En effet, c’est d’abord cela que nous apprennent les rebondissements sans fin des scandales politico-financiers : les responsables UMP, à commencer par Sarkozy et Woerth, fréquentent assidûment les très riches. Ils nagent littéralement dans les privilèges et le fric. Mais cela ne les empêche pas, bien au contraire, de rappeler régulièrement au bon peuple que « la France vit au-dessus de ses moyens » !
Ce que révèle l’affaire Woerth Bettencourt
À l’évidence, il y a de nombreuses facettes dans « l’affaire Woerth Bettencourt », toutes révélatrices du degré de décomposition morale du régime actuel. Elles vont du grotesque au sordide, de la généreuse distribution de Légions d’honneur pour services rendus à la création de « micro-partis » pour contourner la législation sur le financement des formations politiques, de la transmission d’enveloppes d’argent liquide aux embauches de complaisance, de la vente douteuse de domaines publics à l’utilisation des services secrets pour… démasquer les sources d’un journaliste ! Mais le cœur de l’affaire, c’est la mise en place d’un système fondé sur « l’échange de bons procédés » entre responsables politiques et milliardaires, dont le fameux « Cercle » des plus gros donateurs de l’UMP est la matérialisation. Pendant des années, Éric Woerth a été ministre des Finances et trésorier de l’UMP ? Indissociablement ! Cela signifie qu’il sollicitait, pour financer les activités de l’UMP, les activités de Sarkozy et les siennes propres, de très gros contribuables qui avaient ainsi tout à gagner, collectivement et individuellement, à « investir » sur de tels personnages. Les lieux choisis pour opérer ces levées de fonds se passent d’ailleurs de tout commentaire : Londres, capitale des expatriés de luxe et des traders, et la Suisse, pays d’adoption de tous les spécialistes de l’évasion fiscale. Comment s’étonner ensuite que, d’exonérations de charges patronales en bouclier fiscal, ceux qui nous gouvernent opèrent en anti-Robin des bois : ils volent les pauvres et les gens modestes pour donner aux riches ! Ainsi, par la grâce du bouclier fiscal, Liliane Bettencourt s’est vue rembourser une centaine de millions d’euros en quatre ans. Et ça continue : en 2009, les 1 169 contribuables les plus riches ont bénéficié chacun d’un chèque confortable, à hauteur de 360 000 euros en moyenne…
Dès que nos gouvernants sont pris la main dans le sac – ce qui arrive de plus en plus souvent par les temps qui courent… – ils n’hésitent pas à mentir effrontément. La seule parade qu’ils ont trouvée : jouer sur les peurs et flatter les sentiments les plus abjects, à commencer par le racisme. Quitte à obliger la Commission européenne et les autres gouvernements européens – qui sont pourtant loin d’être des modèles de vertu – à se démarquer…
Décidément, il n’est que temps d’empêcher de nuire ce gouvernement illégitime.
François Coustal
* Paru dans Hebdo TEAN 70 (23/09/10).
LA DROITE EN CRISE
Woerth disqualifié, Sarkozy et Fillon au plus bas dans les sondages, la politique sécuritaire du gouvernement critiquée dans ses propres rangs, la fragilité du pouvoir et les dissensions à droite, reflet de l’impopularité de leur politique, sont un atout pour le combat qui s’engage.
« Droit dans ses bottes... pour l’instant », c’est Sarkozy à la veille du 7 septembre, selon le journal patronal La Tribune. Selon un sondage récent, 60 % des personnes interrogées ne voulaient plus d’Éric Woerth et 70 % soutenaient la journée d’action du 7 septembre. Mais Sarkozy refusait d’envisager la moindre concession autre qu’à la marge sur la réforme des retraites et il a maintenu Woerth à son poste.
Sarkozy refusant de lâcher Woerth. Voire... Le 9 septembre, c’est François Fillon qui devait répondre aux questions d’Arlette Chabot avant de rejoindre Woerth dans une table ronde avec des syndicalistes. Le Premier ministre pourrait bien ainsi reprendre la main sur la conduite de la réforme... À moins que ce ne soit Xavier Bertrand, libéré de la présidence de l’UMP, ou Raymond Soubie, le conseiller de Sarkozy en affaires sociales. Toutes ces « solutions », encore à l’état d’hypothèses au moment du 7, montrent l’embarras du pouvoir, empêtré dans l’affaire Bettencourt. Avec seulement 32 % d’opinions favorables, Sarkozy a atteint le plus bas de sa cote de popularité depuis juin 2007. Difficile de savoir ce qu’il va faire et ce que sera le remaniement ministériel qu’il a annoncé avant l’été pour cet automne. Il ne le sait peut-être pas lui-même.
Avant que l’affaire Woerth ne débouche sur une crise politique qui encourage le mouvement social, le plan de Sarkozy était relativement simple. Se positionner en vue de 2012 le plus à droite possible, en chassant sur les terres du Front national. Le 14 juillet, 35 députés, aujourd’hui 37, créaient la « droite populaire », sous le drapeau qu’ils reprochaient à Sarkozy d’avoir abandonné, « Nation, Patrie, République et Travail ». Un des chefs de file de ce nouveau courant, Thierry Mariani, qui s’est déjà signalé en proposant les « tests ADN », sera le rapporteur de la loi sur l’immigration dont font partie les mesures de déchéance de la nationalité.
Ces députés se félicitent aujourd’hui de l’offensive sécuritaire que Sarkozy a lancée à Grenoble le 30 juillet. En même temps, Jean-Louis Borloo était encouragé à envisager une candidature de premier tour à la présidentielle, susceptible de ratisser au centre. L’annonce d’un remaniement ministériel, pour l’automne, à peu près en même temps que la remise en jeu de la présidence de l’UMP, en novembre, promettait d’ouvrir le bal des ambitions, des rivalités, des ralliements.
Lequel n’a pas manqué de se produire. Mais dans des conditions sans doute un peu différentes de celles espérées par Sarkozy. Car l’offensive sécuritaire et xénophobe menée par son ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux, loin de faire recette, a commencé à susciter un large mouvement d’opinion pour les droits démocratiques dont les manifestations du 4 septembre ne sont, il faut l’espérer, que le début. Et l’affaire Woerth, loin d’être enterrée pendant l’été, a ressurgi encore plus fortement à la rentrée, cristallisant toutes les raisons de fond de l’impopularité du gouvernement, sa politique en faveur exclusivement des plus riches.
Mais au-delà des rivalités et des dissensions qui se manifestent à droite, il y a accord de fond sur la politique du gouvernement. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si les critiques de la politique sécuritaire de Sarkozy restent toujours sur le terrain bien pensant de la « République » et de la « France ». Tous sont d’accord pour faire payer la crise aux travailleurs.
Et c’est bien l’ensemble de cette politique que le mouvement devra contester pour gagner. Loin du dialogue social et des perspectives de négociations illusoires, en définissant au contraire ses propres objectifs, imposer les revendications qui répondent aux besoins des travailleurs et de la population. Et pour commencer, le retrait pur et simple de la réforme des retraites.
Galia Trépère
* Paru dans Hebdo TEAN 68 (09/09/10).
WOERTH : METTRE LA CRISE À PROFIT...
Alors que les exactions racistes de Sarkozy menacent de se retourner en boomerang contre lui, les révélations du scandale Woerth sur les liens étroits entre les grandes fortunes et l’État continuent. Autant d’éléments qui fragilisent le pouvoir à la veille de l’affrontement de cette rentrée.
Fillon a beau s’estimer « très confiant » en affirmant que « depuis deux mois que cette affaire dure, personne n’a réussi à établir la moindre faute pénale à l’encontre d’Éric Woerth », la saisine éventuelle de la Cour de justice de la République (CJR) sur demande du procureur Nadal sollicité par Corine Lepage, vient relancer l’affaire, pour l’instant encore entre les mains du procureur Philippe Courroye, de l’avis de beaucoup, plutôt complaisant.
« Je subis depuis deux-trois mois une sorte de lapidation médiatique assez impressionnante », a déclaré Woerth, lundi 30 août au Parisien. Il ose encore se poser en victime après l’enchaînement de révélations sur ses agissements en tant que ministre du Budget et trésorier du RPR. Outre l’affaire Bettencourt, la presse a fait état de la vente à un prix bradé de l’hippodrome de Compiègne, d’un dîner en tête-à-tête avec l’héritier Robert Peugeot, soucieux apparemment d’éloigner une enquête sur l’origine des 150 000 – voire 500 000 – euros sous forme de lingots d’or qui venaient de lui être volés. Ce même Robert Peugeot à qui Woerth a décerné une légion d’honneur en juin dernier. Une de plus, après celle accordée à De Maistre, le gestionnaire de la fortune Bettencourt en 2008, et à l’expert-comptable chargé de certifier les comptes de sa campagne municipale à Chantilly. Pour financer celle-ci, a-t-on appris aussi par Mediapart, Woerth n’aurait déclaré qu’un salaire de 3 000 euros et un revenu disponible dérisoire pour obtenir un prêt de 6 500 euros. De quoi donner la mesure du personnage, mais on sait bien aussi que pour les milliardaires et le petit monde qui les fréquente, il n’y a pas de petits profits.
Petits arrangements
Mais l’affaire Bettencourt, c’est aussi le scandale de ces grosses fortunes auxquelles l’État et ses représentants, comme Woerth et bien d’autres, permettent de ne payer qu’un impôt infime, au moment où Sarkozy et ses ministres prêchent la rigueur au bon peuple. Ainsi, Bettencourt n’est imposée qu’à 9 % de ses revenus, pas plus qu’un cadre moyen. Elle a payé 40 millions d’euros d’impôts après restitution par le fisc de 30 millions au titre du bouclier fiscal. Mais celui-ci s’ajoute à toutes sortes de dispositifs assez complexes qui réduisent en amont ce que les grandes fortunes déclarent au fisc. Ainsi, sur les dividendes 2009 versés par L’Oréal – 280 millions d’euros –, Bettencourt n’a déclaré en toute légalité que 145 millions de revenus. De même, concernant l’ISF, elle bénéficie d’un dispositif d’exonération qui lui permet de ne déclarer que 2, 2 milliards d’euros de son patrimoine estimé à 15 milliards. Soit un ISF de 40 millions d’euros, lequel est encore ramené à 30 millions grâce à un autre dispositif. Elle verse donc au total 70 millions d’impôts dont l’État lui a rendu 30 millions au titre du bouclier fiscal.
Si on ajoute que, selon un spécialiste des questions fiscales, « Mme Bettencourt serait un exemple vertueux » par rapport à d’autres grandes fortunes, il faut en déduire que Sarkozy, déclarant le 12 juillet, que « de tous les pays du monde, la France est celui qui taxe le plus les contribuables aisés », se moque cyniquement et sans vergogne de tous ceux qu’il appelle aujourd’hui aux sacrifices.
Woerth, malgré la « confiance » dont certains de ses collègues du gouvernement l’ont publiquement assuré, ne faisait pas partie des ministres invités par Sarkozy à Brégançon, le 20 août dernier, avant le conseil des ministres de la rentrée. C’est lui qui présentera la réforme des retraites à l’Assemblée, tout en jouant le rôle de fusible que Sarkozy, contraint et forcé, lui assigne sans doute. Mais pour le gouvernement, le mal est bien plus profond. Difficile de planifier des mesures d’austérité dont l’objectif est de réduire les dépenses de l’État qui sont utiles à la population, alors que s’étalent publiquement les grandes fortunes comme celle des Bettencourt et leur promiscuité avec le parti au pouvoir. C’est évidemment la même chose pour la réforme des retraites, même si le mensonge largement partagé de la nécessité démographique pèse sur les cerveaux. La conscience qu’il s’agit uniquement d’une question de répartition de la richesse, grandit. C’est en quoi aussi la crise politique fragilise le gouvernement, elle le discrédite, elle sape sa propagande mensongère et peut donner en retour aux salariés, aux chômeurs, aux jeunes, le sentiment que leurs besoins, leurs revendications sont légitimes.
Galia Trépère
* Paru Hebdo TEAN 67 (02/09/10).