Le sommet UE-Asie, organisé à Bruxelles les 4 et 5 octobre 2010, se déroule dans le contexte du décentrage progressif de l’économie mondiale vers l’Asie. Selon les travaux de l’historien de l’économie Angus Maddison, la part de l’Asie dans le PIB mondial a augmenté de 23,3% à 44,5% entre 1970 et 2008, tandis que la part de l’Europe a chuté de 29,5% à 18,8% et celle des Etats-Unis de 22,4% à 18,5% durant la même période. Cette tendance est exacerbée par l’impact de la crise financière et économique dans les pays occidentaux. L’ensemble composé de la Chine, de l’Inde et de la Corée du Sud pèse désormais autant économiquement que l’Union européenne. Mais la montée en puissance de l’Asie n’est pas seulement économique. Selon l’étude de la Direction générale de la Recherche de la Commission européenne sur « Le monde en 2025 » et intitulée « La montée en puissance de l’Asie et la transition socio-écologique », l’Asie abritera en 2025 61% de la population mondiale, tandis que la population de l’Union européenne ne représentera plus que 6,5% de celle-ci. En outre, si les tendances récentes se poursuivent, l’Europe et les Etats-Unis auront perdu en 2025 leur suprématie scientifique et technologique au profit de l’Asie.
Cette montée en puissance de l’Asie représente un événement majeur de l’histoire des relations internationales. Comme le résume le directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), Thierry de Montbrial, dans le Ramses 2011 de l’IFRI : « Depuis l’aube des temps modernes, les Européens, puis ceux qu’on a pris l’habitude d’appeler les Occidentaux, ont dirigé le monde. C’est probablement un cycle de cinq siècles qui s’achève ». Le monde qui se dessine au 21e siècle, à la fois multipolaire et hétérogène, implique ainsi, en contradiction avec la thèse de la « fin de l’histoire » de Fukuyama, la perte du monopole occidental aussi bien en termes de modèle politique que de modèle économique. D’une part, les régimes politiques asiatiques ne sont pas tous démocratiques, loin s’en faut, et il n’est pas certain que la globalisation de l’économie débouche sur une démocratisation rapide de ces régimes autoritaires. Comme le souligne l’étude de la Commission européenne sur le monde en 2025 : « L’hétérogénéité des cultures et des régimes politiques au niveau mondial au moment où l’Europe pèse moins du point de vue économique et politique va nécessiter de revisiter les concepts sur lesquels s’appuyaient jusqu’à aujourd’hui les relations internationales ». D’autre part, plutôt que le modèle de capitalisme de marché occidental, c’est le modèle de capitalisme d’Etat qu’ont adopté nombre de pays asiatiques. En matière d’économie du développement, un « consensus asiatique », fondé sur la mobilisation de l’épargne locale, un taux de change compétitif, un protectionnisme ciblé et une intégration stratégique au marché mondial, a remis en question la suprématie du « consensus de Washington », fondé sur l’endettement extérieur, la libéralisation financière, le libre-échange commercial et l’intégration indifférenciée au marché mondial.
Si le développement économique de l’Asie, qui a permis de sortir plusieurs centaines de millions de personnes de l’extrême pauvreté, est en soi positif, il ne pose pas moins de sérieux défis socio-écologiques à l’ensemble de la planète. En effet, le capitalisme d’Etat n’étant pas moins consommateur de ressources naturelles que le capitalisme de marché, des tensions importantes existent entre les modèles de production et de consommation et la disponibilité des ressources, notamment en termes d’alimentation, d’eau, de matières premières et d’énergie. Il en résulte une compétition multipolaire pour l’accès aux ressources naturelles qui laisse présager des tensions géopolitiques, notamment dans les pays les plus pauvres de la planète qui concentrent plus de la moitié des réserves de minerais importants. Par ailleurs, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre engendrée par le développement industriel asiatique exacerbe le problème des changements climatiques. Enfin, la mise en concurrence des modèles sociaux dans le contexte de la globalisation et des stratégies de localisation des firmes transnationales pose la question des inégalités et de l’évolution des normes sociales internationales : les niveaux des salaires et des conditions de travail convergeront-ils vers les niveaux asiatiques, comme le prônent les adeptes du dumping social, ou au contraire vers les niveaux occidentaux, comme le prône l’agenda du travail décent de l’OIT ?
En définitive, le défi de la transition socio-écologique consiste à définir de nouveaux modèles de développement socialement justes et écologiquement durables. Un tel défi implique d’adopter de nouvelles formes de coopération internationale, en vue de créer des partenariats globaux pour apporter les réponses adéquates à des défis communs. C’est pour inciter les gouvernements européens et asiatiques à aller dans ce sens que des représentants de la société civile européenne et asiatique participeront au 8e forum des peuples Europe-Asie, organisé à Bruxelles du 2 au 5 octobre. Ce forum, dont l’organisation en Belgique est coordonnée par le CNCD-11.11.11, rassemblera près de 400 personnes représentant des dizaines d’associations issues des deux régions, autour des enjeux du commerce international, de la souveraineté alimentaire, du travail décent et de la stabilité climatique de nos modèles de développement.
Arnaud Zacharie
Secrétaire général du CNCD-11.11.11.