« Dites-leur ! On est là pour nos familles ». Ce salarié de Goodyear Amiens achève ses mots, évacué sans
ménagement par les CRS. Des CRS d’abord perdus qui se reprennent en quelques minutes - avec des jets
de gaz lacrymogène - et repoussent les employés de Goodyear, qui ont défoncé la grille d’entrée du
Mondial de l’automobile. Manqué. Le gros de la troupe passe, plus de 400 personnes parties d’Amiens le
matin vers 7 heures. Cet accueil les a mis en pétard. Les CRS font face, puis reculent. La scène est
surréaliste. Tout se joue sur un petit périmètre au milieu de visiteurs médusés.
Il y a deux ans, les responsables du Mondial avaient ouvert les portes. Cette fois, en plus des CRS, les
grilles ont été verrouillées. « Ce sont des cons. Ils nous ont empêchés d’entrer. Ce sont des cons »,
Mickaël Wamen, secrétaire CGT-Goodyear, a rassemblé les troupes devant un pavillon. Devant les
risques d’un affrontement, les responsables du Mondial ont décidé de les laisser entrer, demandant en
retour de rester groupés et calmes. Tout ça pour ça ! « Ne cassez rien. C’est ce qu’ils attendent. Montrezleur
», lance Mickael Wamen. Le défilé s’engage.
Valeo face aux vigiles
Le cortège s’est gonflé des délégations CGT et Sud de chez Renault ou Peugeot. On cherche le stand de
son entreprise en admirant les belles carrosseries et en y collant des autocollants. « C’est le Mondial, donc
on va en parler. On veut que le monde sache ce que nous vivons. Les 3 X 8, un salaire de 1 500 euros, la
pression, pas de respect, l’envie de nous vendre… »
« Nous », c’est Christophe, 38 ans, employé chez Goodyear depuis 18 ans, et son épouse, Sandrine. « On
a trois enfants. On ne sait jamais ce qui va se passer demain », dit-elle. Elle ne digère pas l’accueil. «
C’est dégueulasse avec ce qu’on vit. » Goodyear a fait capoter devant la justice un plan social prévoyant
la fin de l’activité tourisme (820 emplois). Trois ans de lutte, une production qui baisse, « la direction met
la pression, veut nous pousser à la faute mais on tiendra. On tient car on est 400 encore aujourd’hui »,
conclut Christophe.
Ils étaient accompagnés d’autres Amiénois, ceux de l’équipementier automobile Valeo. Eux ont foncé
droit vers le stand de leur entreprise. Des vigiles d’une société privée bloquaient le passage. Ça a poussé
fort. Des coups de matraques ont été donnés, le calme est revenu lorsque vingt policiers en civil sont
sortis de nulle part. « Il y a encore un plan social en France pour 100 personnes. À Amiens, nous sommes
encore 987 à bosser, mais il y a les départs volontaires non remplacés alors que la charge de travail
grimpe. On n’en peut plus, car on a déjà perdu cinquante camarades en juin. »
Incroyable ! Dans la mêlée se trouve une délégation de Coréens. Valeo a fermé une usine en Corée du
Sud. Le syndicat KMW-KCTU a occupé le site, « Une milice patronale de 100 hommes de main a chargé
», lance le syndicaliste. « Solidarité avec la Corée ! », hurlent alors les Amiénois. C’était leur mondial
hier.
DAVID VANDEVOORDE