Le
Mans, de notre envoyé spécial
Avec la présidentielle dans le viseur, Jean-Luc Mélenchon rectifie le tir.
Ce week-end au Mans, le deuxième congrès fondateur du Parti de gauche, que
l’ancien sénateur socialiste en rupture de ban avait créé il y a deux ans, a
été l’occasion pour le tribun de l’autre gauche de se présenter à ses
militants sous un nouveau jour, plus présidentiel.
« C’est une séquence qui se termine, et une autre qui s’ouvre. Désormais, on
a mis en orbite le deuxième étage de la fusée », explique son fidèle Eric
Coquerel. « Il fallait arrêter avec les polémiques sur le populisme ou la
guerre avec les médias, renchérit un autre de ses proches, Alexis Corbière.
Ça commençait à tourner en rond, il ne fallait pas céder, mais il était
temps de passer à autre chose, et d’entrer en campagne. »
Alors Jean-Luc Mélenchon a cherché à montrer un visage plus apaisé, même si
sa radicalité est toujours présente dans ses mots. « Je suis le bruit et la
fureur, le tumulte et le fracas » ou encore « c’est l’heure des caractères »,
aime-t-il à répéter sur l’air de celui qui ne regrette rien, comme lors de
son discours de clôture dimanche. Pour autant, il montre un visage plus
collectif et fait preuve de moins de virulence et d’éclats de voix. « On est
meilleur quand on lutte pour les autres, on est moins bon quand on ne lutte
que pour soi », lâche-t-il ainsi d’une voix posée à la tribune, recueillant
l’une des nombreuses ovations qui ont accompagné son intervention.
Plus de « petites cervelles » chez les journalistes, mais « la fierté de
voir 53 “accrédités médias” pour ce congrès » et un plaidoyer « en faveur
d’une presse libre, consubstantielle à la liberté tout court ». Une adresse
à la nation quasi gaullienne aussi, où Mélenchon a multiplié les odes
à la « patrie
républicaine » ou à la « grande France », parlant des « troupes françaises
qui ne doivent servir qu’à protéger nos frontières et rien d’autre », avant
de faire conclure le congrès par l’Internationale et la Marseillaise.
En coulisse, l’eurodéputé avoue avoir accusé récemment un coup de fatigue,
pointant « les risques de l’exténuation, qui déshumanise » et pensant à
Robespierre, dont il se dit « sûr que s’il avait dormi la nuit précédente,
il ne se serait pas fait avoir ». Sans l’admettre, le héraut du Front de
gauche tient aussi compte des critiques récentes du PCF [1].
A la tribune dimanche, le secrétaire national communiste Pierre Laurent a
lui jugé « le chapitre clos : le populisme, on en a parlé et la question
n’est plus là. Le Front de gauche est populaire et citoyen, et bien sûr nous
aurons une candidature commune ». Mélenchon a aussi entendu les remises en
question internes, émises mezza-voce par d’autres fondateurs du PG, comme le
syndicaliste Claude Debons, l’ancien conseiller social de Jospin, Jacques
Rigaudiat, ou le député Marc Dolez.
Désormais, le Parti de gauche est sur les rails, les 700 délégués ayant
enfin adopté ses statuts définitifs. Il s’est même doté d’une nouvelle
direction, paritaire homme/femme et Paris/province, avec une co-présidente
en la personne de la députée ex-Verts Martine Billard. Mais ce ne semble
plus vraiment l’affaire de Mélenchon, lui qui rêvait d’un « parti plutôt sur
le modèle de l’ANC que du parti bolchevique ». Il a dû céder face à sa base
sur le non-cumul strict des mandats, finalement adopté contre l’avis de la
direction. « Et après on dit que je verrouille ! Mais ils sont encore plus
raides que moi dans ce parti ! L’idée que je serais un tyran est une douce
rigolade », peste-t-il affectueusement.
« Il n’y a que des têtes de lard qui n’écoutent pas et qui votent des trucs
ingérables. Le non-cumul, quand on a peu d’élus et peu de militants, c’est
se tirer une balle dans le pied ! », s’emporte-t-il avant de corriger : « Enfin,
c’est quand même un parti assez bonhomme, ça me va. Et puis de toutes
façons, ce sont eux qui se démerderont avec ça. » Pour lui, l’avenir est
ailleurs et il pense déjà à la retraite après 2012, réassurant (après
l’avoir annoncé dans un entretien à
Mediapart [2])
qu’il quittera la présidence du parti « pour laisser la place à la relève,
qui est mûre ».
« A la châtaigne pour les cantonales »
Dorénavant, le regard de Mélenchon et de son entourage est tout entier porté
vers la présidentielle, en passant par les cantonales de mars 2011, où le
front de gauche entend présenter des candidats « partout au premier tour ».
« On va les politiser à mort et faire une campagne de tous les diables,
s’enhardit Mélenchon. D’autant plus que les socialistes contraignent les
camarades communistes à aller à la châtaigne, en les concurrençant dans
leurs bastions. » Le Front de gauche paraît proche de s’élargir à la
Fédération pour une alternative sociale et écologiste
(Fase [3]),
regroupant les anciens communistes rénovateurs et les Alternatifs, et
emmenée par Clémentine Autain.
Cette dernière, à la tribune du meeting de clôture, a enflammé la salle tout
en faisant quasiment une offre de services pour faire la porte-parole :
« Jean-Luc
peut être candidat, il en a la volonté et la capacité. Je n’aurai pas
d’états d’âme, et même de l’enthousiasme, à faire sa campagne ! » Même si
elle tient à rappeler « trois débats sur lequels nous ne sommes pas
forcément sur la même ligne : sa conception de la République et de la
laïcité, la forme-parti et la révolution par les urnes ».
Selon elle, « on a trop longtemps joué au jeu du chat et de la souris. Il
faut sortir de ça, le temps presse ». Elle a enfin exprimé un souhait ne
dépendant pas d’elle, qui a un temps frayé avec les anticapitalistes : « Il
faut que le NPA ait toute sa place dans le rassemblement actuellement en
cours. On ne peut pas se résigner à leur isolement. Si la seule question qui
les chiffonne est la participation à un gouvernement, rassurons-les : la
réponse est non. » Applaudissements fournis de la salle, mais pas sûr
toutefois que le PCF soit du même avis, ni d’ailleurs le NPA [4]).
Pour les mélenchonistes, l’arrivée de la Fase permettrait de sortir du
face-à-face parfois tendu avec le PCF, et aussi de pouvoir compter sur de
nombreux « cadres », souvent élus locaux. Après avoir tergiversé et remis à
plus tard le lancement de son « programme partagé », pour cause
d’investissement maximal dans le mouvement contre la réforme des retraites,
le Front de gauche a enfin un calendrier de forums thématiques, permettant
d’avancer sur le fond. Le 2 décembre sur les retraites et le 9 sur les
institutions et les libertés (à Paris), puis en janvier les services publics
(à Lyon), l’écologie (à Bordeaux), la relation au travail (à Marseille), la
paix (à Rennes), l’Europe (à Nîmes) et la financiarisation (au Mans). A
chaque fois, des propositions seront énoncées en début de réunions, puis
débattues par des invités et la salle.
Un programme de débats qui ne semble pas être le souci majeur de Mélenchon (« Ah bon ? Le premier est sur les retraites ? Mais on a déjà déposé une
proposition de loi… »), qui paraît plus impatient d’en découdre avec ses
meilleurs ennemis socialistes. Même si les communistes plaident pour régler
la question du leadership entre mars et juin, lui voudrait que la question
de la désignation du candidat à la présidentielle soit réglée dès janvier : « Il
faut arrêter de se la jouer et passer à l’action. »
« Refaire le coup du référendum européen »
Ah, ces bons vieux socialistes, que « Méluche » ne cesse d’asticoter à
longueur de discussions et de discours. « Avec eux, une semaine je suis le
diable, celle d’après un bateleur, et celle encore d’après quelqu’un qui
ferait un bon ministre… C’est insupportable !, rage-t-il. Ils ne nous
considèrent qu’en fonction de leurs intérêts à eux. Mais nous, on veut
éviter la “Papandréouïsation de la gauche”, que le PS veut nous imposer
avec DSK. »
Mais cette fois-ci, il veut sortir des anathèmes à leur endroit, qui
dérangent ses partenaires communistes, en négociation avec Solférino,
notamment pour les prochaines sénatoriales de septembre 2011, puis les
législatives de 2012. « Le PCF fera comme il veut, c’est un parti autonome.
Il nous faut un candidat commun, qui doit rassembler sur un programme. Le
reste, ce sera la décision des partis et des individus. Chacun jugera s’il
voudra être ministre », soupire Mélenchon, conciliant.
Pour lui, la cible est claire. Comme l’indique le député PG, Marc Dolez : « Il
faut s’adresser à tous, l’électorat populaire qui a pu être tenté par le FN,
les abstentionnistes toujours plus nombreux, comme les socialistes. Le
modèle, c’est de refaire le coup du référendum européen de 2005. A l’époque,
on avait convaincu tous ceux-là. »
Lors de son discours de clôture, Mélenchon a donc interpellé : « Amis
socialistes, vos majestés, permettez seulement que l’on puisse choisir entre
vous et nous. Et répondez, enfin : une VIe République, oui ou non ? La
planification écologique, oui ou non ? La sortie du traité de Lisbonne, oui
ou non ? Le retrait des troupes en Afghanistan, oui ou non ? (…) Comment un
tel parti peut s’abaisser à être aussi confus ! » Alors, confie-t-il en marge
des micros, il veut « surgir dans leurs primaires » : « On va quand même pas
partir en vacances ! Il faut les interroger sans cesse, pour obliger les
prétendants à se positionner sur nos propositions. Je veux les obliger à
parler du fond. Ce que je n’ai jamais réussi à le faire à l’intérieur du
parti, je veux le faire de dehors. »
Ne lui parlez pas de risque de vote utile, ou alors mettez des boules Quiès
dans la seconde qui suit. « Le “tout sauf Sarko”, c’est la position la
plus stupide, car c’est rameuter tout le monde sans parler du contenu. Dans
ce cas-là, on va se coucher en se disant “c’est perdu” ! On ne peut pas se
passer du PS, je veux bien, mais on peut quand même tenter de passer contre !
C’est une compétition. S’ils l’acceptent, le meilleur gagnera. » Et on n’a
guère de doute sur celui qu’il pense être le meilleur.
Au Mans, le Parti de gauche a conclu son congrès en rêvant de présidentielle
et de Front de gauche élargi, avec un Jean-Luc Mélenchon qui a envie d’en
découdre avec ses meilleurs ennemis socialistes, qu’il veut « obliger à
parler de fond ».
Stéphane Alliès