Haïti, ancienne colonie française, a été le premier pays d’Amérique latine et de la Caraïbe à obtenir son indépendance. La guerre pour l’indépendance a commencé en 1793, mais la victoire de ceux qu’on a appelés les Jacobins noirs [1] n’est intervenue qu’en 1804 [après la première déclaration d’indépendance par Toussaint Louverture en 1801], avec le retrait des troupes françaises et l’abolition de l’esclavage qui lui a succédé. Comme dans la presque totalité des pays d’Amérique latine, cette indépendance ne portait que sur le domaine politique, mais la corde qu’on a mis autour du cou de Haïti a été bien pire.
Lorsque la guerre a éclaté en 1793, la France était en plein processus de révolution bourgeoise. Ceux qui ne reconnaissaient pas l’indépendance d’Haïti ont bloqué ses voies maritimes et leurs troupes se préparaient à investir une fois de plus ce pays que la France avait saccagé et exploité [café et sucre qui en faisait la colonie la plus prospère contrôlée par la Frnace, entre autres depuis son annexion « légalisé » par Louis XIV en 1697]. Des cultures mises en valeur par 500’000 esclaves noirs [avec 40’000 affranchis et sous le joug de 60’000 colons blancs]. Il est évident que le processus révolutionnaire dans lequel étaient engagés les Français pour changer leur système politique et social les a empêchés de concentrer leurs forces sur la colonie, sans compter le blocus qu’imposait l’Angleterre à la France.
Ce n’est qu’en 1825 que la France a finalement reconnu l’indépendance de Haïti. Mais elle ne l’a fait qu’après avoir exigé un dédommagement se chiffrant en milliers de millions de livres pour la perte de ses biens. Le peuple haïtien a dû se résigner à accepter ces conditions à cause des pressions exercées par les Etats-Unis (la nouvelle puissance émergente) et le risque d’une nouvelle invasion. Le pays a ainsi été condamné à mort avant même de naître.
Mais loin de rester les bras croisés devant les pressions des pays développés, le peuple haïtien a compris que pour lutter contre ce joug, il devait susciter et renforcer d’autres processus de libération comme celui de la Grande Colombie dirigé par Simon Bolivar. Haïti a contribué à la victoire de Bolivar en lui envoyant ses soldats les plus qualifiés, des navires et des armes, et ce à une seule condition : que tous les esclaves fussent libérés une fois la guerre terminée. Bolivar a accepté, même si, comme le rappelle Eduardo Galeano, lorsque le général a convoqué les nations libres au Congrès de Panama (1826), il a oublié d’inviter Haïti, mais a invité l’Angleterre [2] !
Mais ce pays – qui a été le premier cri de dignité d’une Amérique qui s’efforçait d’obtenir son indépendance par rapport aux métropoles centrales d’Europe – a connu tout au long du XXe siècle une histoire de ruines, de coups d’Etat et de saccages.
Les Etats-Unis ont envahi militairement le pays à plusieurs reprises [3], ils ont entre autres utilisé des tirs, de séquestrations et de tortures pour soutenir la dictature sanglante de « papa doc », François Duvalier [président-dicateur d’Haïti de 1957 à sa mort en 1971 ; son fils. Jean-Claude, « bébé doc », lui succéda jusqu’à son renversement en 1986] et pour monter le coup d’état contre Jean-Bertrand Aristide [4] lorsqu’il a osé mettre en œuvre de simples mesures réformistes.
En 2004, lorsque la situation dans le pays était au pire et les tensions sociales menaçaient d’éclater, les Etats-Unis sont de nouveau intervenus militairement, mais cette fois en utilisant leurs gouvernements vassaux d’Amérique latine, d’Europe et d’Asie sous prétexte d’aide humanitaire, donnant ainsi naissance à la fameuse MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation de Haïti), sous direction des militaires brésiliens, commandés par Lula et ses généraux.
Ceux et celles qui sont intéressées à l’histoire de ce premier pays libre peuvent se renseigner en lisant les nombreuses histoires et analyses rédigées par des personnes beaucoup plus compétentes que moi, mais il faut souligner le fait que ce qui a submergé les classes populaires dans l’extrême pauvreté ce n’est pas le tremblement de terre du 12 janvier 2010 (même si cet événement a fini par matérialiser le désastre d’ensemble), mais le fait que, bien avant ce cataclysme, Haïti avait déjà subi un nombre incalculable de tremblements de terre sociaux, entre autres sous aux Etats-Unis d’Amérique.
La poubelle du capitalisme
Je n’ai parcouru que trois départements du pays, mais ce que j’ai vu suffit au moins pour dénoncer devant le monde entier les conditions inhumaines dans lesquelles vit le peuple haïtien. Haïti n’a pas connu le moindre développement de ses capacités productives, et tout ce que le peuple haïtien « consomme » – à quelques rares exceptions près – est importé. Les conditions de vie à Haïti sont quasiment médiévales.
Il n’y a pas d’électricité, ni d’eau potable, les transports publics sont dans un état d’extrême vétusté, et les problèmes de logement ont atteint les limites de l’enfer, surtout dans la ville de Port-au-Prince où le tremblement de terre a sévi en janvier ; les décombres entassés dans toute la capitale du pays donnent l’impression que la catastrophe dite naturelle vient tout juste de se produire.
A Port-au-Prince, il y a des milliers de personnes qui, depuis le tremblement de terre, vivent dans les rues et les conditions hygiéniques déplorables dans la ville et dans l’ensemble du pays font que des maladies comme le « typhus », la « malaria », la dengue [5], le choléra etc. se développent et tuent des centaines de personnes, chaque fois qu’une de ces maladies éclôt, toujours en lien avec les conditions d’hygiène publique. C’est ainsi que cette semaine (2-7 novembre 2010), il y a eu à Latibonit une flambée de choléra qui a déjà tué presque 100 personnes.
L’Etat haïtien est une entité absente, ou disons plutôt qu’il a été détruit par les invasions successives, les coups d’Etat et la corruption notoire d’une petite élite qui se comporte comme si elle se trouvait dans le pays le plus riche du monde. Alors que dans ce même pays des milliers d’enfants meurent à la naissance et des milliers d’autres n’atteignent jamais leurs cinq ans ; alors que sévit faim et la mort qui s’en suit, le « gwangou », comme on l’appelle ici. Que ces choses apparaissent comme normales indique combien le futur de la société haïtienne apparaît noir.
La MINUSTAH, de l’aide humanitaire ?
Ces conditions de vie misérables qui touchent la grande majorité du pays suscitent des tensions sociales qui s’aggravent de jour en jour, et qui risquent d’éclater à un moment donné. Même si on peut dire qu’un processus de changement reste possible, le destin politique du pays est plus qu’incertain, et l’issue politique d’une éventuelle rébellion populaire dépendra des conditions dans lesquelles se trouveront les mouvements et organisations populaires et de leur degré de maturité politique.
Mais je veux surtout insister sur ce qu’est la fonction centrale de la MINUSTAH. Sous prétexte d’accorder de l’aide humanitaire, les Nations Unies sous le commandement des grandes puissances impérialistes ont décidé en 2010 de renforcer l’envoi de troupes, principalement du Brésil (qui est à la tête de la MINUSTAH), de l’Argentine, de l’Uruguay et du Paraguay. Mais des troupes états-uniennes, européennes et asiatiques y participent également.
On n’a jamais clarifié la question de savoir quel type d’aide humanitaire pouvaient offrir des soldats formés à la guerre plutôt qu’à aider des populations. Comme je l’ai déjà écrit, la fonction de la MINUSTAH est de contenir le peuple haïtien lorsqu’il se lassera de la situation dans laquelle il vit au quotidien, et ce en utilisant la force. Il n’y a pas d’autre explication. Sinon on voit mal pourquoi les troupes du MINUSTAH organisent des rondes en tenue de combat et se retranchent dans les nombreuses bases dans tout le pays.
On ne voit pas les soldats distribuer de la nourriture ou soigner les malades, ni contribuer à ce que les gens puissent vivre dans de meilleures conditions, comme le font les médecins cubains et vénézuéliens et la Brigade Internationaliste Dessalines [6] qui appartient à la Via Campesina (organisation paysanne internationale, animée entre autres par le MST brésilien), et qui prennent en charge différentes tâches pour soulager un peu la misère dans laquelle vit le peuple.
Voilà ce qu’est réellement l’aide humanitaire. La vraie question est de savoir ce que peut avoir d’humanitaire quelqu’un qui a été entraîné pour tuer des êtres humains.
Les élections du 28 novembre
A Haïti la course pour les élections du 28 novembre 2010 a déjà commencé. Les principaux postulants à la charge suprême sont plus ou moins tous dans une posture servile à l’égard des grandes puissances. Il n’y a pas de candidat qui représente, dans la moindre mesure, les voix de ceux d’an bas. Et la majorité des suffrages sont faciles à acheter à cause du dénuement dans lequel se trouve la majorité de la population.
Il existe cependant un cas particulier, celui d’une candidate à la Chambre de députés dans le département du Grand’Anse (un des dix départements d’Haïti). Louisiane Nazaire, plus connue sous le nom de « Yayane », appartient à un mouvement paysan appelé KPGA (Konbit Peyisan Grand Ans). Elle propose une série de revendications d’ordre économique, et, selon son mouvement, elle a de fortes chances d’être élue à comme députée. On le voit, la situation du pays est complexe, aussi bien du point de vue économique que du point de vue politique. Loin d’aller vers des solutions aux problèmes de la majorité, les contradictions et oppositions continuent à augmenter entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui manquent de tout.
Roberto Bruzzone