Ils ne sont que douze, mais leur départ est lourd de symboles : les militants du comité quartier populaire d’Avignon ont claqué la porte du NPA cette semaine, dont Ilham Moussaïd, devenue célèbre malgré elle pour s’être présentée, avec un foulard, aux élections régionales de mars 2010 sur la liste du Nouveau parti anticapitaliste.
« C’est avec beaucoup de tristesse et d’amertume que je vous annonce mon départ du NPA. Un départ qui n’est motivé ni par la haine ni par la colère mais l’aboutissement d’une longue réflexion », explique un des leurs, Abdel Zahiri, dans une lettre [1]. « J’ai rejoint le NPA parce que j’avais entendu, et apparemment mal compris, l’appel de la LCR. J’avais cru que les exploités, les prolétaires, les classes populaires étaient les bienvenus. Force est de constater que ce n’est pas tout à fait le cas », poursuit-il.
Contactés par Mediapart, les militants démissionnaires n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Lassés sans doute du déferlement médiatique qui avait accompagné la candidature d’Ilham Moussaïd et des polémiques très vives qui avaient aussitôt agité le NPA, tiraillés entre sa volonté de s’implanter dans les quartiers populaires, sa tradition laïque et sa conception du féminisme.
Pour les militants interrogés proches des partants, ceux-ci ont en fait mal vécu la dernière réunion du conseil politique national (CPN) – sorte de parlement du NPA –, réuni les 13 et 14 novembre. D’abord parce que, parmi les motions touchant à la laïcité et au féminisme, leur texte est celui qui a recueilli le moins de suffrages. Ensuite parce que le report du congrès [2] à début février repoussait encore davantage une prise de position claire du NPA sur ces sujets. « La manière dont certain-e-s ont agi à notre égard jusqu’à lancer une véritable chasse aux sorcières où nous sommes montrés du doigt comme des pestiférés et l’attente d’un congrès (qui paraît ne jamais arriver) pour trancher si nous avons notre place au sein de ce parti n’est ni à la hauteur ni digne d’un parti de masse révolutionnaire », écrit d’ailleurs Abdel Zahiri dans sa lettre adressée au NPA.
« On était en discussions depuis des mois, c’était de plus en plus difficile pour eux. Avec le report du congrès, ils ont eu l’impression que la fin n’arrivait jamais. Ils en avaient marre de devoir se justifier tout le temps... », témoigne Danièle Obono, membre de la commission quartiers populaires et représentante d’un courant minoritaire au NPA, parlant d’un « échec collectif ». Et ce, même si les échanges, très vifs au début, semblaient en partie apaisés. « J’avais pourtant l’impression que le débat progressait bien dans le respect des positions de chacun. Entre les deux positions les plus contradictoires, il y a toute une gamme de nuances qui sont bien plus majoritaires. Et du point de vue d’Avignon, il y a eu beaucoup d’avancées en interne sur ces questions », déplore Olivier Besancenot, porte-parole du NPA, et prudent sur le sujet.
Comment lutter contre l’islamophobie ?
Sur le fond, les militants d’Avignon avaient dès le départ marqué leur désaccord avec une grande partie de la direction actuelle du NPA, résumé ainsi par Samuel Joshua, militant à Marseille et membre du CPN : « Aujourd’hui, il semble que les adhérents du NPA sont majoritairement pour l’accès du parti aux croyants et pratiquants, mais aussi pour refuser l’idée de se battre au nom de la religion. C’est une divergence profonde : certains estiment que face à l’islamophobie, l’affirmation religieuse serait le meilleur antidote. Sans doute que le fait d’être minoritaire a entraîné la déception et la démission. » Selon Omar Slaouti, proche des démissionnaires et membre de la commission quartiers populaires, deux approches s’affrontent, « entre des camarades pétris de tradition militante de plusieurs dizaines d’années et de savoir livresque, et des militants de terrain pour qui la lutte contre l’islamophobie n’est pas suffisamment mise en avant, voire minorée au sein de l’organisation ».
Ce débat est d’ailleurs loin d’être nouveau dans l’histoire du mouvement ouvrier. Le rejet « provoque l’affirmation identitaire. C’est comme ça qu’est né le sionisme, et le Bund (l’union générale des travailleurs juifs) à la fin du XIXe siècle, et auquel s’opposait Rosa Luxemburg. C’est aussi sur le même type de motif, une classe ouvrière devenant tellement raciste, que s’était envisagée la création d’un parti des Noirs aux Etats-Unis », rappelle Samuel Joshua. Mais, selon lui, « s’y ranger, c’est entériner une défaite, laissant croire qu’on ne pourrait pas mener le combat aux côtés des populations immigrées ».
D’autant que le NPA, qui aura au moins eu le mérite de prendre de front ces questions, peut se targuer d’autres réussites dans les quartiers populaires, notamment à Marseille. « Cet exemple montre que ce n’est pas un problème avec les musulmans, puisqu’il y en a plein dans ce comité, et qu’il n’y a pas une seule manière de se construire dans les quartiers populaires », avance Ingrid Hayes, membre de l’exécutif du NPA, critique quant à la ligne défendue par les démissionnaires d’Avignon.
Il n’empêche, ces départs illustrent la difficulté de l’extrême gauche, en l’espèce du NPA, à traiter de la question religieuse, dans un contexte difficile, ravivé et largement amplifié par le débat sur l’identité nationale lancé par Nicolas Sarkozy et son ex-ministre de l’immigration et de l’identité nationale, Eric Besson. Tous les militants interrogés reconnaissent d’ailleurs la force de l’effet symbolique de la démission des militants d’Avignon. D’autant qu’elle signe aussi la difficulté du NPA à réussir l’élargissement de son implantation, au-delà des traditionnels militants de l’ex-LCR (Ligue communiste révolutionnaire).
D’autres sont déjà partis, comme l’altermondialiste Raoul-Marc Jennar, ou en retrait comme Leïla Chaibi, chef de file du mouvement de précaires L’appel et la pioche. « Ce sont des courants qui n’étaient pas dans le moule, qui ont bousculé les idées reçues et les manières de faire. On n’a pas réussi à faire suffisamment l’alchimie », estime Danièle Obono. Malgré leurs désaccords sur les questions de laïcité, Ingrid Hayes l’admet aussi : après un démarrage en fanfare pour le NPA, « si l’élargissement s’était poursuivi à la même échelle qu’au début et si la situation politique avait été plus facile pour nous, on aurait eu moins de mal à surmonter les différences, et on serait parvenus à une homogénéisation des pratiques ».
De fait, les revers électoraux du NPA, qui a choisi de se présenter seul aux élections européennes et, dans la plupart des cas, aux régionales, ont tendu les débats à l’intérieur de la jeune organisation politique, et tari l’afflux de militants, renforçant mécaniquement « une matrice plus traditionnelle, et de fait liée au trotskisme », selon l’expression d’Ingrid Hayès. « Le fait que le NPA ne soit pas en bonne santé joue aussi dans le départ des militants d’Avignon : à quoi bon s’accrocher à un parti en crise ? Même si c’est dommage puisqu’on a repris du poil de la bête avec le mouvement social », explique aussi Omar Slaouti.
Les fortes mobilisations contre les retraites ont en effet redonné de l’air au NPA, qui ne désespère pas de trouver les ressorts d’une deuxième phase d’élargissement. Mais ce sera sans les douze militants d’Avignon. Du moins pour l’instant. « Nous avons encore beaucoup de lutte à mener ensemble donc je vous dis à bientôt », écrit Abdel Zahiri à ses anciens camarades. Un appel entendu par Olivier Besancenot : « Pour moi la porte reste ouverte. J’espère vraiment que nos chemins continueront à se croiser, d’une façon ou d’une autre. »
Lénaïg Bredoux et Stéphane Alliès