Une étape importante dans le renouveau de la lutte des classes
Le mouvement social que nous venons de connaître invite à échanger pour confronter les analyses mais aussi pour débattre des suites et des perspectives. Par son ampleur, sa durée, son ancrage social et populaire, ses formes et sa dynamique, il constitue sans doutes, comme le notait la résolution sur la situation politique et sociale votée par le CPN du NPAdu 13 et 14 Novembre « l’évènement le plus important depuis le congrès de fondation du NPA et depuis l’arrivée au pouvoir de Sarkosy »
Les quelques remarques que je souhaite développer viennent prolonger ces analyses dont le contenu me semble, à quelques nuances prés, à la fois juste et partagé par une large majorité de camarades du NPA mais aussi parmi les secteurs les plus combatifs et les plus mobilisés : discrédit profond et durable du pouvoir, riposte de classe sur le terrain social et politique, compréhension en acte de la nécessité – sinon de la possibilité immédiate – d’aller vers la grève générale reconductible pour faire reculer le pouvoir et gagner.
Cela est d’autant plus remarquable que l’on ne peut que pointer toutes les ambiguïtés de l’intersyndicale nationale. Elle a certes fixé une série de rendez vous unitaires qui donné des échéances de mobilisation et favorisé une forte présence dans les manifestations, mais ne s’est jamais donné pour objectif le retrait du projet. Elle n’a pas condamné les formes les plus radicales de lutte - dont les blocages – mais ne s’est pas appuyé non plus sur elles pour inciter à les généraliser et essayer de construire le mouvement vers la grève générale. Personne n’a rompu l’unité pour aller négocier avec le pouvoir – il est vrai qu’il n’y avait pas grand chose à négocier.. - mais en même temps les « grandes confédérations » ont accompagné le mouvement en évitant l’épreuve de force avec le gouvernement. La préoccupation, juste au demeurant, de gagner la bataille de l’opinion publique a sans doutes permis de poser de façon citoyenne la question des retraites comme un problème de société et de choix politique de fond mais a également servi d’alibi pour autolimiter le mouvement.
Il est intéressant également de noter, que tout en maintenant le cap sur l’unité, des organisations comme Solidaires [1] – ou dans une moindre mesure la FSU - ont su s’exprimer et faire des propositions pour impulser une autre dynamique au mouvement. Et, sur le plan local, il est tout à fait significatif que des équipes militantes ou des structures - UL voire UD – de la CGT soient allés dans le même sens.
Il est par contre vrai et cela touche aux limites du mouvement qu’il n’y a pas eu de dynamique de masse de débordement des cadres syndicaux nationaux en vue d’une généralisation durable de la grève. De même l’exaspération sociale et le rejet radical de Sarkosy et de sa bande ne se sont pas traduits par l’exigence clamée haut et fort de démission du gouvernement.
Une présence forte, visible, bien comprise et unifiée du NPA et de ses militants
La résolution citée plus haut insiste également sur le « baptême du feu » qu’a représenté pour le NPA l’intervention dans le mouvement. Ses militants ont été non seulement au cœur de la mobilisation mais, en bien des lieux, directement utiles à son développement. Et, si l’on en juge par l’accueil ces interventions ont été appréciées et comprises. En s’appuyant sur une forte aspiration unitaire le NPA a agi concrètement pour lever les obstacles. Il serait faux et prétentieux de dire que la réussite est complète ( en particulier pour faire en sorte qu’existent des AG interprofessionnelles, pour que toutes les composantes d’un salariat structurellement divisé – public/privé, grosses entreprises/PME, précaires /sous CDI, etc.. - se rejoignent ou encore pour que des formes plus affirmées d’auto organisation se mettent en place ) mais ces efforts ont été souvent reconnus et c’est sans doute là un acquis précieux pour l’avenir. Les graines semées à cette occasion pourront germer et grandir dans les têtes.
C’est aussi un acquis pour l’unité du NPA dans la mesure où les différences qui existent sur un certain nombre d’analyses et d’approches de questions politiques, électorales.. ou de rapport au religieux n’ont guère compté dans le mouvement. Toutes sensibilités confondues le NPA a travaillé dans le même sens, renforcé les mobilisations unitaires dans les secteurs en lutte et autour d’eux, par exemple en faisant vivre les collectifs unitaires et leurs initiatives.
Il faut également relever le soucis d’articuler le social et le politique et de contribuer à ce que les frontières et un partage des rôles paralysant – aux syndicats la conduite des luttes, aux partis la politique et surtout les élections – soit remis en question. Tout en respectant l’indépendance des uns et des autres, les « politiques » ne doivent pas s’autocensurer et s’interdire de s’exprimer sur les stratégies de lutte utiles pour gagner. Réciproquement les syndicats ont quelques comptes à demander à ceux qui se présentent comme la solution électorale pour 2012, sur leurs engagement précis et leur remise à plat ou pas des destructions sociales massives de la droite sur tous les terrains : protection sociale, droit du travail, service public, emploi, salaire et bien sûr retraite dont la question de l’allongement du temps de cotisation. L’idée d’un possible front social et politique à contenu anticapitaliste regroupant des partis, des syndicats et associations, et des citoyens a peut être commencé à faire son chemin. Non seulement des individus mais des « équipes militantes » peuvent être intéressés à cette perspective
Au total le NPA est bien apparu, sans sectarisme mais en toute clarté, comme le parti de ceux qui luttent et veulent dés aujourd’hui commencer à construire un avenir alternatif au capitalisme et à ses dégâts mortifères. Cela positionne bien pour expliquer sans attendre dans les élections et au delà le contenu et les principales mesures d’auto défense d’un « plan d’urgence » et de solutions à la crise fondées à la fois sur la mobilisation sociale et le contrôle du monde du travail sur le capital. C’est certainement là l’occasion de combler au moins en partie l’important fossé qui demeure entre la reconnaissance incontestable d’un rôle et d’une utilité dans les luttes d’une part et d’autre part d’une crédibilité politique et électorale encore trop faible.
Ce n’est qu’un début
Ce constat ne doit conduire ni à l’autosatisfaction ni à l’attentisme. Si le vote de la loi clôt bien une séquence de la lutte des classes, on s’accordera à dire que rien n’est réglé, ni terminé. Ce n’est certainement pas terminé du coté d’un gouvernement de classe et de combat prêt à poursuivre avec la légèreté du rouleau compresseur ses réformes destructrices de tous les acquis et de tous les droits sociaux. Le trait dominant est la fuite en avant financière et productiviste qui dessine les contours d’un monde marqué par la marchandisation et la privatisation sans limite du social et de l’écologique ( capitalisme vert...) Si changement il y a, il réside dans l’accentuation de la politique sécuritaire et de division raciste du salariat et de la population pauvre. Plus de fioriture, d’ouverture et autres attrapes gogos. Place au seul gouvernement des riches pour les riches. La seule limite à leur offensive sera la capacité collective à résister et à rendre coup pour coup.
Pour paraphraser le vieux « caudillo »- De Gaulle - dont il lui arrive encore de se réclamer, Sarkosy et les siens ont gagné une bataille mais la guerre de classe est loin d’être finie. Dire aujourd’hui : « ce n’est qu’un début... » ce n’est pas seulement une invitation à reprendre un vieux slogan de 68 dont la conclusion était : continuons le combat ! C’est aussi indiquer que nous assistons à une perte de légitimité et un ébranlement profond et durable de la domination de l’ordre capitaliste néolibéral . Celui ci tire essentiellement sa force du fric et des institutions bourgeoises à son service, mais de moins en moins d’une base sociale qui se rétrécit et s’inquiète d’un avenir imprévisible et en particulier de la menace de « paupérisation » de l’ensemble des classes moyennes qui assurent traditionnellement la stabilité des régimes en place.
Encore cette situation est-elle loin d’être un cas isolé en Europe et dans le monde : les plans d’austérité « XXL » pilotés dans une belle unité par le FMI la droite et les sociaux-démocrates se déclinent du Portugal à l’Espagne, de l’Irlande à la Grande Bretagne et suscitent rejet massif et résistances sans doute encore trop timides et trop isolées. Mais de l’Europe à l’Amérique latine et jusqu’à la Chine où la classe ouvrière se fait entendre, leur monde se fissure et des brèches s’entrouvrent découvrant de nouveaux horizons et de nouveaux espaces de lutte.
Pour revenir sur la séquence liée en France à la loi sur les retraites, on pouvait craindre encore il y a quelques mois deux scénarios catastrophe : celui d’une victoire du gouvernement sans combat qui aurait sans doutes entrainé découragement et résignation et celui d’un affrontement brutal se terminant par une défaite majeure voire un écrasement, sur la mode de la défaite infligée au mineurs anglais par Thatcher en 1984. Rien de tel ne s’est produit. La loi est certes votée mais les forces de résistance sont loin d’être battues. Des affrontements décisifs sont encore devant nous auxquels nous devons nous préparer.
Unifier le mouvement du salariat et de la jeunesse autour d’objectifs anticapitalistes
Dans cet « entre deux » il est sans doute utile de repérer un certain nombre de tendances et de changements y compris par rapport d’autres périodes de luttes (1995, 2003, 2005). Un changement important et positif correspond au retour au premier plan de la classe ouvrière. Non pas qu’elle ait socialement disparue mais touchée de plein fouet par les restructurations et les politiques patronales – dont un « nouveau management » individualisant à l’extrême les relations de travail et les salaires – éclatée et syndicalement affaiblie, trahie, méprisée et parfois déboussolée, sa voix avait bien du mal à se faire entendre. Ce n’est plus totalement le cas aujourd’hui : les difficultés pour lutter collectivement dans un contexte de chômage et de précarité ne sont certes pas annulées, mais on a vu dans le mouvement la classe ouvrière, y compris dans sa composante industrielle, relever la tête et prendre progressivement conscience de sa force liée à la place encore décisive ( cf raffineries ) qu’elle occupe dans la production et la circulation des biens. Il y a longtemps en tous cas que l’on n’avait pas ressenti à cette échelle là une telle fierté et un tel désir de se faire respecter.
Cela doit conforter une activité militante plus orientée vers une expression politique régulière en direction des entreprises publiques et privés et des services. Mais plus globalement prenons au sérieux l’hypothèse d ’un nouveau cycle de lutte et de manifestations multiformes en réponse à la crise du capitalisme néolibéral, même s’il est vraisemblable que ce cycle ne se développe pas de façon linéaire et homogène. Une certaine désynchronisation des secteurs en lutte et de leur niveau de mobilisation peut perdurer. [2] C’est une raison supplémentaire pour avancer l a perspective générale de construction dans la durée et de renforcement d’un mouvement social et politique de masse qui unifie l’expression de l’ensemble des exploités et des dominées. Il convient de le faire sans retard et sans impatience, avec détermination mais sans adopter la posture du « professeur rouge » ou du donneur de leçon. L’heure est moins que jamais à un parti qui dirige mais à un parti qui propose, aide à voir clair par l’échange, organise, accompagne la consolidation et l’unification progressive de notre classe en mouvement dans toute sa diversité - la classe de ceux qui vivent (travailleurs), ont vécu (retraités) ou vont vivre (jeunes) de leur travail. D’expérience en expérience, de défaites partielles dont on tire les leçons en résistances qui resurgissent, ce mouvement connaitra des avancées et des reculs. Il cherche et tâtonne pour trouver sa voie. Une priorité s’impose : l’aider à grandir et à prendre confiance. [3]
Articuler les échéances sociales, politiques et électorales
La conjoncture qui s’ouvre pour les mois qui viennent commande de ne pas séparer mais au contraire d’articuler les échéances sociales, politiques et électorales. Il serait bien peu responsable de faire l’impasse sur les unes ou les autres et ce serait en tous cas la négation même de la volonté d’unir le politique et le social. Ces échéances sont à la fois inscrites dans la réalité et dans la tête de tous et de chacun. Il n’est pas difficile de comprendre qu’elles peuvent se rejoindre ou se disjoindre, se synchroniser ou se désynchroniser, se répondre et se renforcer mutuellement ou au contraire demeurer séparées et isolées, engendrer l’espoir et la repolitisation ou au contraire le dépit, le sentiment d’occasion gâchée et le découragement. En bref ces échéances sont interdépendantes et nous devons être ceux qui travaillons à les clarifier, les articuler et les unifier .
Pour ne prendre que deux contre exemple, il est clair que l’attentisme social jusqu’à 2012- auquel pousse de façon intéressée le PS - conduirait à engranger défaite sur défaite sans réagir et à dégrader le rapport de force, avec comme seule perspective à l’arrivée une alternance sans aucun changement de cap politique. Mais à l’inverse une accumulation de luttes sociales qui de fait - nous venons d’en avoir la démonstration - n’aboutissent pas puisque le gouvernement de Sarkosy ne cède rien, ne saurait être dissociée d’une perspective de changement électoral et politique global. Pour résumer le dilemme il arrive de dire : « qu’il cède ou cède la place ». Mais comme il ne cède pas et ne cède pas la place non plus, immanquablement, dans la tête de toute personne normalement constituée se pose la question suivante : quels leviers utiliser pour qu’il cède la place et pour faire aboutir les exigences sociales majeures. L’échéance des élections présidentielles et législatives de 2012 – et dans une moindre mesure les élections cantonales de 2011 - mettra à l’ordre du jour qu’on le veuille ou non et ce à une échelle de masse la question de balayer la racaille sarkosiste et la droite et, en même temps, de satisfaire les revendications populaires.
La question est donc encore et à nouveau posée : comment virer la droite et mener une véritable politique de gauche ? Il importe d’avoir une réponse à la fois claire sur le programme qui doit inclure la satisfaction de ces revendications et l’engagement à défaire tout ce que la droite à mis en place en matière de régression sociale, et unitaire sur le plan de la stratégie. Pour boussole demandons nous donc ce qui renforce ou au contraire affaiblit le mouvement social et politique dans son ensemble et agissons en conséquence. Et pour cela posons nous encore quelques questions simples : une demi douzaine de candidats aux présidentielles et aux législatives de 2012, représentatifs des différents courants sous courants voire sectes en tous genres de la « gauche de la gauche » et se livrant une concurrence « libre et non faussée » pour se partager le marché électoral de la gauche de gauche, est-ce bon, pas bon ou n’en a-t-on rien à battre ? Cela va-t-il susciter l’adhésion populaire ou au contraire l’écœurement et à l’arrivée l’hégémonie maintenue du PS ( possiblement flanquée des Verts ) sur la gauche ? Cela sera-t-il jugé « globalement positif » ou au contraire irresponsable et bien révélateur de l’incapacité chronique à s’unir de la part de ceux qui prétendent constituer une alternative à la gauche du PS ? Dit autrement : l’exigence de clarté politique anticapitaliste et d’indépendance à l’égard du PS sera-t-elle conçue comme un guide pour réaliser des alliances ou un alibi pour justifier la division et l’impuissance politique de bureaucraties petites et grandes incapables de voir plus loin que le bout du nez de leur gestion boutiquière et de leur auto reproduction nombriliste ?
Repenser et actualiser la question stratégique
La réponse apportée ne résout bien sûr pas à elle seule la question complexe d’une stratégie de transformation sociale et écologique ou si l’on préfère de révolution de la société qui reste à concevoir et à expliciter. Mais elle conditionne en partie la façon dont on avance pour la résoudre. Rappelons que l’un des principes fondateurs du NPA était de reconnaître - avec une certaine sagesse - que cette question stratégique n’était pas tranchée et qu’en tout état de cause les références idéologiques historiquement datées et grosses d’interrogation sur les possibles dérives antidémocratiques du léninisme et du trotskisme - dont la destruction de l’état bourgeois et la dictature du prolétariat comme condition de toute transformation sociale d’envergure - étaient incompatibles avec la conception d’un parti large ouvert à différents courants qui ne partageaient pas forcement cette vision de la transformation sociale. La réflexion stratégique doit donc se poursuive sans prétendre à une conclusion définitive et prématurée. Ce n’est pas un luxe : très concrètement beaucoup de ceux qui partagent la critique du capitalisme s’interrogent à juste titre sur comment le renverser et aller vers un monde plus juste socialement, respectueux des écosystèmes et plus démocratique ( et éventuellement éviter qu’il ne soit pire..)
La critique de stratégies réformistes illusoires – dont celle du PG et de Jean Luc Mélanchon dans sa version « la révolution sans peine », par les urnes et « l’insurrection citoyenne » - doit se mener. La tribune de Samy Joshua et Ingrid Hayes publiée récemment dans Le Monde [4] y contribue en faisant souvent mouche et en montrant le caractère irréalisable d’un tel projet. Mais comment ne pas être frappé par l’écart entre l’ampleur de la critique et la minceur des contre propositions stratégiques alors même que ces camarades reconnaissent – excusez du peu ! - que « les élections sont d’une importance décisive pour l’expression des évolutions politiques », que « la présence institutionnelle y est un enjeu majeur » et que « la combinaison de l’activité dans ces deux sphères est à discuter » ? Arrivé au terme de la critique, est-on vraiment plus avancé ? On voit bien ce qu’il ne faut pas faire mais pas ou si peu ce qu’il convient d’entreprendre. L’aveu de l’impasse stratégique tombe en forme de couperet : « nul ne sait à quoi ressemblerait une révolution dans le futur ».
C’est sans doute en partie vrai. Dés lors pourquoi ne pas dire que si personne n’a toutes les réponses nous avons la volonté d’en débattre et d’inventer ensemble. Ce qui ne s’oppose pas à la réflexion historique et politique et, à cet égard, un certain nombre d’analogies ( Juin 36 et la grève générale avec occupation comme prélude à des conquêtes sociales que le Front populaire en lui même n’aurait jamais amené, Mai 68 dans sa déclinaison brève du cas français associant « insurrection étudiante » et grève générale ou dans le Mai rampant italien courant sur plusieurs années ), peuvent être éclairantes. [5] A condition toutefois de ne pas sacrifier la stratégie du présent à celle du passé. La combinaison dialectique de l’intervention sociale et écologique, politique et électorale dans le mouvement social et politique telle qu’ évoquée constituerait une expérimentation grandeur nature du plus grand intérêt pour enrichir et au besoin rectifier et actualiser les références passées. C’est pour l’essentiel sur la base d’une telle expérience commune qu’un « commun stratégique » pourrait alors advenir.
Le 25/11/2010
Francis Vergne