Il faut bien avouer que le succès et la radicalité de la manifestation du 10 décembre en ont surpris plus d’un. Face à une hausse massive des taxes d’étude, les jeunes Britanniques réagissaient enfin et descendaient dans la rue ! Etait-ce seulement un feu de paille ou le début d’une vaste mobilisation contre le plan d’austérité mis en place par le gouvernement britannique ? Pour rappel, ce dernier propose des mesures sans précédent, qui devraient entraîner la destruction de 500 000 à 600 000 emplois dans la fonction publique, et 600 000 à 700 000 postes dans le secteur privé. Des coupes de l’ordre de 20 % en moyenne sont également prévues dans les différents ministères.
Un désaveu du système politique
La plupart des étudiants justifiaient leur colère par le sentiment d’avoir été trahis par les Libéraux démocrates (Libdems) qui avaient promis de ne pas augmenter les taxes universitaires. Que ceux qui sont dans la rue soient les mêmes que ceux qui ont voté pour un parti prétendument de « centre gauche », qui considère le New Labour de Tony Blair et Ed Miliband comme insuffisamment libéral, voilà qui a de quoi surprendre ! Ceci illustre néanmoins l’échec du système politique anglais. Comment différencier trois partis qui en sont arrivés à tous défendre la même idéologie : le libéralisme exacerbé ? Devant cet état de fait, les jeunes ont compris que la politique ne pouvait plus qu’avoir lieu dans la rue et dans la construction de rapport de force.
Occupy ! Strike ! Resist !
La poursuite du mouvement est en partie assurée par la NCAFC (National Campaign Against Fees and Cuts), notamment via Facebook. Ce groupement se veut actif aussi bien dans les universités que dans les collèges. Sa première décision a été d’organiser une journée d’action nationale le 24 novembre pour faire suite à la manifestation du 10, dans le but d’élargir le mouvement à d’autres villes et universités de Grande-Bretagne. Ce fut une véritable réussite. Certaines estimations vont jusqu’à donner 130 000 manifestants dans tout le pays, dont surtout des étudiants, mais aussi des écoliers souvent très jeunes. Le NCAFC prévoit une nouvelle journée d’action nationale le 30 novembre. Les mots d’ordre de cette organisation sont combatifs : elle s’oppose à toute coupe budgétaire, à l’augmentation des taxes et appelle à manifester, à taxer les riches, à occuper et à faire grève pour obtenir une éducation gratuite pour tous. En ce qui concerne l’accès à l’université, rappelons que le gouvernement ne prévoit pas uniquement de renforcer la sélection par l’argent, il a également décidé de stopper d’ici 2011 son programme Aimhigher, qui vise à faciliter l’accès des jeunes issus des classes laborieuses à l’université, alors que cette mesure avait fait ses preuves.
Les étudiants anglais ont également mis en pratique une autre façon de poursuivre le mouvement à travers l’occupation d’universités. Même si ces occupations ne sont souvent le fait que de quelques centaines d’étudiants, elles concerneraient environ 25 établissements selon le NCAFC.
Elargir la lutte contre le plan d’austérité
Une des autres positions fortes de NCAFC, partagée par d’autres groupements étudiants, est la nécessité d’étendre le mouvement de protestation à d’autres catégories sociales qui font les frais du plan d’austérité. Ainsi, le NCAFC appelle à rejoindre le mouvement de grèves de 24 h prévu dans le métro londonien entre le 28 et le 29 novembre. Ce désir d’unifier les luttes n’est pas unilatéral. En effet, Len McCluskey, leader de Unite, le plus grand syndicat britannique avec 2 millions de membres, a déclaré au Guardian qu’il considérait que son syndicat devait être à l’avant-garde d’une « alliance de résistance ». Tout ceci est évidemment réjouissant, mais ce mouvement reste pour l’instant très faible face à la férocité du plan d’austérité mis en place par le gouvernement. Si la stratégie de journée d’action est capable dans un premier temps d’élargir le mouvement au niveau national, les étudiants ne peuvent se contenter d’un tel schéma et la protestation doit devenir quotidienne. Les occupations doivent prendre de l’ampleur et empêcher les universités de fonctionner. De leur côté, les syndicats anglais, au-delà des belles paroles, devraient déjà commencer par descendre dans la rue. Les perspectives de réussite d’un tel mouvement semblent minces du fait de l’absence de toute forme ou tradition d’opposition combative dans ce pays. Néanmoins, la situation est telle que tout peut arriver.
Les différents gouvernements tentent et tenteront de faire passer les mesures d’austérité pour des nécessités économiques sous couvert du nouveau mantra néolibéral de la crise alors que ces mesures sont idéologiques. Pourquoi les étudiants, les pauvres, les travailleurs devraient-ils payer une crise qu’ils n’ont pas causée ? Pourquoi devraient-ils se serrer la ceinture alors que les patrons continuent à s’en mettre plein les fouilles ? Plus que jamais, il est temps que dans chaque pays se créent de véritables forces d’opposition et que ces différents combats s’unissent au niveau européen d’abord, international ensuite. L’austérité n’est pas quelque chose d’inévitable, c’est la lutte qui est toujours nécessaire.
Pierre Raboud