Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), en 2009 « les principaux gaz à effet de serre ont atteint leurs plus hauts niveaux jamais observés depuis l’époque préindustrielle » […] Son bulletin de novembre « fait également état des préoccupations concernant le réchauffement planétaire, qui pourrait entraîner un accroissement des émissions de méthane dans les régions arctiques. »
Pour 2010, les 30 scientifiques regroupés dans Global Carbon Project publient une étude dans le magazine Nature Geoscience qui juge que les records de 2008 pourraient être dépassés, principalement à cause de la forte croissance des émissions en Inde et en Chine.
Une dégradation plus rapide que prévu
Pourtant, les études scientifiques publiées depuis celles qui sont prises en compte dans le dernier rapport du GIEC — qui dataient au mieux de mi-2006 — indiquent que le changement climatique est en train de se produire plus rapidement qu’on ne le pensait il y a quelques années. Trois points au moins viennent assombrir le diagnostic :
a) le retrait de la banquise arctique estivale est plus prononcé que ce que prévoyait le GIEC. En septembre 2007, la mer de glace a connu une étendue minimum de 4,2 millions de km2, loin de la moyenne de 6,5 millions de la période 1979-2000 ;
b) le glissement des glaciers du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest n’était pas pris en compte dans le calcul de l’élévation du niveau de la mer. Les récents travaux d’Isabella Velicogna (Université de Californie, à Irvine) montrent que les deux inlandsis perdraient actuellement ensemble près de 500 milliards de tonnes de glace par an, le double de ce qu’ils cédaient dans la première moitié de la décennie. L’augmentation prévisible du niveau des mers passe ainsi dans une fourchette entre 50 et 150 cm en 2100, avec d’importantes disparités régionales ;
c) l’acidification des océans n’était pas prise en compte dans le rapport du GIEC. Aujourd’hui confirmée, ses effets à moyen et long terme, en particulier sur le phytoplancton, font l’objet de recherches et de débats.
Comme le système climatique fonctionne avec inertie, les mesures à prendre sont d’autant plus urgentes. Stefan Rahmstorf, professeur d’océanographie physique à l’Université de Postdam et incidemment conseiller du gouvernement allemand sur le climat, rappelle que, selon une étude de la revue Nature, « nous pouvons nous permettre d’émettre 700 milliards de tonnes de carbone dans les prochaines quarante années en restant sous la limite des 2° c d’augmentation des températures. Au rythme actuel des émissions actuelles, nous émettrions ce montant en une vingtaine d’années environ. Nous devrons donc passer d’un régime d’augmentation des émissions à un régime de baisse des émissions d’ici cinq à dix ans. » (Le Monde, 27.11.10). Même si l’on peut avoir des doutes sur le respect de la limite de 2° c, dont le dépassement serait déjà « dans le pipe-line », il n’empêche que l’exigence est là : le rythme d’émission est deux fois trop fort. La revendication d’une diminution de 40 % des émissions d’ici 2020 (en se référant au volume de 1990 !) dans les pays industrialisés est donc une nécessité absolue. Or aucun pays ne s’y engage véritablement.
Une conférence condamnée aux petits pas formels
La conférence de Caucún ne changera pas grand-chose sur ce point, même si la coalition de 77 pays en développement, emmenée par la Chine, arrive à contraindre les Etats-Unis à adhérer à la prolongation du protocole de Kyoto. Un résultat qui paraît douteux, le Congrès américain ayant, avant même les élections de mi-mandat et la poussée républicaine, renoncé à un projet de loi sur le climat.
Dès lors, on peut aussi s’interroger sur la stratégie des grandes organisations de défense de l’environnement, regroupée dans le Réseau Action Climat. Incontestablement, nous partageons avec elles l’objectif d’un accord multilatéral contraignant ; pour autant, nous ne nous associons pas à leur choix prioritaire d’un travail de lobbying dont l’efficacité reste, depuis Copenhague, largement sujette à caution. Surtout, la confiance qu’elles placent dans les mécanismes de marché et les organismes financiers internationaux semble démesurée, même en prenant en compte leurs revendications de transparence, d’équité et de sécurité.
Comme le dénonce l’Assemblée européenne pour la justice climatique, le risque est bien réel de voir les discussions de Caucún « être utilisées par les pays riches et industrialisés, par les multinationales, par les institutions financières internationales (comme la Banque Mondiale) pour continuer à diviser et à privatiser ce qu’il reste de notre atmosphère et pour imposer leurs fausses solutions : les agrocarburants, le nucléaire, les OGM et les mécanismes de marché tels que les « compensations carbone » ou l’intégration des forêts dans le marché du carbone ». Cette Assemblée, qui se déroulera du 26 au 29 novembre à Bruxelles et qui discutera entre autres d’un message à la conférence de l’ONU, répond à l’appel lancé par Via Campesina pour « un millier de Caucún », cosigné par la Marche mondiale des femmes et les Amis de la Terre International. A Caucún même, une grande manifestation paysanne aura lieu le 7 décembre.
Daniel Süri