Depuis juillet 2005, 311 mineurs de la mine d’or de Morila sont en grève. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ce conflit ?
Oumar Mariko - Avant tout, il a été question des primes de rendement versées aux mineurs. Le contrat prévoyait l’exploitation de la mine pendant onze ans. Or, au bout de trois ans, on s’est aperçu qu’au rythme où l’or était extrait, le gisement risquait d’être épuisé en cinq ans. Le syndicat des mineurs a porté plainte et gagné le procès contre la société exploitante, la Somadex, filiale de Bouygues ayant des capitaux maliens. Le gouvernement malien s’est opposé au jugement. Celui-ci n’a jamais été appliqué et a déclenché une féroce répression. Le secrétaire du comité de grève a été accusé de détournement d’argent et certains syndicalistes se sont laissés corrompre, provoquant la division syndicale et l’explosion du comité de grève. La centrale syndicale a déclaré la grève illégale et l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) a abandonné les travailleurs à leur sort. Aujourd’hui, les grévistes, organisés dans un nouveau comité, se battent pour la sauvegarde de l’emploi, l’amélioration des conditions de travail, pour l’augmentation du salaire des mineurs, la réintégration des 300 grévistes licenciés et la libération de ceux qui sont emprisonnés.
Des mineurs ont-ils été arrêtés ?
O. Mariko - Oui, les autorités ont fait brûler deux cars devant la gendarmerie locale en attribuant l’acte aux grévistes. 30 mineurs ont été arrêtés. Depuis plus de six mois, neuf d’entre eux sont emprisonnés dans des conditions très difficiles. Selon l’avocat qui suit l’instruction, il n’y a rien dans le dossier d’accusation. D’autant que la société qui possède les cars a porté plainte contre X. Cet acte incendiaire, stratégique, visait, en fait, à accuser et à emprisonner les dirigeants syndicaux, le but étant de maintenir les plus combatifs à l’écart.
Quels sont les liens entre les dirigeants du Mali et les multinationales qui exploitent l’or ?
O. Mariko - Le fils de Konaré, ex-président de la République, possède les cars de transports - ceux qui ont brûlé - de la mine. Il y a complicité entre la société minière et les autorités, surtout quand on sait que la justice a tranché en faveur des ouvriers. Le ministère des Mines s’est opposé à la décision. Le pillage financier est également important. L’État malien n’a aucun contrôle visible sur la quantité d’or qui, extraite de la mine, part directement en avion via Abidjan. L’État se contente de prendre 20 % de ce que la société déclare. Or, avec le coton, l’or est actuellement la seule source de revenus pour l’État, car tout a été privatisé. Il y a aussi très peu de retombées financières pour la localité. À Sansou, ville voisine, il n’y a pas d’électricité hormis pour la mine, les maisons d’expatriés, la mairie et la mosquée. Il n’y a pas d’eau courante non plus.
À ce désastre économique, il faut ajouter la catastrophe écologique qu’occasionne le retournement de la terre. Exploitée à ciel ouvert, la mine fera dans le paysage, à terme, un trou de un kilomètre de large sur un kilomètre de profondeur. Par ailleurs, l’utilisation du cyanure, qui pollue l’eau des villages voisins, aura des conséquences graves sur la population : une étude d’une ONG belge a décelé des taux d’arsenic bien supérieurs aux normes admises.
Comment peut-on soutenir les grévistes et leurs familles
O. Mariko - Il faut arriver à articuler cette lutte avec d’autres secteurs en lutte, comme les cheminots du Cocidirail, les paysans de l’office du Niger et des zones cotonnières. Il faut soutenir l’action judiciaire déclenchée par Maître Amadou Diarra et la Ligue pour la justice et les droits de l’Homme (LJDH) pour créer un consortium d’avocats militants afin de décrypter les contrats qui lient l’État malien aux multinationales de l’or, dresser un cahier des violations des droits humains et des destructions écologiques dont ils sont responsables. Je pense que le travail d’information avant, pendant et après le Forum social de Bamako, commence à faire tâche d’huile avec la création, à Paris et à Bruxelles, d’un comité de soutien aux mineurs. Il faut saluer l’internationalisation de la lutte des mineurs de Morila. Il s’agit maintenant de développer la solidarité. Le soutien financier est aussi important, ainsi que les pressions exercées contre Bouygues en France. Il s’agit ni d’assistanat, ni de charité, mais de permettre aux combattants de souffler un peu.
Pouvez-vous nous parler du Sadi et du soutien que cette organisation apporte à la lutte ?
O. Mariko - Le parti Sadi a été créé à la suite de la trahison du mouvement démocratique qui a renversé la dictature en mars 1991. C’est un parti de gauche révolutionnaire en construction, voulant allier les luttes sociales aux combats dans les urnes. Nous nous sommes fermement opposés à la privatisation du secteur public, pour que l’État protège les intérêts nationaux contre les multinationales. Parce que la lutte à l’échelle du Mali ne peut être séparée de sa dimension africaine, nous nous sommes ouverts aux autres courants politiques anti-impérialistes. Nous avons été le premier parti politique à prendre contact avec les ouvriers de Morila et à inciter nos militants à s’impliquer dans ce mouvement. Nous avons même été jusqu’à exclure du parti l’un de nos militants, responsable syndical à la mine, qui refusait la grève. Nous sommes du côté des mineurs, avec un soutien politique et matériel, tout en prenant garde de respecter l’indépendance du comité. Nous invitons donc tous ceux et toutes celles qui se sont mobilisés contre le néolibéralisme et le capitalisme à chercher à comprendre les luttes de classe, qui se déroule en ce moment au Mali.