Les rencontres Asie-Europe (ASEM) ont commencé en 1996. Elles réunissent tous les deux ans les chefs d’Etats de l’Union européenne (plus la Commission) et de la plupart des pays d’Asie orientale (Japon, Chine, Corée du Sud, ASEAN - moins la Birmanie). De nombreuses réunions se tiennent entre ces sommets ; c’est ce que l’on appelle le « processus ASEM » qui est conduit dans la plus grande opacité, comme si nos gouvernants seuls étaient concernés par l’évolution des rapports entre l’Ouest et l’Est du Vieux Continent. Les hommes d’affaires sont certes invités à participer à ce processus, mais pas la société civile. Syndicats, mouvements sociaux ou citoyens et ONG se rappellent néanmoins régulièrement au bon souvenir des chefs d’Etats en se mobilisant activement lors des sommets, avec une force croissante. Il y eu le sommet de Bangkok en 1996 (ASEM 1), celui de Londres en 1998 (ASEM 2) et dernièrement celui de Séoul en octobre 2000 pour ASEM 3 (voir le précédent article publié dans le « Grain de Sable » sur le Forum alternatif, les meetings et les manifestations qui se sont alors déroulées dans la capitale sud-coréenne).
Les parlements eux-mêmes sont tenus à l’écart du processus ASEM. C’est pour l’essentiel vrai des parlements nationaux, et aussi du Parlement européen alors pourtant qu’il s’agit d’une initiative politique de l’UE. La Commission européenne pilote le « processus », le Conseil des ministres décide de son contenu... et les parlementaires en sont réduit à revendiquer leur droit à l’information, à exiger plus de transparence comme de simples militants syndicalistes ou associatifs ! Ainsi, il n’était pas prévu de discuter au Parlement européen du troisième sommet ASEM avant qu’il ne se réunisse à Séoul les 20 et 21 octobre 2000. Il a fallut que la Délégation Corée - -Asie du Sud-Est d’une part et le groupe de la Gauche unitaire européenne / Gauche verte nordique d’autre part interviennent pour que le point soit finalement inscrit à l’ordre du jour de la session du début octobre, dans les « urgences ».
Le réseau associatif préparant le Forum alternatif de Séoul s’est adressé aux élus mais avec, il faut le reconnaître, un succès mitigé. L’échec annoncé de la conférence intergouvernementale de Nice a mobilisé l’attention, ainsi que la situation en Palestine ; quant à la présidence française, elle est restée muette sur le sommet ASEM 3 malgré ses responsabilités particulières. Un certain nombre d’élus se sont néanmoins rendu en Corée du Sud pour affirmer leur solidarité avec les objectifs du Forum alternatif. Ce fut notamment le cas de l’ancien ministre socialiste des Affaires étrangères d’Irlande, David Andrews, de la députée malaisienne Fong Po Kuan (du Parti d’action démocratique), de Teddy Buri (membre NCUB du Parlement birman en exile), d’une sénatrice thaïlandaise et de Roseline Vachetta, députée européenne de la LCR française. D’autres parlementaires ont dû renoncer à venir comme prévu, à cause de la crise politique ouverte dans leur pays. Ce fut en particulier le cas pour la Thaïlande et, surtout, les Philippines avec la mise en cause du président Estrada dans une affaire de corruption (vous avez bien lu « Phililippines », pas « France »).
Ces parlementaires ont préparé la mise en place d’un réseau d’élus progressistes dans les pays d’Europe occidentale et d’Asie orientale, pour mieux préparer le sommet ASEM 4 qui se tiendra en 2002 au Danemark. Ils ont aussi été reçu pour un petit-déjeuner à l’Assemblée nationale sud-coréenne par une dizaine de députés représentant le Parti démocratique du Millénaire (celui du président Kim Dae-jung) et du Grand Parti national (conservateur, qui détient la majorité relative à l’Assemblée). A l’issue de ce petit-déjeuner, un appel a été lancé pour que les parlements se mobilisent avant le prochain sommet danois et vivifient le processus ASEP (à savoir, le dialogue interparlementaire qui devait accompagner les rencontres ASEM et qui n’a encore jamais pris corps).
Il y a en fait, ici, deux niveaux pertinents d’intervention. Le processus ASEM est à ce jour parfaitement non-démocratique. Pour le rendre plus démocratique, l’une des mesures (mais pas la seule) à imposer, c’est que les parlementaires et les assemblées élues soient pleinement informées et aient réellement leur mot à dire en ce domaine ; en Europe ni la Commission ni le Conseil ne souhaitent. Sur ce plan, toutes les groupes parlementaires peuvent se retrouver tant il est humiliant et injustifiable que les élus soient tenus à l’écart des relations entre Etats. Mais sur un autre plan, concernant le contenu du processus ASEM, les désaccords sont patents entre courants et options politiques. Ce qui s’est clairement exprimé lors du vote, le 4 octobre, d’une résolution sur ASEM 4 par le Parlement européen.
Une fois que le point ASEM a été inscrit à l’ordre du jour du la première session d’octobre, la Délagation Corée - Asie du Sud-Est et chaque groupe parlementaire ont préparé leur propre projet de résolution. Puis, comme c’est généralement le cas au Parlement européen, une « résolution commune » (présentée par tous les groupes, ou par plusieurs d’entre eux) a été négociée. Quand cette dernière est adoptée (ce qui fut le cas), les résolutions particulières ne sont plus soumises au vote. Or, si un accord s’est facilement manifesté pour exiger que le processus ASEP (interparlementaire) soit enfin mis en œuvre, il n’en a pas été de même sur les objectifs assignés au sommet ASEM 3 de Séoul.
La Commission européenne a été obligée de présenter un rapport au Parlement sur ASEM 3. La résolution adoptée mentionne le Forum alternatif de Séoul et appuie l’une de ses principales revendications, la reconnaissance d’un « forum social » où puisse s’exprimer les exigences populaires (nous y reviendrons ultérieurement) ; elle défend un certain nombre de causes humanitaires et exige plus de transparence, plus de démocratie. Toutes choses positives. Mais elle donne aussi comme pour horizon au sommet de Séoul toujours plus de libéralisation économique, toujours plus de privatisations et toujours plus de pouvoir reconnus à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle soutient en conséquence les objectifs néolibéraux déjà définis par la Commission européenne et s’inscrit dans le processus en cours de recolonisation économique du monde par les capitaux occidentaux. Rappelons, en ce qui concerne la France, qu’à la faveur des crises financières de 1997-1998, Danone a par exemple racheté pour une bouchée de pain la principale entreprise d’eau indonésienne et Renault a pris le contrôle du sud-coréen Samsung Motors (après avoir capturé le Japonais Nissan).
En principe, le processus ASEM devrait concerner le terrain politique et culturel, aussi bien qu’économique. En pratique, l’attention des chefs d’Etat - et des hommes d’affaires - ne s’est concentré que sur ce dernier domaine (même si les questions de sécurités tendent aussi à prendre aujourd’hui de l’importance). Le credo néolibéral de la résolution adoptée par le Parlement européen touche donc au cœur du processus ASEM - cela même contre lequel nous nous mobilisons en solidarité avec les mouvements populaires d’Asie oriental.
Il ne suffira donc pas, dans la perspective d’ASEM 4, d’exiger en général plus de transparence et de démocratie. Il faudra aussi intervenir sur le contenu du processus intergouvernemental. Le réseau des parlementaires progressistes doit y contribuer.