SOS Racisme est née il y a 25 ans de la conscience de militantes et de militants que le racisme se développait à nouveau et de leur volonté de le combattre. Malgré d’importants succès, pas plus en Suisse qu’en France, SOS Racisme ni d’autres organisations, ne sont parvenues à empêcher sa croissance.
Comprendre pourquoi est essentiel à l’avenir de notre lutte.
Au milieu des années 1980, en Suisse et en Europe, cette nouvelle génération dispose de quatre points de repère : la lutte pour les droits civils aux Etats-Unis ; la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud ; les luttes de libération nationale qu’ont parfois vécues leurs parents et auxquelles ont pris part des courants minoritaires de la gauche européenne ; la condamnation du nazisme et du racisme antisémite consécutive à sa défaite.
Souvent « issue de l’immigration » cette génération prend appui sur cette condamnation pour revendiquer les droits politiques et combattre les discriminations.
Si les nouvelles formes du racisme naissent de réalités nouvelles dans un monde différent, le seul message compris en Europe sera le refus de la réémergence de l’extrême-droite nationaliste et raciste des années 1930 et 1940.
Deux croyances empêchent de développer la politique contre le racisme qu’il fallait inventer. Celle que le racisme se limite à un phénomène d’extrême-droite et celle que sa condamnation morale ou pénale lui fera obstacle.
En Suisse, ACOR SOS Racisme est la seule organisation à avoir tenté une autre voie. De façon empirique elle valorise le travail de terrain, la défense effective des victimes, la mise en évidence des formes que prend le racisme. Elle valorise le débat sur l’histoire et la mise en cause des institutions et documente sa contribution au changement des mentalités. Elle se heurte à l’hostilité des milieux nationalistes et xénophobes, à l’indifférence des forces politiques qui partagent ses valeurs.
La Déclaration universelle des droits humains
La Déclaration universelle des droits humains de 1948 est fondée sur la conviction que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Selon elle, tous « sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Selon elle « chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés (qu’elle proclame) sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
Il faudra attendre 1965 et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale pour voir enfin formulé un ensemble de mesures contribuant à cet objectif. Cette dernière toutefois ne développe aucune analyse du racisme, de l’obstacle qu’il oppose à l’émancipation de l’humanité ni de la politique à mener pour le renverser.
L’absence d’une volonté politique anticoloniale pour redistribuer la richesse mondiale au profit des ex-colonies pillées, pour assurer ce développement que promettait leur « indépendance » explique cette carence. Pas plus que l’étreinte coloniale ou néocoloniale n’étaient combattus les préjugés qui justifient l’oppression infligée à ses victimes.
La Suisse ratifie cette Convention en 1994, trois ans après avoir adopté sa politique des étrangers qui l’a conduite à se fermer aux « ressortissants des pays qui n’ont pas les idées européennes au sens large » [1]. Logiquement elle refuse l’engagement « de ne se livrer à aucun acte ou pratique de discrimination raciale contre des personnes, groupes de personnes ou institutions » [2].
Renouveau du racisme au milieu des années 80. Comment et pourquoi ?
Les restes des fascistes des années 1930 qui ont conservé une audience anticommuniste pendant la guerre froide, saisissent les premiers l’intérêt de ce nouveau racisme par lequel ils espèrent revenir au cœur de la vie politique qui les a marginalisés. Les grands partis gouvernementaux ne percevront l’intérêt de leur choix 10 à 20 ans plus tard.
Créé par des guerriers battus, avides de revanche, loin des moyens qu’apportent aux partis gouvernementaux leur participation au jeu démocratique, le Front national de Jean-Marie Le Pen comprend le premier la puissance du nouveau racisme. Son fascisme l’empêchera d’en récolter des fruits que cueilleront plus tard Sarkozy et les siens.
Que comprend Jean-Marie Le Pen ?
• Que la gauche institutionnelle ne pourra plus croître, la classe dominante ayant rompu le consensus de la démocratie sociale elle s’attaque à l’Etat social. Avec le « tournant de la rigueur », le deuxième gouvernement de François Mitterrand illustre cette régression en mars 1983,
• Que la « préférence nationale » substitue une définition identitaire du vivre ensemble à la citoyenneté,
• Que faute de nationalisme guerrier l’« Überfremdungsdiskurs » suisse [3] arme efficacement le nationalisme xénophobe. Sarkozy l’a suivi,
• Que l’immigration et tout particulièrement l’immigration algérienne (arabe, musulmane), peut être accusée d’envahir la France que l’Algérie a affaiblie en gagnant son indépendance.
Au fil des années 1990 puis des années 2000 les partis gouvernementaux européens ont tous pris conscience que leurs assises institutionnelles sont fragilisées dans leurs Etats-nations par les changements auxquels ils contribuent.
Le rétrécissement de l’assiette fiscale, le démantèlement des législations sociales et du service public disqualifient le parlement comme représentation de la nation. Sur quelle base concevoir la nation ? A défaut d’horizon social que faire sinon céder aux sirènes identitaires ?
La gouvernance de l’économie internationale, qu’imposent les entreprises transnationales et les organismes supranationaux qui dominent les partis gouvernementaux, réduit l’influence des Etats-Nations et contribue à leur discrédit en tant qu’expression de l’intérêt collectif.
Ces deux évolutions ouvrent la voie à la banalisation du racisme identitaire qui se substitue de façon performante à une société lorsque ses autorités ont déchiré le contrat social qui la constituait.
A ces enjeux nationaux s’ajoutent des enjeux internationaux
Les grands intérêts impérialistes et colonialistes ajoutent leurs exigences aux électoralismes racistes des partis et au besoin de stabilité des administrations.
La concurrence internationale entre les blocs impérialistes fait croître l’importance de leurs zones respectives d’influences coloniales dans l’exploitation des ressources du tiers monde.
Cette même concurrence stimule des affrontements inter impérialistes entre les différents blocs, des guerres régionales.
L’islamophobie aujourd’hui :
• est un commode justificatif aux guerres pour l’encerclement de la Chine ou de la Russie, aux guerres pour le contrôle du pétrole, aux guerres pour la prééminence occidentale (blanche). Racistes, les guerres de pillage colonial ont toutes été menées au nom de prétendus projets civilisateurs [4],
• est le paradigme de la justification du nouveau élan colonial. L’islam animant la principale idéologie non-occidentale présente dans les régions du monde soumises à nouveau au joug colonial,
• satisfait les intérêts de la politique intérieure européenne, qui légitime « notre civilisation occidentale ou judéo-chrétienne » en opposant ses valeurs aux migrants stigmatisés comme « envahisseurs » et les intérêts coloniaux ou impérialistes à soumettre leurs pays d’origine. Les pays européens comportent aujourd’hui une immigration d’origine musulmane qui peut être stigmatisée comme islamiste.
Ce nouveau racisme refuse les droits humains aux ressortissants de pays dont les droits à l’indépendance, au contrôle de leurs institutions ne leur sont plus reconnus,
Il fantasme un ennemi étranger pour propager une supposée civilisation européenne qui évite la création d’un Etat démocratique européen et confère à la bourgeoisie de ce continent un pouvoir accru dans sa course au pouvoir sur le marché mondial,
Il désigne un exutoire à la colère populaire. Le combat contre l’autre envahisseur promet à ceux qu’il mobilise les logements, les emplois, les prestations sociales de ces étrangers qu’il se propose d’expulser.
Le manque d’expérience et de volonté politique pour lutter contre le racisme ont permis
• de restaurer des préjugés coloniaux qui contribuent à la force du racisme,
• de donner à l’islamophobie les formes qui étaient celles de l’antisémitisme des années 1930. La dénonciation de « l’antination » envahissante. Les Juifs étaient peu nombreux et en grand danger, l’avenir l’avait montré. Les musulmans sont nombreux et subissent trois aujourd’hui trois guerres en Afghanistan, en Irak, en Palestine.
A l’inverse les mouvements de masse actuels au Maghreb sont une formidable promesse d’avenir.
Ce sont des mouvements sociaux et démocratiques là où la classe ouvrière européenne est en pane de projets démocratiques pour appuyer ses luttes sociales.
Ils revendiquent précisément ces revendications démocratiques dont l’Europe prétend que c’est pour les valoriser qu’elle méprise ces peuples.
L’Occident protège visiblement ces dictatures antidémocratiques pour conserver les privilèges qu’elles lui assurent au détriment des valeurs que l’occident prétend promouvoir.
En Algérie il y a 37 millions d’Algériens et plus de 5 millions en France. Qui peut croire qu’après le formidable mouvement social qu’a connu la France ces mouvements sociaux et démocratiques ne trouveraient pas les chemins d’une solidarité complémentaire
Karl Grünberg, 12 janvier 2011
Inventing human rights – A l’invention des droits humains
Avant même la fin de la guerre les Alliés, et particulièrement les Etats-Unis, l’Union soviétique et la Grande Bretagne, décidèrent d’améliorer la Société des Nation. Une conférence tenue à San Francisco au printemps 1945 conçut les bases d’une nouvelle organisation internationale, les Nations Unies. Elle comporterait un Conseil de sécurité dominé par les grandes puissances, une assemblée générale de délégués de tous les pays membres et un secrétariat dirigé par un secrétaire général. La rencontre prévut aussi une cour internationale de justice à La Haye pour remplacer la cour semblable que la Société des nations avait instituée en 1921. Cinquante et un pays signèrent la charte des Nations Unies en tant que membres fondateurs le 26 juin 1945. [5]
Malgré les preuves de plus en plus évidentes des crimes nazis contre les Juifs, les Gitans, les slaves, d’autres encore, les diplomates réunis à San Francisco subirent des pressions pour que la question des droits humains ne soit pas mise à l’ordre du jour. En 1944, la Grande-Bretagne et l’Union soviétique avaient rejeté des propositions d’inclure les droits humains dans la charte des Nations Unies.
La Grande Bretagne craignait qu’une telle avancée n’encourage les mouvements de libération de ses colonies, et l’Union soviétique ne voulait pas qu’elle interfère dans la croissance de sa sphère d’influence.
De plus, les Etats-Unis s’étaient opposés dès le début à la suggestion de la Chine que la charte comporte une déclaration sur l’égalité des races.
La pression vint de deux directions différentes. Beaucoup de petits et de moyens pays d’Amérique latine et d’Asie, en partie parce qu’ils déploraient la lourde domination des grandes puissances sur les travaux de la conférence, réclamaient qu’on accorde plus d’attention à la question des droits humains.
De plus, une multitude d’organisations religieuses et syndicales, féminines et de défense des droits civils, pour la plupart basées aux Etats-Unis firent pression sur les délégués de la conférence. L’insistance manifestée par les représentants de l’American Jewish Committee (comité juif américain), du Joint Committee for Religious Liberty (comité mixte pour la liberté religieuse), du Congress of Industrial Organizations (CIO – Congrès des organisations industrielles) et de la National Association for the Advancement of Coloured People (NAACP, l’association nationale pour l’avancement des gens de couleur) ont fait évoluer les fonctionnaires du State Department (Département d’Etat).
L’Union soviétique et la Grande Bretagne acquiescèrent parce que la charte garantissait la non-intervention des Nations Unies dans les affaires intérieures d’un pays.
La reconnaissance des droits humains était encore loin d’être assurée. La Charte des Nations Unies de 1945 insistait sur les questions de sécurité internationale et ne consacrait que quelques lignes « au respect universel de, à l’observance de, aux droits humains et aux libertés fondamentales pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ».
Mais elle mit en place une Commission des droits humains qui décida que sa tâche consistait à rédiger un projet de déclaration des droits humains. Présidente de la commission, Eleanor Roosevelt (femme du président des Etats-Unis) a joué un rôle central pour permettre la rédaction de ce projet puis pour assurer qu’il trace son chemin à travers un complexe processus d’approbation.
John Humphry, professeur de droit de l’université Mc Gil au Canada, prépara un projet préliminaire. Il devait être révisé par l’ensemble de la commission, circuler parmi tous les Etats membres, être relu par le Conseil économique et social et, pour le cas où il serait approuvé, être transmis à l’Assemblée générale où il serait tout d’abord examiné par la Troisième commission des affaires sociales, humanitaires et culturelles.
La Troisième commission comportait des délégués de chaque Etat membre et, lors de la discussion du projet, l’Union soviétique a proposé des amendements sur pratiquement chacun de ses articles. 83 réunions de la seule Troisième commission se sont tenues et 170 amendements plus tard le projet fut soumis au vote. Le 10 décembre 1948, enfin, l’assemblée générale adoptait la Déclaration universelle des droits humains.
Quarante huit pays votèrent en sa faveur, huit pays du bloc soviétique s’abstinrent. Aucun pays ne s’y opposa [6].
GRÜNBERG Karl