Le développement des grèves
En décembre 2006 commence, à Mahalla, une grève suivie par 24 000 travailleurs à l’entreprise textile publique de Mahalla al Kubra, et plusieurs autres milliers dans différentes autres usines textiles publiques. Les revendications concernent principalement les salaires. Ce mouvement est la première d’une nouvelle série de grèves dans toute l’Égypte, portant essentiellement sur les questions de salaire et de couverture sociale.
On assiste en ce moment à une métamorphose au sein du monde du travail : ce ne sont plus seulement les revendications matérielles qui sont mises en avant, mais également les droits politiques et sociaux.
Une des luttes primordiales concerne la privatisation du secteur public, où travaille la majorité des salariés du segment filature de la filière textile. Ces privatisations entraînent des vagues massives de licenciements et d’attaques sur le droit de grève. Par exemple, une des plus importantes usines de textile a été privatisée récemment. Les salariés ont déclenché une grève, la répression s’est abattue sur eux et certains des leaders du mouvement se sont retrouvés à la porte.
Dans deux usines privées, l’autogestion est en discussion comme alternative à la fuite pure et simple des patrons.
C’est un moment de vérité où les travailleurs en grève manifestent leur désaccord avec le syndicat officiel qui ne participe pas à ces luttes.
C’est dans ce contexte que se situent les tentatives de créer des syndicats autonomes. La seule ayant réussi, pour l’instant, concerne le secteur des impôts fonciers.
La grève des impôts fonciers
Kamal Abu Aita, l’actuel Président du nouveau syndicat autonome, a été membre pendant 25 ans du syndicat officiel des impôts fonciers, dont il était devenu le secrétaire général. Lorsque le syndicat présentait des revendications, il devait faire face à l’hostilité de la direction de la confédération. Des travailleurs ont donné leur démission du syndicat, mais cela leur a été refusé [1].
En 2007, 50 000 des 55 000 fonctionnaires des impôts fonciers (signent une pétition pour créer leur propre syndicat et) se mettent en grève, sur tout le territoire. Rattachés aux Gouvernorats [2] = « Régions »), il exigent notamment l’alignement de leurs rémunérations sur les autres fonctionnaires des Finances, qui eux, sont rattachés à l’Etat central. La centrale syndicale officielle s’oppose à la grève et joue le rôle d’interlocuteur auprès des grévistes à la place de l’Etat. Face à cela, un comité de grève est crée dans chacune des 29 provinces et un comité national de grève est mis sur pied.
La grève a commencé localement par le refus d’enregistrer les déclarations fiscales des citoyens. En septembre 2007, un sit-in est organisé devant le Ministère des Finances, ce qui est absolument interdit en Egypte. Suit une manifestation de 24 km entre le Ministère et le Conseil du gouvernement. Elle se poursuit par un sit-in de 48 h, avec l’exigence d’être reçus par le Ministre des finances qui est souvent en voyage à l’étranger. Un sit-in de 48 heures est également organisé devant le siège du syndicat officiel.
Le pouvoir ne donnant toujours pas de réponse, un nouveau sit-in a lieu 15 jours plus tard devant le Conseil du gouvernement avec 13 000 participants. C’est un véritable évènement pour ce régime policier. Une grève illimitée commence alors, elle durera 11 jours.
Pendant cette période les rues sont bloquées jour et nuit par un sit-in devant le Conseil du gouvernement. Il s’agit d’un point névralgique : le Conseil est près de l’ambassade américaine. Les participant(e)s proviennent de toutes les provinces. Certain(e)s ont parcouru plus de 1 200 km pour venir. On y retrouve sur un pied d’égalité des hommes et des femmes, appartenant à différentes religions et de toutes les tendances politiques.
Au 7e jour, le Ministre des finances accepte de recevoir une délégation, mais exige la levée du sit-in avant tout dialogue. La délégation répond que c’est aux grévistes de décider, et un vote à ce sujet est organisé dans la rue. Une seule personne vote pour la levée du sit-in, et celui-ci continue.
Le Ministre, qui a précédemment travaillé au FMI, essaye alors de contourner le problème en prétendant que le pouvoir égyptien ne pouvait rien faire, que le problème était international, etc. Le 11e jour, il finit par donner son accord de principe sur les revendications, les grévistes exigent une conférence de presse avec déclaration publique du ministre. Ils obtiendront finalement une hausse d’environ 300% de leurs salaires et leur rattachement au Ministère des finances et non plus aux Gouvernorats (= « Régions »).
La création du syndicat indépendant des impôts fonciers
Dès la fin de la grève, le comité national de grève, où sont représentés les comités de grève de tous les Gouvernorats, décide de constituer un nouveau syndicat national. Celui-ci est « un bébé dont la mère est la grève ».
– Ce syndicat est indépendant des institutions syndicales pro-gouvernementales.
– Les adhésions y sont libres, contrairement aux syndicats officiels.
– Les instances sont élues et mandatées démocratiquement, les mandats émanent d’abord des sections locales.
– Il y a aussi des règles bien définies pour le renouvellement des représentants, ce qui n’existe pas dans les autres syndicats.
En avril 2009, le gouvernement finit par reconnaître le nouveau syndicat. Celui-ci compte aujourd’hui 40 000 membres parmi les 43 000 salariés actuels des impôts fonciers [3].
L’exemple des impôts a fait tâche d’huile : en décembre 2008, par exemple, 15 000 adhérents du syndicat de journalistes manifestent pour une revalorisation de leur salaire et obtiennent satisfaction. Près de 2 millions de retraités sont prêts à s’organiser dans un cadre syndical indépendant, il en va de même dans le secteur de l’éducation et des transports en commun.
La politique répressive du pouvoir
– Comme en Algérie, il créé des syndicats « clones », c’est-à-dire des structures se proclamant également « syndicats indépendants », mais qui sont en réalité à la solde du pouvoir. Ces « syndicats » ont pour but de créer la confusion et discréditer le véritable syndicalisme indépendant : le pouvoir a même fait adhérer à un syndicat « clone » des travailleurs n’appartenant pas au secteur concerné !
– Le pouvoir s’est aussi servi des médias pour dénigrer le nouveau syndicat des impôts fonciers, en expliquant qu’il ne renforçait pas la classe ouvrière, mais au contraire la divisait.
– Le harcèlement de la part de leur hiérarchie est incessant.
– Les pressions policières sont aussi multiples (surveillance permanente, contrôles, convocations dans les commissariats...).
– Le pouvoir a de plus refusé au syndicat l’ouverture d’un compte bancaire.
L’action du CTUWS
Le syndicat égyptien des impôts fonciers a été, dès le début, soutenu par le CTUWS [4] (Center for Trade Union & Workers Services) dont on peut traduire le nom par « Centre de support au syndicalisme et aux travailleurs ». Cette association indépendante, créé en 1990, fournit aide, services juridiques et logistique aux militants ouvriers . [5] C’est grâce au CTUWS que les autonomes des impôts ont pu constituer et déposer les statuts du syndicat. Le CTUWS aide aussi les tentatives de constitution d’autres syndicats autonomes dans de nombreux autres secteurs, comme en ce moment dans celui de la presse.
La nécessaire solidarité internationale
Avant la rencontre de Marseille, les seuls contacts internationaux du syndicat des impôts fonciers étaient les syndicats autonomes algériens [6] ainsi que l’Internationale des services publics (ISP) [7] à laquelle le nouveau syndicat a adhéré.
La solidarité internationale que demandent les autonomes des impôts n’est pas d’ordre financier. Ils ont par contre besoin d’une pression sur le gouvernement égyptien pour qu’il cesse son action contre les syndicalistes indépendants, afin que ceux-ci puissent se développer. Les autonomes ont également des besoins dans le domaine de la formation syndicale.
Kamal Abu Aita