Le 21 avril 2009 marque une avancée historique dans la lutte des classes en Egypte. Après 51 ans d’absence d’indépendance syndicale, les fonctionnaires collecteurs de la taxe foncière ont pu officialiser le premier syndicat indépendant, le Reta. Le nouveau syndicat compte 40 000 membres sur environ 55 000 employés dans le secteur. Cet événement constitue un pas décisif dans un contexte marqué par la montée des luttes sociales.
Les syndicats dominants sont affiliés au pouvoir, en héritage du système nassérien. Ils constituent un obstacle à la mobilisation des travailleurs. En effet, ils condamnent souvent les grèves, car elles sont illégales, ce qui a été le cas des collecteurs de taxes qui ont entamé une grève de trois mois ainsi qu’un sit-in de 11 jours devant le Ministère des finances en décembre 2007. Au cours de la lutte, il est apparu évident pour l’ensemble des travailleur-euse-s de rester organisé-e-s, à distance du gouvernement et de sa bureaucratie corrompue. Officieusement, le syndicat existait sous forme de comités au moment où la grève prenait de l’ampleur, et il a fallu un an et des protestations massives devant le Ministère du travail pour le faire reconnaître.
Sur le même modèle que les collecteurs de taxes, et par l’ampleur qu’a pris la grève dans le secteur postal début mai 2009, les postiers ont eux aussi tenté d’officialiser leur syndicat indépendant. Le motif de la grève était le refus de la mise en place d’un système qui permettait aux cadres de licencier les postiers les moins productifs. Les employé-e-s demandaient également l’égalité de statut avec les employé-e-s de la compagnie égyptienne des télécommunications. Ils se sont heurtés dès le début à la police postale et au syndicat contrôlé par l’état. Ce dernier a essayé de saboter l’action des grévistes à Kafr al-Shaykh, lieu central du mouvement. La stratégie utilisée par les postiers, similaire à celle des collecteurs de taxes, a été de coordonner le mouvement à l’échelle nationale et à organiser des manifestations combatives.
Souvent, les mouvements qui reposent sur des revendications syndicales prennent un tour politique, et affrontent directement l’appareil d’État et son emprise militaire sur la société. Selon le camarade du Centre d’Études Socialistes au Caire, Hisham Fu’ad, alors que les grévistes de Tanta Flax demandaient la renationalisation de l’entreprise en brandissant le portrait de Moubarak, leur mouvement les a conduits à remettre en cause leur soutien au gouvernement, en manifestant leur défiance par des slogans violemment anti-Moubarak. A Mahalla, les travailleur-euse-s sont même allé-e-s jusqu’à piétiner son portrait et à ériger son tombeau symbolique. C’est donc face à la pression des employeurs, de l’État et de ses valets syndicaux que les militant-e-s pour un syndicalisme indépendant luttent et se coordonnent pour généraliser l’avancée des collecteurs de l’impôt foncier.
On comprend que des revendications économiques prennent immédiatement un caractère politique quand des activistes sont licencié-e-s, intimidé-e-s, ou même arrêté-e-s, comme les deux travailleurs de l’usine textile Abul Sebae à Mahalla al-Kubra le 2 août dernier, pour de faux motifs selon les militant-e-s pour un syndicalisme indépendant. On comprend aussi qu’un tel combat soit à l’avant-garde des luttes de classe dans la région, ouvrant des perspectives révolutionnaires en Égypte comme dans l’ensemble du Proche et Moyen-Orient.
C’est pourquoi il est crucial d’y apporter notre soutien, car toute victoire en direction de l’indépendance de classe des opprimé-e-s vaut pour l’ensemble de notre camp politique et de ses organisations.
Sellouma
* Paru sur le site d’Afriques en lutte (NPA) le 10 septembre 2009.
Les sources de ce texte viennent pour une grande part des articles de Mustafa Bassiouny et Anne Alexander parus dans le journal Socialist Worker n°2154 et 2165.
EGYPTE : CRÉATION D’UN SYNDICAT INDÉPÉNDANT
Le 21 avril, le Syndicat indépendant des employés des impôts fonciers (Ureta) a été officiellement créé. Une première, depuis 1958, qui se place dans le cadre de la montée des luttes en Égypte ces dernières années.
L’Égypte est un pays clé du Moyen-Orient pour deux raisons contradictoires. D’un côté, le président, Hosni Moubarak, est un grand allié des États-Unis et d’Israël mais, de l’autre, il a face à lui une classe ouvrière massive capable de le renverser et donc de changer la donne pour toute la région, notamment la Palestine. Le pouvoir dictatorial est mis à mal de tous côtés. Le peuple n’a pas supporté la collaboration militaire et économique de Moubarak avec l’offensive israélienne de Gaza, notamment la fermeture du poste frontière de Rafah. A ce mécontentement s’ajoute une crise institutionnelle, dont le point culminant est la succession préparée du fils, Gamal Moubarak, encore plus néolibéral que son père.
En plus l’opposition incontournable des Frères musulmans, un front politique, nommé Kefaya (Assez !), s’est constitué depuis 2004 contre l’état d’urgence et pour la démocratie.
Mais le changement qualitatif dans l’opposition au pouvoir c’est la montée des luttes sociales avec des protestations massives sans précédent.
En 2006 s’est déclenchée la première grève dans la plus grande usine du pays, située au centre textile de Mahalla-al-Kubra, en Basse-Egypte. La victoire qui a suivi a été un signe fort de la faiblesse de l’État. Cette nouvelle donne a entraîné une vague de manifestations, grèves et sit-in dans un pays où toute forme de protestation est violemment réprimée. Cette colère sociale a culminé, le 6 avril 2008, avec la grève générale appelée par toutes les forces en lutte.
Inspirés par la victoire des travailleurs de Mahalla, les employés des impôts immobiliers enclenchèrent une grève de trois mois. Ils organisèrent ensuite un sit-in, en décembre 2007, devant le siège du ministère des Finances au Caire. Au bout de onze jours, ils obtinrent 325% d’augmentation, l’égalité salariale, le paiement des jours de grève, et deux mois offerts ! Durant la grève, ils se sont heurtés, tout comme à Mahalla, à l’hostilité des syndicats affiliés au pouvoir.
L’expérience de la lutte a rendu nécessaire l’organisation d’une structure qui défende les intérêts des travailleurs. L’Ureta existait dès décembre 2007 mais son officialisation n’a pas été simple. Elle a été arrachée, le 21 avril, auprès du ministère du Travail, grâce à une manifestation organisée devant leurs bureaux. On dénombre 30 000 signataires de la pétition sur un total de 50 000 employés environ. Un pas important et durable a été franchi pour les mobilisations futures.
Nous félicitons les camarades de l’Ureta, leur adressons notre soutien, et leur souhaitons de bonnes luttes. C’est une nouvelle à diffuser autour de nous et des organisations syndicales.
* Paru sur le site du NPA le mardi 5 mai 2009.