« Parfois, les congrès intéressent surtout ceux qui veulent se dire et se redire qu’ils ne sont pas d’accord. Bon ben là, c’est le cas. » Mains dans les poches et à la porte de la grande salle plénière qu’il n’aura que peu fréquentée, Olivier Besancenot prend les choses avec philosophie et rire jaune, samedi soir, au milieu d’un premier congrès qui voit son parti affronter son premier blocage interne d’importance. Ce week-end à Montreuil, le NPA n’a pas su, comme redouté, surmonter ses divisions. Et à la sortie, alors que le rassemblement congressiste avait déjà été deux fois reporté depuis novembre dernier, on en sait autant qu’en début de semaine (lire notre article), c’est-à-dire peu.
« Ce n’est pas un congrès de révolution, mais de consolidation. Il faut que ça se passe, mais l’essentiel c’est vraiment de se tourner vers l’extérieur. Depuis deux ans, les secteurs de lutte s’organisent, et nous, on bute sur nos limites organisationnelles. Le sang neuf reste en retrait, et le restera si on reste obnubilé par le débat interne », confie Besancenot.
Sans majorité, le NPA est ce dimanche soir divisé entre trois courants. D’un côté, une majorité issue de la direction sortante (la « P1 » pour « Position 1 »), autour de 42%, très divisée en son sein. De l’autre, deux minorités proches des 30% : l’une « identitaire » (la « P2 ») et « révolutionnaire », l’autre « unitaire » en faveur de discussions avec le Front de gauche (la « P3 »). Peu avant, Pierre-François Grond, membre de la direction sortante aujourd’hui ballottée, soupirait avec ironie : « Ce congrès, on aurait dû le supprimer. Heureusement qu’il y a eu la Tunisie et l’Egypte pour nous redonner des perspectives… » Mais le succès du meeting de solidarité avec la rive sud de la Méditerranée, organisé vendredi soir, et l’aisance conservée d’Olivier Besancenot à la tribune, n’ont pas suffi à cacher les tiraillements anticapitalistes.
En effet, hormis la solidarité avec les luttes arabes et leur prolongement en France, rares ont été les points d’accord dans un parti fondé en fanfare il y a deux ans, et ayant depuis perdu plus d’un tiers de ses membres (aujourd’hui estimés entre 4.500 et 6.000). Et comme redouté, le débat sur la laïcité et le féminisme (entamé avec l’affaire du foulard électoral des dernières régionales) a profondément remué les méninges et opposé les points de vue des diverses traditions et cultures du parti issu de l’ex-LCR, rejoint par d’autres militances syndicales et des quartiers populaires.
Absence de majorité, départs et Besancenot candidat....
Ceux qui aiment gloser sur le « verrouillage trotskyste » du NPA en sont pour leurs frais. Aujourd’hui, le nouveau parti anticapitaliste n’a plus de ligne majoritaire, et les trois importantes positions qui la composent (la « P1 », la « P2 » et la « P3 ») ont chacune campé sur leurs orientations tout le week-end, et si une direction a finalement été élue à la proportionnelle des votes, aucun consensus n’a pu émerger. « On a reconvoqué la façon de faire de la Ligue, regrette Fred Borras, un membre de la direction sortante. C’est sûr que c’est démocratique, mais ça montre quand même certaines limites. »
Au final, chacune des positions a lancé son propre « appel », même si des motions ont recueilli de large majorité, sur « l’Egypte et la Tunisie » ou sur les « réponses à la crise ». Aucun accord donc sur la stratégie en vue de 2012, ni en faveur du Front de gauche et de Jean-Luc Mélenchon, ni vers une candidature sociale de rassemblement. « Il faut être lucide, une candidature sociale en dehors de celle du NPA, ça n’existe pas, estime Gaël, l’un des représentants de la « P2 ». Il n’y a aujourd’hui pas d’Elie Domota ou de Charles Piaget… » Selon lui, « c’est très bien que le débat soit vivant et qu’une direction puisse être mise en minorité. Moi qui viens du PCF, je peux vous dire que c’est appréciable. Après, qu’on ne soit pas d’accord sur la stratégie d’alliance électorale, c’est un fait. Mais l’essentiel, c’est qu’on a tous la même interprétation du processus révolutionnaire, qui a connu un souffle nouveau récemment. »
Inconvénient de ce blocage, les impatiences grondent toujours plus. Le parti n’a toujours pas de nouveaux porte-parole (même si une commission réfléchit encore et toujours sur cet engagement annoncé… à la création du NPA). Et de nouveaux départs de l’organisation ont été annoncés, parmi les représentants de la « P3 » membres du CPN (le parlement du NPA), deux se rapprochant du Parti de gauche (PG) de Mélenchon (dont la militante anti-précarité Leïla Chaibi), cinq à six autres souhaitant rejoindre ce qui serait la « quatrième force » du Front de gauche (autour notamment de la Fase de Clémentine Autain), aux côtés du PCF, du PG et de Gauche unitaire (déjà constitué d’anciens minoritaires de la LCR). D’autres sont restés mais, dégoûtés, ont choisi de ne plus participer au CPN, comme Omar Slaouti, ancien tête de liste aux européennes en Île-de-France, et un temps pressenti pour devenir porte-parole du NPA.
Toutefois, à en croire plusieurs responsables du NPA après le meeting égypto-tunisien de vendredi, l’on peut retenir un enseignement de ce congrès : Besancenot n’a jamais été aussi proche d’une nouvelle candidature à la présidentielle. « Quand il est aussi bon à la tribune, il envoie indirectement un signe pour 2012 », veut croire Pierre-François Grond. En fait de décision prise par l’intéressé, les proches d’« Olivier » comme les « historiques » de la LCR semblent davantage vouloir manier la prophétie auto-réalisatrice. En clair : le porte-parole actuel du NPA n’a pas d’autre choix que d’être à nouveau candidat, après 2002 et 2007, s’il veut sauver l’unité de son parti et lui redonner des perspectives de lendemains qui chantent.
« Buzz », comme certains le surnomment au NPA, se contente pour l’heure d’affirmer qu’il fera « entendre (s)a voix » dans le débat pour 2012, mais il s’emballe bien davantage sur « les campagnes internationalistes à mener dès demain, par exemple contre les entreprises complices des dictatures de l’autre côté de la Méditerranée, type Orange ou Carrefour, ou contre les formations policières de l’Etat français aux polices autoritaires… En ce moment, et je goûte assez cette pichenette savoureuse de l’histoire, c’est le monde arabe qui nous montre la voie ! »
Mais pour l’instant, le souffle arabe ne parvient pas à aplanir les déchirements internes rencontrés par l’anticapitalisme au sujet de son implantation dans les quartiers populaires, et les débats qu’il n’a pas manqué de provoquer à nouveau, autour des questions de laïcité et de féminité.
« Certains ici reprennent les mêmes mots que Finkelkraut ou BHL... »
Comme redouté, la question de la laïcité et du féminisme a mis le parti au bord de l’explosion, un an après « l’affaire du foulard » et de la candidate Ilham Moussaïd aux régionales en PACA (lire notre article), et deux mois après la démission collective du « comité quartier populaire » d’Avignon (révélée par Mediapart). Pour ne pas aider, le vote militant sur le sujet, « incompréhensible de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur », selon les propres dires de Besancenot, a donné lieu à une foire d’empoigne sur l’interprétation de ses résultats.
En effet, les scores semblaient être interprétés par chacun des protagonistes comme une victoire de son propre camp. Il faut dire que trois positions s’affrontaient, celle des « féministes intransigeant(e)s » autour des historiques de la LCR et de leurs héritiers ; celle des « Marseillais », composée de cinq motions, prônant un engagement dans les quartiers qui ne refuserait pas les femmes voilées (ainsi qu’ils le font aujourd’hui dans les Bouches-du-Rhône), enfin celle du comité d’Avignon défendant la mise en avant de la lutte contre l’islamophobie, mais non défendue dans les débats internes, de par la démission de ses représentants. Si le point de vue « féministe sans concession » a remporté une majorité des voix (55,4%), celle des « Marseillais », par ailleurs amendée par un courant « néo-féministe » plus ouvert sur la laïcité, a emporté 75,8% des voix, tandis que « le texte avignonnais » ne recueillait que 27,7% des voix.
Point principal de discorde : la possibilité pour une femme voilée d’être candidate pour le NPA, alors que la possibilité d’être croyant et militant au NPA a été reconnue par tous, et les conditions d’acceptation par la direction du parti en cas de « candidature posant problème » (soit une majorité simple du CPN, soit un vote aux 2/3).
Résultat : un pataquès insoluble, et le sentiment d’un débat intranchable. Samedi matin à la tribune, Adil a mis dans les pieds dans le plat, donnant le ton de l’intensité des tensions qui couvent toujours autour du débat. Educateur à Istres, il a défendu au micro « la position d’Avignon », bien que défenseur du texte des « Marseillais ». Au micro, Adil a bousculé l’assistance, sans prendre de gants :
« Il y a un intégrisme laïcard dans ce parti qui me pèse ! (…) Certains ici reprennent les mêmes mots que Finkielkraut ou BHL ! (…) Il n’a jamais été écrit qu’il fallait entrer par la religion au NPA (…) Je suis peut-être aveugle, je n’ai peut-être pas votre grand esprit (…) mais vous croyez qu’en Tunisie ou en Palestine, ils n’ont pas de convictions religieuses ? C’est bien beau d’applaudir la révolution en Egypte, avec son t-shirt Che Guevara, mais la réalité est qu’on est incapables d’ouvrir ce parti. Rassurez-vous, j’ai plus de plaisir à militer avec un militant d’Emmaüs qu’avec une espèce de Saoudien (…) et la limite pour moi est de voir le visage de la personne avec qui je parle (…) Mais vous croyez franchement qu’on est suffisamment pour lutter contre le capitalisme aujourd’hui ? »
« Espérer que le débat se dépasse de lui même... »
La matinée de discussions en commission, samedi, a bien montré l’ampleur du fossé et la continuité d’un débat interminable sur la question du foulard, où les avis ne semblent pas pouvoir évoluer d’un iota. Symbole de la divergence, cette femme d’une soixantaine d’années expliquant que « lors de l’indépendance d’Algérie, les femmes pouvaient enfin enlever leur voile », répondant à un jeune homme rappelant que « pour certaines femmes tunisiennes, la chute de Ben Ali a permis de retrouver la liberté de porter le foulard, ce qui ne les a pas empêchées de manifester aux côtés de femmes en minijupe ».
Pour Nicolas Johsua, un des responsables « marseillais », « l’Egypte et la Tunisie sont en train de régler le problème. On l’a vu chez nous : les musulmans intégristes de l’UOIF, ils sont restés chez eux au début des mobilisations de soutien, puis ils sont venus en se faisant discrets. Donc il faut espérer que ce débat se dépasse de lui-même… »
A l’arrivée, un texte de consensus a été soumis, reconnaissant le caractère divers selon les contextes que peut revêtir le port du voile, mais pointant tout de même la divergence quasi insurmontable autour de la possibilité d’une représentation électorale du NPA par une femme portant le foulard. Après que la direction (parmi laquelle se retrouvent les responsables « féministes historiques ») s’est retrouvée en minorité dimanche, dans une ambiance à huis clos mais décrite comme « houleuse » par plusieurs participants, un accord a finalement été trouvé… pour que ce soit les militants qui tranchent à nouveau.
Une « conférence nationale » (sorte de référendum militant) sera convoquée prochainement pour décider plus clairement des points qui ne parviennent pas encore à faire consensus (la représentation et les prérogatives du CPN pour trancher le débat). « C’est très compliqué et ça reste douloureux entre nous, mais il faut quand même reconnaître que ça avance. Il y a deux ans, jamais je n’aurais cru qu’on aurait pu faire ça à la LCR », juge une partisane d’une laïcité ouverte au sein du NPA.
Signe supplémentaire de l’ouverture aux quartiers populaires dans le tumulte d’une fin de congrès conflictuelle, le vote par les délégués d’une motion permettant le dialogue local avec le Parti des indigènes de la République et le Forum social des quartiers populaires, et la possibilité, sur le modèle des « réunions non mixtes » dans la « commission femmes », de se réunir entre habitants desdits quartiers au sein de la « commission quartier populaire ». « Sans les profs et ceux qui donnent des leçons sans côtoyer concrètement le réel des banlieues, explique Fahima Laïdoudi, militante toulonnaise du NPA. Cela va permettre de se retrouver entre nous quand on ressent de la condescendance. C’est un bon signe envoyé par le congrès, car il y en avait parfois marre de se retrouver dans un cadre où l’on revit les mêmes réflexes contre lesquels on lutte en dehors du parti. »
S’il pourrait paraître déjà mort, le NPA bouge tout de même encore.
Stéphane Alliès