« L’ennemi de mon ennemi est mon ami », c’est probablement la formule qui résume la position adoptée ces derniers jours par certains gouvernements réputés progressistes d’Amérique latine face aux soulèvements populaires que vit la Libye. Mais la prise de position la plus inattendue fut sans doute celle de la chaîne publique latino-américaine basée à Caracas. Développant depuis quelques mois déjà sa couverture de l’actualité au Moyen-Orient, TeleSUR a disposé d’un correspondant à Tripoli à partir du 23 février. L’envoyé spécial de la chaîne (Jordan Rodríguez) a reconnu, lors de son premier contact téléphonique, avoir été détenu durant près de cinq heures par les forces de sécurité à son arrivée à l’aéroport. Cependant, vu les bonnes relations que le gouvernement vénézuélien (principal actionnaire de TeleSUR) entretient avec la Libye, quelques coups de fil haut placés ont probablement permis de débloquer la situation et rendu possible l’entrée du jeune journaliste en territoire proscrit à la plupart des médias.
Les premiers commentaires sur place de l’envoyé spécial ont fait preuve d’un manque total d’honnêteté intellectuelle, se limitant à assurer que tout était « normal » à Tripoli et que les manifestations étaient « de soutien à Kadhafi ». Par la suite, le site web de la chaîne publiera un article titré : « Tripoli se manifeste en faveur de Kadhafi et les opposants disent contrôler l’est de la Libye ». Alors que le journal Le Monde disposait d’une envoyée spéciale dans l’est du pays en plein soulèvement, la chaîne qui se prétend le porte-voix des opprimés du Sud se contentait de reportages sur la place Verte de Tripoli, au milieu de quelques manifestants pro-Kadhafi.
L’anti-impérialisme à quel prix ?
Ce n’est qu’à partir du 25 février que le site www.telesurtv.net reflètera les commentaires d’un autre correspondant depuis Benghazi, en donnant cette fois la parole aux opposants. Ce second envoyé spécial, Reed Lindsay, informera enfin clairement des crimes commis par le régime et commentera même depuis son compte Twitter (@reedtelesur) le 28 février : « Les habitants de Benghazi demandent que les gouvernements de l’ALBA abandonnent Kadhafi et appuient la lutte révolutionnaire du peuple libyen ».
Ce parti pris de la chaîne (et des gouvernements de l’Alternative bolivarienne des Amériques – ALBA – en général) prétend défendre un soi-disant anti-impérialisme de la Libye de Kadhafi face aux Etats-Unis et à l’Europe. Il montre cependant toutes les limites d’une telle appréciation politique qui mène ses partisans, consciemment ou non, à se positionner contre les peuples au nom de l’anti-impérialisme.
Sébastien Brulez