Giulia Willig – Comment expliques-tu l’affaiblissement qu’a connu le NPA depuis sa fondation, en dépit des importantes mobilisations sociales qui ont tenu la France en haleine, notamment en 2010 ?
Pierre-François Grond – Difficile d’expliquer à chaud les raisons de fond de cette crise. Il s’agit sans doute d’une combinaison de difficultés liées à la situation politique et d’autres, qui sont de notre propre responsabilité. De la crise économique ne naît pas spontanément une conscience anticapitaliste de masse en France comme dans la plupart des pays européens. Les mobilisations sociales ne parviennent pas à enrayer les offensives gouvernementales comme la question des retraites l’a montré ici même. Par ailleurs, nous avons du mal à établir une stratégie et une orientation claires à l’extérieur du parti et rassembleuse en son sein. Deux problèmes sont en discussion : une synthèse entre radicalité et unité en ce qui concerne les rapports unitaires avec d’autres forces ; et la question du « voile », c’est à dire du rapport entre religion et émancipation. Le congrès a répondu en partie sur ces questions : l’adoption majoritaire d’un programme et d’une position sur le voile a été majoritaire dans les congrès locaux. Mais sur l’orientation tous les textes proposés au vote ont été rejetés. Ce qui crée une situation inédite, où il va falloir éviter la paralysie. En revanche, c’est un point positif, dès que la situation s’accélère (une grève, un mouvement social, la révolution dans les pays arabes), alors le parti parvient à se rassembler dans l’action.
La question des relations entre religion, défense de la laïcité et féminisme a occupé une place importante dans le débat, avec une forte polarisation sur l’islam. Peux-tu expliquer les motions adoptées et les positions qui semblent se dégager à l’issue du congrès ?
Il n’y a pas de polarisation sur l’islam. Nous ne pensons pas contrairement aux islamophobes que cette religion soit incompatible avec la défense de valeurs démocratiques. Nous combattons tous la politique raciste du pouvoir. La question est donc réduite à une contradiction bien réelle : combattre le racisme, l’islamophobie, tout en restant ferme en ce qui concerne le droit des femmes. Les motivations du port du voile sont complexes, mais ce signe religieux marque l’infériorité supposée de la femme par rapport à l’homme. Paul de Tarse (Saint Paul, pour les chrétiens) n’exprimait rien d’autre lorsqu’il écrivait « que la femme devait se couvrir et se taire en assemblée ». Les conquêtes du mouvement des femmes se sont toujours heurtées aux institutions religieuses patriarcales. En France comme ailleurs, l’Eglise catholique agit par exemple contre le droit à l’avortement. Une femme qui porte le foulard peut entrer au NPA, mais elle doit connaître la position du parti sur ce signe religieux.
La presse suisse a évoqué le ralliement de l’un de vos membres au Front National (il se serait dit choqué par votre candidate portant le foulard à Avignon). Comment expliquer un tel parcours ? Le discours « laïcard » d’une partie de la gauche française n’a-t-il pas nourri une certaine islamophobie, y compris dans vos rangs ?
Attention de ne pas tomber dans le piège d’un ou deux cas individuels très médiatisés et très particuliers ! Ce n’est pas la laïcité qui est en cause, mais le racisme qui gagne une partie des couches populaires. L’extrême droite et une partie de la droite détournent le combat laïc de son sens émancipateur contre l’oppression religieuse… Le NPA est de toutes les luttes contre le racisme et la xénophobie. Celles et ceux qui ne soutiennent pas notre internationalisme et par exemple notre engagement aux côtés des sans papiers ont raison de le quitter. Il faut combattre l’extrême droite globalement en mettant au centre de la lutte des classes les questions sociales et démocratiques.
Les documents « Nos réponses à la crise » ou la « Déclaration de solidarité internationale » ont réuni une large majorité. Malgré vos divergences, l’unité sur ces questions centrales semble importante. Pourquoi ne contribue-t-elle pas à renforcer l’attractivité du NPA auprès de plus larges couches de jeunes et de salarié-e-s ?
Pourquoi cela ne serait-il pas le cas ? C’est notre travail à partir de ces documents importants de rassembler les anticapitalistes, celles et ceux qui souhaitent renverser le système par un mouvement issu du bas de la société, comme nous le montre le vent du sud, celui des révolutions arabes. Il ne faut pas confondre les difficultés internes d’un congrès et la perception extérieure du parti et de ses propositions. Les indicateurs dont nous disposons, dont l’audience de notre porte parole, ne montrent pas un recul, bien au contraire. C’est à nous de faire l’effort de dépasser nos clivages de congrès pour nous rassembler sur l’essentiel : un anticapitalisme nourri par une crise globale du système capitaliste et portée par les aspirations démocratiques des peuples en particulier au sud de la Méditerranée.
* Propos recueillis par Giulia Willig