Pas besoin de respirer bien fort pour sentir comme un air vicié. Ni de croire aux sondages pour comprendre que l’ensemble de la classe politique doit faire preuve de pédagogie et de sang-froid. Au lieu de profiter des bouleversements actuels pour affoler.
Le débat voulu par l’UMP sur l’islam, bien vite recyclé en débat sur la laïcité, n’aura pas cette vertu. Lancé en fanfare, de façon partisane, il surgit totalement à contretemps. Au moment où nous pouvions entamer la « cicatrisation » de lois difficiles, comme celle qui porte sur le fait de ne pas masquer son visage dans la rue. Alors que la dynamique sociale peut ressouder des liens que la crispation confessionnelle sectionne. Toujours avec cette même maladresse ayant empoisonné le débat sur l’identité nationale : annoncer qu’on vise une religion en particulier. Ce qui ne peut que braquer.
Mais où étaient donc les partisans de ce débat, officiel et formel, sur l’islam et la laïcité ces dernières années ? Dans une grotte ? Sur une île vierge ? Voilà bien longtemps, au moins dix ans, que nous débattons de ces questions, sans tabou et même avec une certaine efficacité. Contrairement aux pays ayant opté pour le « multiculturalisme » comme philosophie politique, la France a réglé la plupart des contentieux liés à la montée de l’intégrisme grâce au principe de laïcité. Elle a résisté à tout. Aux provocations intégristes comme aux tentations politiques. Comme celle de modifier l’article 2 de la loi de 1905 pour financer - et donc mieux contrôler - les mosquées. Une volonté affichée par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur. Abandonnée après une véritable levée de boucliers. Mais qui ressort des cartons à la faveur de ce débat voulu par l’UMP.
On nous reparle de vouloir couper l’islam de « ses influences étrangères », en interdisant les financements étrangers, les prêches en arabe, et en formant les imams. Au nom de quel principe ? Et les autres religions ? Allons-nous interdire au Vatican (un Etat étranger) de financer des églises traditionalistes qui prient en latin ? Mettre sous tutelle les temples évangéliques financés par les Etats-Unis dont les pasteurs chantent en anglais ? Sanctionner les prêtres dont le catéchisme bafoue les lois de la République sur le pacs ?
Tentant... Mais soyons sérieux. Subventionner le culte ou même vouloir simplement le contrôler, sur un mode concordataire, signifie la mort de la loi de 1905, et le début de mille effets pervers. Tout ça pour quoi ? Pour vingt prières en plein air ?
On compte 2 600 mosquées et salles de prière en France, contre 1 600 il y a sept ans. Pour 3,8 millions d’habitants de culture musulmane (et non 5 ou 6 millions), dont 10 % seulement pratiquent vraiment. Des mosquées sont vides, d’autres pleines. Il suffit de demander aux fidèles de se cotiser pour louer une salle plus grande ou d’organiser plusieurs offices le vendredi, comme le propose la Mosquée de Paris, pour régler le problème. Simplement, calmement.
Il existe deux sujets, majeurs, à débattre si on veut vraiment parler de laïcité. Tracer une ligne de conduite pour que les élus locaux cessent de contenter toutes les demandes religieuses au détriment de la loi et de l’intérêt général. Une consigne de chaque parti suffit. Puis se pencher sur l’école. Plus exactement sur l’explosion d’écoles privées à tendance intégriste, principalement catholiques, qui défont la citoyenneté. Mais ça, bizarrement, ça ne passionne ni le FN ni l’UMP.
Quant à la gauche, rien n’est encore arbitré... Terra Nova vient de publier une note appelant de ses voeux une « citoyenneté musulmane » (sic) pour accompagner « l’évolution des sociétés » vers « le multiculturalisme ». Si c’est sa réponse à la remontée du Front national, les sondages en ligne sont encore trop optimistes.
Caroline Fourest (Sans détour)