Pourquoi y a-t-il eu des explosions à la centrale nucléaire de Fukushima Dai-Ichi ?
Vendredi 11 mars, à 14 h 46, les réacteurs – dont seulement trois sur six étaient en activité – se sont automatiquement arrêtés au moment du puissant séisme qui a touché le Japon, conformément à la procédure d’urgence. Si la réaction nucléaire est quasiment stoppée, leur cœur continue malgré tout de dégager de grandes quantités de chaleur. Il faut donc les refroidir. Mais les lignes électriques ont été coupées par la violente secousse et les groupes électrogènes, censés prendre le relais, ont été noyés par le tsunami. Privés d’alimentation, les circuits de refroidissement ont alors cessé de fonctionner.
Dans l’enceinte de confinement qui abrite chaque réacteur, la situation s’est alors dégradée. La température augmentant, l’eau qui baigne la cuve contenant le combustible nucléaire s’est progressivement évaporée, provoquant une augmentation de la pression et des rejets d’éléments radioactifs. Pour abaisser la pression, l’opérateur Tokyo Power Electric (Tepco) a procédé à des rejets volontaires de vapeurs. Cette dernière, réagissant avec les gaines du combustible, a provoqué un dégagement d’hydrogène. Pour éviter une rupture de l’enceinte, l’hydrogène a alors été dégazé, et à une concentration avec l’air telle que des explosions en série ont eu lieu. Ce sont ces explosions, spectaculaires, qui ont détruit le toit des structures édifiées autour de l’enceinte de confinement, mais sans, théoriquement, les endommager.
Quel est l’état actuel des six réacteurs ?
Les quatre premiers réacteurs de la centrale sont gravement accidentés. Les réacteurs 5 et 6, plus éloignés, et qui étaient à l’arrêt pour maintenance au moment du séisme, ne seraient quant à eux pas atteints, même si une légère hausse de température a été mesurée.
Réacteur n° 1 : sous l’effet de l’accumulation de l’hydrogène, une explosion a provoqué l’effondrement du toit du bâtiment, samedi. Si l’enceinte de confinement serait intacte, 70 % du cœur du réacteur serait endommagé.
Réacteur n° 2 : une explosion due à l’hydrogène a endommagé une piscine de rétention située à l’intérieur de l’enceinte de confinement, mardi. L’étanchéité de l’enceinte reste incertaine et un tiers du cœur du réacteur serait endommagé.
Réacteur n° 3 : une explosion a soufflé le toit et certaines parois du bâtiment extérieur, lundi. L’enceinte de confinement pourrait avoir été touchée. Le cœur du réacteur est partiellement endommagé et l’eau de la piscine dans laquelle sont entreposés des combustibles usés serait en ébullition. L’armée a été appelée en renfort jeudi pour larguer de l’eau par hélicoptère et canon à eau.
Réacteur n° 4 : une explosion a eu lieu, mardi, dans ce réacteur à l’arrêt pour maintenance au moment du séisme. Deux incendies se sont déclarés au niveau de la piscine, mardi et mercredi. Sous l’effet de la chaleur, une partie du combustible n’est plus recouverte et les autorités essayent de larguer de l’eau pour empêcher des rejets radioactifs dans l’atmosphère.
Comment tenter de refroidir les réacteurs ?
Même si l’énergie que dégagent les réacteurs est de plus en plus faible au cours du temps, ils devront toujours être refroidis pendant des mois avant qu’il n’y ait plus de risque de fonte du cœur. Le seul moyen de refroidir les installations est d’apporter de l’eau en quantité suffisante. Depuis samedi, des camions citernes pompent ainsi l’eau de la mer – à la place de l’eau purifiée normalement utilisée – et l’injectent dans les cuves.
Jeudi matin, pour la première fois, quatre hélicoptères de l’armée japonaise ont aussi réussi à déverser plusieurs tonnes d’eau de mer sur les réacteurs les plus endommagés, principalement le n° 3. Mais à raison de 7,5 m3 d’eau largués à chaque passage, ces quantités restent nettement insuffisantes pour remplir les cuves et les piscines (d’un volume de 1 000 m3 chacune), d’autant que le déversement s’accompagne de pertes inévitables. Mercredi, la présidente du groupe nucléaire français Areva, Anne Lauvergeon, avait ainsi estimé qu’il fallait environ 100 m3 d’eau par heure pour l’ensemble du site.
Que se passera-t-il si les réacteurs ne sont pas refroidis à temps ? Quel est le pire scénario ?
En cas d’échec du refroidissement, les cœurs des réacteurs fondraient entièrement. La chaleur dégagée serait telle qu’elle pourrait endommager l’enceinte de confinement, provoquant des rejets radioactifs massifs dans l’atmosphère. Mais cette situation reste hypothétique dans la mesure où ce cas de figure ne s’est jamais produit — le cœur du réacteur n’a pas entièrement fondu à Three Mile Island et il n’y avait pas d’enceinte de confinement à Tchernobyl.
Au-delà du cœur du réacteur, l’état des piscines de déchargement concentre toutes les craintes : l’eau, entrée en ébullition et qui s’évapore, menace de ne plus y assurer le refroidissement du combustible, usé mais toujours fortement radioactif. Si le refroidissement ne s’améliore pas, la totalité du combustible se retrouvera hors de l’eau et les rejets radioactifs seront très importants, les piscines se trouvant quasiment en plein air, sans enceinte de confinement. On serait alors dans la même gamme de rejets que Tchernobyl.
Une centrale nucléaire peut-elle exploser comme une bombe atomique ?
Centrales nucléaires et bombes atomiques ont en commun d’utiliser l’énergie très importante contenue dans le noyau des atomes à travers des réactions nucléaires de fission. Mais une centrale ne peut pas exploser comme une bombe, l’uranium utilisé n’étant enrichi qu’à quelques pour cent. En cas d’accident, comme à Fukushima, lorsque de grandes quantités de gaz sont relâchées dans l’enceinte de confinement, la pression se met à grimper, ce qui peut provoquer des explosions. Mais celles-ci sont d’ordre chimique – liées à l’hydrogène –, pas nucléaire. Elles libèrent donc une énergie bien moindre et surtout aucune radiation en soi.
Cet accident est-il comparable à celui de Tchernobyl ?
Dans l’accident de Tchernobyl, c’est une réaction en chaîne non maîtrisée qui a provoqué un emballement du réacteur et donc sa surchauffe, conduisant à une explosion de vapeur ou d’hydrogène. Celle-ci a libéré des produits de fission, propulsés jusqu’à plus de 3 000 mètres dans l’atmosphère. Il n’y avait pas d’enceinte de confinement ni de cuve pour contenir les restes du cœur, comme dans le cas des réacteurs japonais.
A Fukushima la réaction en chaîne s’est arrêtée automatiquement au moment du séisme et la puissance avec laquelle les produits de fission sont libérés est beaucoup plus faible. Hervé Morin, journaliste au Monde, parle de scénario intermédiaire entre Tchernobyl et Three Mile Island en 1979, où la fusion partielle du cœur n’avait pas entraîné de relâchement important de radioactivité dans l’environnement.
Quelles substances le nuage radioactif contient-il ? Peut-il affecter la France ?
Dans un nuage issu d’un accident nucléaire, on trouve des produits de la fission nucléaire, tels que du xénon, du krypton ou du tellure et surtout de l’iode 131 et du césium 137, qui ont le plus grand impact immédiat sur la santé. Pour l’instant, contrairement à la catastrophe de Tchernobyl, les émissions toxiques ne sont pas montées très haut dans l’atmosphère. Le devenir du nuage dépendra des facteurs météorologiques, notamment du vent, et de sa composition précise : la quantité d’iode radioactif se divise par exemple par deux tous les huit jours tandis que pour le césium il faut trente ans.
Il y aura des particules dans l’atmosphère du monde entier. Compte tenu des conditions météorologiques, le premier territoire français touché devrait être Saint-Pierre-et-Miquelon, 5 à 6 jours après les premiers rejets. Mais en raison de la distance qui sépare le Japon et la France, les radionucléides seront dilués au cours de leur transport et se retrouveront à des concentrations beaucoup plus faibles que lors de leur émission.
A partir de quels seuils les éléments radioactifs sont-ils nocifs pour l’homme ?
La dose normale reçue par l’organisme est d’un millisievert (mSv) par an. On considère alors qu’à partir d’une dose cumulée de 100 mSv, les effets sur la santé sont avérés même s’ils ne sont pas immédiats : il existe ainsi un risque accru de développer certains types de cancer – de la thyroïde notamment, auquel les enfants sont particulièrement exposés. Le risque de cancer augmente ensuite de 5,5 % par sievert. Une exposition de l’ordre de 1 Sv entraîne quant à lui un syndrome d’irradiation aiguë se traduisant par des vomissements, fièvres, diarrhées, hémorragies, infections. Et sans traitement, l’exposition à une dose de 6 Sv est mortelle dans 100 % des cas.
La dose la plus élevée mesurée en une heure sur le site de Fukushima a été de 400 mSv, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique. Seules les tumeurs de la glande thyroïde peuvent être efficacement prévenues, par la prise précoce de comprimés d’iode.
Jusqu’à quels niveaux de radioactivité les combinaisons de protection des salariés de la centrale peuvent-elles résister ?
Les combinaisons, assorties de masques à gaz ou de bonbonnes d’oxygène, protègent les salariés des centrales contre une contamination, en évitant que les particules radioactives ne pénètrent dans l’organisme par la peau, par inhalation ou en étant ingérées. Ces combinaisons ne protègent en revanche pas des radiations. Pour éviter une irradiation trop importante, les salariés ne doivent donc pas rester trop longtemps dans des zones présentant de forts taux de radioactivité.
Deux brèves évacuations du site ont eu lieu mardi et mercredi alors que des débits atteignant 400 mSv/h ont été signalés. Malgré tout, si nulle information n’a filtré sur l’ampleur des radiations subies par les personnels, leur santé est sans aucun doute menacée.
Quelles sont les pollutions pour l’environnement ?
Le territoire, dans un rayon de 30 km et au-delà, est contaminé par les particules radioactives transportées par le vent et déposées par la pluie – qui concentre les éléments et accélère leur retombée. Dans ces régions, les produits issus des cultures et de l’élevage peuvent être contaminés et devenir impropres à la consommation, notamment en raison du césium 137, dont la demi-vie est longue. Des personnes qui se nourriraient de tels produits pourraient accroître très fortement le niveau de leur contamination.
L’eau de mer utilisée pour refroidir les combustibles ne devrait quant à elle pas être rejetée directement dans l’océan puisqu’elle est transformée en vapeur sous l’effet de la chaleur.
Pourquoi n’envisage-t-on pas un sarcophage comme à Tchernobyl ? Les habitants de la région pourront-ils un jour rentrer chez eux sans danger ?
Installer un sarcophage ne semble pas judicieux dans l’immédiat. La radioactivité aux abords du site est en effet trop importante pour permettre d’initier un tel chantier. Et une telle protection ne résoudrait pas le problème de la surchauffe du cœur du réacteur qui, s’il fond, pourrait altérer les différentes enceintes de confinement. La question se posera peut-être si les autorités japonaises parviennent à refroidir les combustibles.
Dans tous les cas, le sol aux abords de la centrale restera contaminé pendant des décennies, voire des siècles. Cela s’explique essentiellement en raison des émissions de césium 137.
* LEMONDE.FR | 17.03.11 | 19h51 • Mis à jour le 21.03.11 | 10h24.
Le pire des scénarios : des rejets comparables à Tchernobyl
Au quartier général d’urgence et de secours à Fukushima, les responsables du ministère de la défense tentent de situer les zones potentiellement affectées par les rejets radioactifs.AP/Wally Santana
Face à l’incertitude, les experts en sont réduits à élaborer des scénarios. Ils parlent d’hypothèses, de probabilité, se veulent prudents. Mais ne cachent plus leur inquiétude. Alors que la situation n’est toujours pas maîtrisée à Fukushima, la zone autour de la centrale est d’ores et déjà exposée à des rejets radioactifs significatifs.
A ce jour, les particules radioactives présentes dans l’atmosphère autour de la centrale proviennent essentiellement du réacteur numéro 2, dont l’enceinte de confinement a été endommagée. C’est d’ailleurs en se concentrant sur le cas de ce réacteur que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a effectué une simulation pour tenter de comprendre l’étendue d’une contamination éventuelle.
LE SITE DE LA CENTRALE TRÈS EXPOSÉ
La projection permet d’évaluer quels seraient les risques encourus après 48 heures si le cœur fondait à 100 % – il serait actuellement endommagé à 33 %, selon les autorités japonaises –, dans une enceinte de confinement toujours en place mais dégradée, comme elle l’est actuellement. Pour mesurer cette dangerosité, il faut savoir qu’à partir d’une dose cumulée de 100 millisievert (mSv), les effets sur la santé sont avérés ; entre 100 et 1 000 mSv, si les effets ne sont pas immédiats, il existe un risque accru de développer certains types de cancer – de la thyroïde notamment, auquel les enfants sont particulièrement exposés.
Sur le site de la centrale, la dose de radioactivité à laquelle serait exposée dans ce scénario une personne qui resterait à l’extérieur sans protection atteint plus de 1 000 mSv. A partir de ce seuil, explique le docteur Patrick Gourmelon, chef du département de protection de la santé de l’homme à l’IRSN, « les rayons ionisants commencent à détruire la moelle osseuse, avec atteinte des cellules souches, diminution du nombre de plaquettes et de globules blancs... Cela veut dire que des intervenants risquent leur vie dans les semaines et les mois qui suivent ».
Dans son scénario, l’IRSN a volontairement noirci le trait, puisqu’à ce jour le cœur du réacteur numéro 2 n’a pas totalement fondu, et que les intervenants présents sur le site font l’objet de mesures de protection. Mais une dégradation des conditions est, hélas, loin d’être exclue. « On pourra dire que les combustibles seront stables lorsqu’ils seront refroidis. Aujourd’hui ce n’est toujours pas le cas, on ne connaît pas leur état. Ils peuvent encore se dégrader, fondre et atteindre le fond de la cuve », menaçant alors l’intégrité de toute l’enceinte de confinement. En outre, le scénario n’intègre pas les risques liés au réacteur numéro 4, aujourd’hui le plus préoccupant.
SUR PLACE, UNE SITUATION CRITIQUE
L’état de la piscine de déchargement concentre toutes les craintes : entrée en ébullition, l’eau menace de ne plus y assurer le refroidissement du combustible, usé mais toujours fortement radioactif. Si le refroidissement ne s’améliore pas, avant que la totalité du combustible ne soit totalement hors d’eau, explique Thierry Charles, directeur de la sûreté des usines à l’IRSN, « il faudra compter un jour ou deux, puis après les rejets vont apparaître ». Ces derniers seraient beaucoup plus importants que ceux déjà constatés au niveau des réacteurs 1 à 3, car les piscines à combustible se trouvent quasiment en plein air, sans enceinte de confinement.
L’accident prendrait alors une toute autre dimension : « On serait dans la même gamme de rejets que Tchernobyl », explique Thierry Charles. Sans compter qu’un tel niveau de rejets mettrait en péril les opérations en cours sur les autres parties du site, devenues trop dangereuses.
UNE ZONE DANGEREUSE POUR L’INSTANT LIMITÉE
Qu’en est-il pour les personnes résidant en dehors de la zone évacuée par les autorités, d’un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale ? Dans le scénario actuel, quarante-huit heures après le début des rejets, elles ne seraient pas exposées à un risque fort : à cette distance, la simulation donne une dose de radioactivité cumulée inférieure à 10 mSv. « Pour [cette] population, on est dans un autre univers, explique le Dr Patrick Gourmelon. En dessous de 100 mSv, nous considérons que nous sommes dans le domaine des faibles doses, donc des faibles risques. Il devient très faible en dessous de 10 mSv, et négligeable en dessous de 1 mSv. »
Ensuite, l’évolution du panache radioactif dépendra des développements en cours à Fukushima. Pour le moment, « le panache va d’abord vers le sud puis se dirige vers le Pacifique », explique Didier Champion, directeur de l’environnement et de l’intervention à l’IRSN, « ce qui a été rejeté va continuer à se déplacer, en se diluant à l’avant [du nuage] mais en restant concentré à l’arrière ». Mais c’est surtout la donnée temporelle qui va conditionner l’impact sanitaire. « Ce n’est pas tellement la dose [d’exposition à un moment donné] qui va jouer mais le fait d’y être exposé en permanence », précise-t-il.
Quant à un impact bien au-delà des frontières de l’archipel, il n’est pour l’instant pas d’actualité. En Europe, « les niveaux que l’on attend vu la distance sont très faibles », à la limite de détection des appareils, explique Didier Champion.
Marion Solletty
* LEMONDE.FR | 16.03.11 | 19h16 • Mis à jour le 16.03.11 | 20h10.
« Un scénario intermédiaire entre Three Mile Island et Tchernobyl »
Chat avec Hervé Morin, journaliste chargé des questions scientifiques au « Monde ».
DANS UN CHAT SUR LEMONDE.FR, HERVÉ MORIN, JOURNALISTE CHARGÉ DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES AU « MONDE » , RAPPELLE QUE LE RÉACTEUR DE TCHERNOBYL NE DISPOSAIT PAS D’UNE ENCEINTE DE CONFINEMENT AVEC UNE DOUBLE PEAU DE BÉTON ET D’ACIER, COMME LES RÉACTEURS JAPONAIS.
Ttc : Ne pensez-vous pas que les autorités japonaises cachent une partie de l’ampleur des risques pour ne pas provoquer une panique de la population ?
Guest : D’après vous, quel est le degré de vérité des informations qui nous sont transmises ?
Hervé Morin : Pour l’heure, les informations qui nous parviennent sont lacunaires, et parfois contradictoires.
Nous dépendons des commentaires qu’en font aussi bien l’Autorité de sûreté nucléaire française que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui eux-mêmes semblent dépendre d’éléments recueillis au Japon par les services de l’ambassade.
J’ignore si les autorités minimisent l’ampleur du risque. Les trois derniers jours écoulés montrent que fréquemment, on doit constater que la situation empire.
Staderochelais : On parle d’une possibilité de fusion du cœur d’un des réacteurs de la centrale nucléaire, quels sont les différents scénarios possibles ? Dans le pire des cas, quelle est la menace ?
De fait, la fusion partielle du cœur des réacteurs 1, 2 et 3 de la centrale de Fukushima a commencé. De quoi s’agit-il ? Ces réacteurs dits « à eau bouillante » fonctionnent sur le principe de la Cocotte-Minute : le combustible nucléaire chauffe de l’eau, qui se transforme en vapeur, laquelle actionne une turbine et un alternateur pour produire de l’électricité.
Dans le cas présent, le séisme a conduit à un arrêt d’urgence de ces réacteurs, qui, même quand ils sont stoppés, conservent une puissance résiduelle. Cette puissance est évacuée pour éviter une surchauffe du cœur grâce à des pompes mises hors service par le séisme.
Il semble que le tsunami ait aussi mis hors service les diesels de secours. Ceci a conduit à un échauffement du cœur, dont une partie du combustible s’est trouvée hors d’eau et a commencé à fondre.
Le contact entre la vapeur et les gaines métalliques qui entourent le combustible produit de l’hydrogène. C’est cet hydrogène, que l’exploitant a tenté d’extraire du réacteur, qui a conduit à l’explosion sur les n°1 et 3. Tout l’enjeu est désormais de réussir à noyer le cœur pour assurer son refroidissement, pour éviter une fusion supplémentaire du combustible.
Sandrine : Si la fusion du cœur totale se produit, est-ce que l’enceinte de confinement peut tenir ou est-ce l’inconnu ?
C’est un peu l’inconnu. La chance de Three Mile Islands, c’est que les opérateurs se sont aperçus très vite de la défaillance, si bien que la fonte n’a été que partielle.
Guest : Est-ce que l’explosion dans les réacteurs 1 et 3 a permis en quelque sorte « d’améliorer » la situation, de relâcher la pression ou bien peut-on s’attendre à des incidents plus graves sur ces mêmes réacteurs ?
En effet, l’explosion a libéré l’hydrogène et permis de relâcher la pression. Mais les opérateurs japonais ne sont pas pour autant tirés d’affaire. Le système de refroidissement normal semble hors d’usage, puisqu’ils ont dû recourir à de l’eau de mer pour refroidir le cœur, ce qui est totalement non prévu dans les procédures.
Rémi : Combien de temps faut-il attendre pour que la température redescende ? Et actuellement, à quelle température sont les enceintes des centrales ?
J’ai posé cette question aux experts de l’IRSN, qui n’ont pas été en mesure de donner une réponse précise. Cela dépend de la capacité de l’électricien Tepco à injecter cette eau de mer directement dans la cuve du réacteur.
Dans ce cas, le refroidissement sera plus rapide. Mais il se peut que la pression interne empêche cette injection et que l’eau de mer soit cantonnée au bâtiment réacteur, refroidissant la cuve par l’extérieur, ce qui sera plus lent.
Youenn : Est-ce que l’utilisation d’eau de mer dans un tel réacteur ne risque pas de poser des problèmes (température d’ébullition plus haute, dépôt de sel ou autre) ?
Là encore, il s’agit d’une situation inédite. Les opérateurs n’ont pas eu le choix. Ils savent qu’un procédant ainsi, les réacteurs de toute façon ne pourront pas reprendre du service.
L’eau de mer va nécessairement corroder les tuyauteries à terme.
Thibaud : Cette eau de mer « de secours », dans le meilleure des cas, va permettre de refroidir les barres de combustibles. Mais comment est-elle gérée après ? Recyclage, ou bien relâchée dans la mer, avec j’imagine, sa radioactivité ?
Là encore, nous n’avons pas de réponse précise à ces questions. Une partie va être transformée en vapeur. Il semble que dans les prochains jours, voire dans les prochaines semaines, il faudra à nouveau procéder à des lâchers de vapeur pour éviter les surpressions, ce qui se traduira par de nouvelles bouffées radioactives dans l’atmosphère.
Mathilde : Dans le pire des scénarios, que se passerait-il exactement ? Jusqu’à quelle proportion de l’archipel serait touchée ?
Le pire des scénarios correspond à Tchernobyl. Mais ce réacteur de conception soviétique ne disposait pas d’une enceinte de confinement avec une double peau de béton et d’acier, comme les réacteurs japonais.
Si bien qu’on est plutôt dans un scénario intermédiaire entre Tchernobyl et ce qui s’est passé à Three Mile Island en 1979, c’est-à-dire une fusion partielle du cœur mais qui n’avait pas entraîné de relâchement important de radioactivité dans l’environnement.
Bien sûr, la situation évolue d’heure en heure, et je ne voudrais pas présumer de l’issue de la crise.
Saïgon : En étant positif pour une fois : que se passe-t-il dans le meilleur des cas ?
Dans le meilleur des cas, l’injection d’eau froide permet de faire redescendre et stabiliser la température dans le cœur des trois réacteurs, ce qui limiterait la nécessité de relâcher de la vapeur dans l’environnement.
L’alimentation électrique est rétablie, les systèmes normaux le sont à leur tour. Mais on ignore dans quel état réel ils se trouvent.
Christine : Si la situation est entre celle de Three Mille Island et Tchernobyl, comment l’accident peut-il n’être classé « que » niveau 4 ?
Je pense que ce classement est très préliminaire.
Tokyoite : Le porte-parole du gouvernement japonais indique à l’instant que « comme de l’air passe dans le réacteur 2, même si de l’hydrogène apparaît, le risque d’une explosion est très faible ». Etes-vous d’accord ?
Il semble que les opérateurs soient parvenus à ouvrir une brèche préventive dans ce bâtiment pour éviter l’accumulation d’hydrogène. Là encore, nous en sommes réduits aux déclarations des officiels japonais.
Shk : Les réacteurs nucléaires japonais sont-ils d’un type plus dangereux que les autres ?
Cela dépend. Si on les compare avec les RBMK (type Tchernobyl), ils sont bien plus sûrs ; sinon, ils sont dans la classe des réacteurs occidentaux. Il existe une centaine de ces réacteurs – à eau bouillante – dans le monde.
Julien : Sur le réacteur n°3 de Fukushima-Daiichi, on parle de combustible MOX (comme dans 20 réacteurs en France, source wikipédia), réputé plus « toxique ». En quoi ce combustible est-il plus dangereux qu’un combustible nucléaire « classique » ?
Il comporte un mélange d’oxyde d’uranium et de plutonium. Le plutonium est toxique chimiquement et radiologiquement à très petite dose. Il semble que dans la situation actuelle – c’est-à-dire relâchement de vapeur radioactive dans l’environnement –, le MOX ne soit pas source de relâchement de plutonium dans l’environnement, car il est très peu volatil, contrairement au césium et à l’iode, qui sont les principaux radioéléments émis dans ces bouffées.
Olivier Delhormmes : Les centrales nucléaires nippones étant géographiquement proches les unes des autres n’y a-t-il pas de risque de réaction en chaîne des explosions et émanations radioactives ?
Cela dépend de ce que vous appelez une réaction en chaîne. Si vous évoquez le principe physique qui conduit à la réaction fission au sein d’un réacteur, ce n’est pas le cas. Mais si vous pensez aux effets dominos liés à l’enchaînement séisme puis tsunami qui prive le secteur d’alimentation électrique, cela peut être une image adaptée. Je le répète : il faut pouvoir injecter de l’eau froide dans les réacteurs, même à l’arrêt. Cela nécessite une source d’énergie que ces mêmes réacteurs ne sont plus en mesure de fournir.
Steve : Les employés qui s’affairent actuellement dans ces centrales japonaises sont-ils d’ores et déjà condamnés à plus ou moins long terme ?
Il est très difficile d’évaluer le niveau d’exposition des intervenants dans la centrale. Certains d’entre eux ont été blessés lors des explosions. Certaines opérations peuvent en principe se faire depuis des salles de commande à l’abri des radiations. Mais je suppose que certaines interventions nécessitent de s’exposer à l’environnement ambiant.
Or certaines mesures montrent que la radioactivité sur le site est importante, ainsi que l’a indiqué l’IRSN.
Mark : Quel est, selon toute vraisemblance, le niveau de radiations aux alentours de la centrale et le danger que cela présente pour la population locale et les secouristes ?
Même réponse : des mesures d’évacuation ont été adoptées parce qu’il y a des risques d’exposition. La distribution de pastilles d’iode est censée prévenir la fixation d’iode radioactif sur la thyroïde, mais elle n’offre pas de protection vis-à-vis du césium, par exemple.
June : Quitteriez-vous Tokyo à l’heure actuelle ?
Je préfère être à Paris. Le Quai d’Orsay a d’ailleurs conseillé aux ressortissants français de s’éloigner de la capitale.
Mitsuaki : Est-il possible dans un scenario catastrophe que la mégalopole de Tokyo soit amenée à être évacuée ?
J’ignore quelle sera l’ampleur des émissions de panaches radioactifs dans les prochains jours et l’orientation générale des vents. Donc la réponse est difficile à donner.
Jérôme : Dans le pire des cas, doit-on craindre que les nuages transportent les radiations vers la Russie, la Chine, les Etats-Unis ?
Il est possible que des particules radioactives soient détectées à très grande distance. Cela ne veut pas dire qu’elles auraient un impact sanitaire, car les systèmes de détection sont extrêmement sensibles.
Franck : La France pourrait-elle être touchée ?
Même réponse que plus haut : cela dépend de l’ampleur du panache et du régime des vents. Mais cela paraît très improbable à ce stade.
François : Comment est-il possible qu’un tel cas de figure n’ait pas été sinon prévu du moins un minimum anticipé alors que l’archipel nippon est particulièrement sensible aux tremblements de terre et aux tsunamis ?
Question tout à fait pertinente. Les experts à qui nous la posons ne peuvent que constater que les systèmes de protection vis-à-vis des séismes et des vagues géantes n’étaient pas bien dimensionnés.
Peut-être la conscience du risque était-elle moins aiguë quand ces centrales ont été conçues, dans les années 1960.
Florent : Certes, mais l’utilisation de la centrale de Fukushima a été prolongée il y a un mois...
La tentation de rentabiliser au maximum un investissement est effectivement toujours présente.
Leproto : Est-ce que la solution employée par les Japonais pour gérer la crise du nucléaire est la meilleure, du point de vue technique et sanitaire ?
On a l’impression qu’ils font face avec les moyens du bord dans une région qui par ailleurs a été totalement dévastée par un séisme et une vague sans précédent.
Kuma : Le gouvernement japonais estime que le Japon sera touché à maintes reprises dans les prochains mois par de nouveaux séismes d’une envergure moindre mais néanmoins dans un contexte où les bâtiments de ces centrales sont déjà touchés. Quelles peuvent être les conséquences de ces nouveaux séismes sur les réacteurs ?
Cela peut les fragiliser plus encore, bien sûr.
Guillaume : Quel est l’avenir des réacteurs de Fukushima à long terme ? Peut-il y avoir un sarcophage ?
Dans le meilleur des cas, ils seront leur propre sarcophage si les combustibles qui ont partiellement fondu restent cantonnés à la cuve du réacteur.
Tout dépendra de la tenue de l’enceinte de confinement qui entoure la cuve du réacteur.
aKrobat : Certains commentateurs évoquent les piscines de stockage de combustible usagé qui pourraient présenter un danger. Peut-on avoir des précisions ?
Les experts à qui nous avons posé la question indiquent qu’il y a bien du combustible usagé dans ces bâtiments, entreposé en piscine, et dont l’eau qui fait écran doit être elle aussi refroidie. Mais ils indiquent que le réchauffement est beaucoup plus lent et que la gestion est moins problématique.
Pierre : Quelle garantie apporte la technologie EPR face à de tels événements ? Quelle différence avec les centrales japonaises ?
Une des différences majeures est de prendre en compte dès la conception le risque de fusion du cœur. L’EPR dispose, sous la cuve du réacteur, d’un réservoir renforcé qui permettrait de recueillir le corium (le combustible et ses gaines en fusion) et de prévenir sa diffusion dans le sous-sol.
Par ailleurs, l’EPR dispose d’une double enceinte renforcée.
Mathieu : On nous dit qu’en France, les centrales ont été étudiées pour ce genre de situation. J’habite à 40 km de la centrale de Fessenheim qui ne comporte aucune enceinte de confinement et qui date de 1977. Etant chargé de projet génie civil avec une spécialité dans le béton armé, j’ai franchement des doutes sur la résistance d’une structure de 33 ans qui se trouve en plus sur une faille sismique... Qu’en pensez-vous ?
Nous allons faire le point sur ces questions dans un prochain numéro du Monde. A vos kiosques !
Chat modéré par François Béguin
* pour Le Monde.fr | 14.03.11 | 11h21 • Mis à jour le 15.03.11 | 11h03.