POUR STÉPHANIE LE BARS, CHARGÉE DES QUESTIONS RELIGIEUSES À LA RÉDACTION DU « MONDE », LE DÉBAT SUR LA LAÏCITÉ INITIÉ PAR L’UMP ABORDE L’ISLAM EN DÉNONÇANT « DES COMPORTEMENTS OU DES DÉRIVES ULTRAMINORITAIRES QUI NE DONNENT PAS LA BONNE MESURE DES ENJEUX RÉELS ».
Elise : En quoi l’islam serait-il différent d’autres religions, telles que les religions chrétiennes ou le judaïsme par exemple, par rapport à la laïcité ?
Stéphanie Le Bars : Ce n’est pas tant l’islam, en tant que croyance, que ses pratiques très ritualisées qui soulèvent de nouvelles questions par rapport aux relations traditionnelles entre les cultes et la société, ce qu’on appelle globalement la laïcité. Le développement de l’islam, ces dernières décennies en France et en Europe, s’est réalisé dans un contexte de forte sécularisation. La société française, fortement déchristianisée, a progressivement perdu l’habitude de voir des expressions religieuses dans la sphère publique.
Amine : Je pense que cette question dans ce débat peut être importante : Peut-on penser que l’islam est une religion « à part » dans la mesure où elle intervient quotidiennement dans la vie des pratiquants (5 prières par jour, port du voile pour les femmes...) et donc qu’elle interviendrait nécessairement dans la voie publique ?
Ce sont effectivement les pratiques religieuses de l’islam, prières quotidiennes, signes d’appartenance vestimentaire, respect d’interdits alimentaires qui ont fait irruption dans la société française. Cette visibilité bouscule la conception traditionnelle de la laïcité et suscite des revendications jugées par certains exorbitantes : demandes de viande halal dans la restauration collective, port du voile islamique dans la vie quotidienne, restrictions à la mixité...
Sébastien : L’UMP ne cesse d’illustrer les « problèmes » par les prières de rue. Combien de personnes sont-elles concernées ? A-t-on une idée de la proportion de musulmans laïques et modérés, voire non pratiquants ?
Le ministère de l’intérieur estime à « une dizaine » le nombre de mosquées qui dans plusieurs grandes villes de France et en banlieue parisienne donnent lieu à des débordements de fidèles sur la voie publique. Ce qui correspond à quelques milliers de fidèles.
Il est difficile de faire une distinction entre musulmans « laïcs, modérés, pratiquants ou non » car on peut être tout cela à la fois. Des sondages datant de 2009 estimaient à environ 30 % la proportion de musulmans pratiquants réguliers. Un chiffre qui monte à plus de 70 % pour la pratique du ramadan et pour la fête de l’Aïd qui réunit dans les lieux de culte des croyants qui ne viennent pas habituellement.
Cécile : Que dire à une jeune fille portant le voile qui se présente au centre de documentation et d’information (CDI) de son collège car un(e) professeur(e) lui a refusé l’accès en classe ?
En toute logique, ce genre de situation ne devrait plus se présenter. Depuis 2004, une loi interdit le port de signes religieux ostentatoires parmi lesquels le foulard islamique dans les établissements scolaires. Depuis cette date, les jeunes filles voilées se dévoilent à l’entrée du collège ou du lycée ou ont choisi la déscolarisation et les cours par correspondance.
Anna : Il existe plusieurs religions communautaires en France et pourtant la « fixette » ne se fait qu’envers la religion musulmane. Pourquoi ?
Il y a plusieurs raisons à cette polarisation des débats sur l’islam. La France accueille la plus grande communauté musulmane d’Europe. Et il s’agit, malgré une présence historique ancienne, d’une situation sociologiquement nouvelle, qui remonte à tout juste une quarantaine d’années. Encore une fois, la pratique musulmane, avec ses codes et sa visibilité, est venue bousculer une société sécularisée.
En outre, certains responsables politiques ont effectivement substitué au débat sur l’immigration un débat sur l’islam. Certains assimilent le musulman à l’immigré alors même qu’une proportion toujours croissante de musulmans vivant en France est aujourd’hui française.
Tahar : Qu’en est-il de la pensée islamique vis-à-vis de la laïcité ? La laïcité est-elle simplement un principe juridique ou bien est-elle aussi le fruit de la modernité, donc une philosophie ?
C’est tout l’enjeu de l’émergence de ce que certains appellent un islam européen, un « islam de France ». Les musulmans vivant dans des pays non majoritairement musulmans ont eu à découvrir la séparation du religieux et du politique. Aujourd’hui, pour une immense majorité, cette conception de la séparation est acquise.
Malika : La pensée laïque, face à un catholicisme affaibli, n’a-t-elle pas besoin d’un adversaire pour exister ?
Il est vrai que le « camp laïque », au cours du XXe siècle, s’est moins inscrit dans une laïcité de combat fortement anticléricale, qui le caractérisait au moment de l’adoption de la loi de 1905. L’émergence de l’islam a sans doute contribué à sa revitalisation.
Cécile : C’est vrai qu’à force de perdre nos croyances, il nous est difficile d’appréhender celles des autres. Qu’est-ce que croire en Dieu, finalement ? Il faudrait que les religions soient enseignées à l’école, de sorte que nous puissions comprendre ces pratiques et leurs origines, si différentes des nôtres.
Toute la difficulté de l’enseignement des religions à l’école repose sur la distinction indispensable entre le fait religieux et la foi. Cela fait plusieurs années que des penseurs comme Régis Debray plaident pour le développement de cet enseignement qui permettrait, selon eux, de venir à bout de l’ignorance, de l’inculture des nouvelles générations sur ces questions. Depuis quelques années, des progrès ont été accomplis avec l’introduction, notamment dans le second degré, du fait religieux dans les cours d’ histoire notamment. Mais des progrès sont toujours possibles.
Inès : Faut-il une réforme de la loi de 1905 ?
Après de nombreux débats, de nombreuses réflexions, la plupart des spécialistes de ces questions en arrivent à la conclusion que la loi de 1905 permet de répondre à l’immense majorité des questions relevant des relations entre les cultes et l’Etat. Une modification de la loi de 1905 est régulièrement évoquée pour le financement des lieux de culte, car cette loi prévoit que l’Etat ne subventionne aucun culte. Sur ce point, aucune religion, islam compris, ne demande d’aides publiques directes pour le financement de lieux de culte.
Gui : Pourquoi ne laisse-t-on pas le débat se dérouler ? Il sera judicieux de critiquer les résultats de ce débat, mais cela pourra peut-être améliorer les mentalités !
Ce n’est pas tant le bien-fondé d’un débat sur la laïcité ou l’inscription de l’islam dans la société française qui a fait polémique, que les termes dans lesquels il a été lancé. Les responsables politiques qui en ont pris l’initiative, chef de l’Etat, secrétaire général de l’UMP, l’ont abordé en dénonçant des comportements ou des dérives ultraminoritaires qui ne donnaient pas la bonne mesure des enjeux réels.
Chat modéré par Pascal Galinier