1) Qui se soucie des manutentionnaires de FUKUSHIMA ?
C’est à juste titre que tout un chacun compatit avec les victimes japonaises du tremblement de terre et du tsunami. C’est aussi à juste titre que l’on s’inquiète de développement de la catastrophe nucléaires et des retombées radioactives bien au-delà des 30 km de la centrale (les relevés des balises sont formels, et les aliments dans la zone d’exclusion sont déjà contaminés).
Des voix s’élèvent pour évoquer le sort des 50 techniciens qui font ce qu’ils peuvent dans la centrale hautement radioactive. Mais qui se soucie des quelques 300 manutentionnaires préposés aux basses besognes, aux cotés des pompiers et leur jet d’eau dérisoire, et qui sont de fait les “liquidateurs” japonais ? Les 600 000 de Tchernobyl ont eu 50 morts immédiats, 20 000 morts retardés à ce jour et 200 000 malades des séquelles de l’irradiation (chiffres avancés par le centre international de la recherche sur le nucléaire). Par ailleurs, seuls les travailleurs ont un double risque, celui des fortes doses liés aux accidents et celui des faibles doses comme toute la population exposée et contaminée. Tous les instruments de radioprotection (comme les dosifilms, et autres compteurs) sont là pour le risque immédiat d’irradiation et de contamination, et la médecine du travail gère en parallèle les effets à long terme radio-induits.
Pardonnez à un vieux réflexe de médecin qui fait de la vie de chaque patient “le bien le plus précieux”, et qui s’interroge : quelle solidarité peut-on, doit-on, mettre en œuvre pour les obscurs précaires japonais ? Le mouvement syndical a su se mobiliser pour les intérimaires du nucléaire et l’union européenne a pris quelques dispositions protectives, et nous, que faisons-nous ?
2) Mieux que la ligne Maginot, le comprimé d’iode peut-il arrêter le nuage radioactif ?
A Vladivostok comme à San Francisco, en Corée comme Chine et hélas en France aussi de façon sporadique, on se rue vers les pharmacies en quête de tablette d’iode pour se protéger du nuage de particules radioactives. Certes, la tablette de 65 mg d’iodure de potassium est capable de mettre en repos la glande thyroïde et donc, de diminuer sa capacité de captation de l’iode radioactif. Cela représente une mesure palliative astucieuse, très utile pour les groupes à risques (enfants et adolescents), mais qui n’est pas sans risque : Les troubles hormonaux après ingestion excessive de coquillages en bord de mer déplorés après chaque période de vacances estivales, en témoignent. On comprend ainsi pourquoi l’organisation mondiale de la santé a fixé des normes strictes et a recommandé un contrôle minutieux de la distribution des comprimés.
Faut-il pour autant se moquer de cette nouvelle masse d’individus iodolâtre ? Et d’abord à qui la faute ? Si la population était réellement informée avant le cataclysme, si tout un chacun savait que l’iode radioactif est UN des radiotoxiques, alors que la contamination se fait par un cocktail de radionucléides, captés par le foie comme le caesium, ou les os pour le strontium, etc.…de tels mouvements irrationnels seraient minorés.
Le maitre mot devant un tel fléau nucléaire est la prévention. Si, dans le domaine du traitement curatif, le médecin à le rôle quasi principal, dans la prévention avec d’autres (scientifiques, psychologue, enseignants) il devient un expert parmi d’autres, le rôle principal étant dévolu au Citoyen et surtout à son intelligence. Pas de prévention efficace en santé publique sans conviction et action de celui-ci. La diminution ou l’augmentation des contaminés du SIDA ne dépend que de la prise de conscience et donc de l’action de chacun.
Dans le domaine de la prévention, qui est notre priorité à l’AMFPGN, informer c’est partager le savoir.
3) Nous ne sommes pas de bois !
Depuis le début de la catastrophe de FUKUSHIMA les lecteurs du journal, médusés, voient valser une sarabande de mesures, toutes plus incompréhensibles les unes que les autres : du SIEVERT (Sv) tendance micro ou milli, compté aussi par heure, en passant par le BECQUEREL (Bq) seul ou par m2 ou m3, sans oublier le GRAY (Gy), il y a de quoi perdre son latin.
Essayons de défaire ensemble cet écheveau. Au départ, la volonté est de mesurer pour les rayons X ou gamma, le dépôt d’énergie dans la matière.
On a finalement assimilé ce dépôt d’énergie à une dose, c’est à dire à une énergie déposée par kilo, avec comme unité le GRAY et ses sous-multiples. Mais très vite, l’assimilation de notre corps à de l’air, de l’eau, ou du bois s’est avéré impossible : notre corps ne réagit pas comme la matière inerte, par exemple dès le départ, le dépôt d’énergie est toujours hétérogène (entre les cellules, les organes, ou les individus) et la moyenne n’a ici pas grand sens. Alors on a inventé une unité de détriment, le SIEVERT, en bricolant le GRAY avec des facteurs de pondération selon le type de rayons et les organes récepteurs.
Malheureusement cela ne suffit pas car nous ne réagissons pas de la même manière à l’irradiation externe par des rayons et à la contamination interne de la radioactivité. Les radiotoxiques entrés ensembles se répartissent selon leurs affinités (thyroïde, foie, os, cerveau) et selon leur nature. Puisque les lois biologiques des effets de la radioactivité sont différentes, essayons de classer les informations simplement : la radioactivité dans les nuages produit par la centrale est-elle grande ? Oui il y a des milliards de milliards de Bq. Qu’en reste-t-il à distance, pour TOKYO, pour les USA où le nuage est présent (beaucoup moins), pour la France (on verra quand il sera là). Quels effets pour la santé : pour les travailleurs exposés (mortels) pour les Japonais (rien d’immédiat, mais avec des conséquences à long terme), pour nous (à priori très faibles). Bon courage les vivants.
4) Les doses seuils pour les rayons : limites scientifiques ou politiques ?
Le dogme de la limite de dose fixée à 100 mSv [1] pour déclencher une maladie radio induite comme le cancer, répercuté pieusement par bien des journalistes, permet de régler 2 problèmes :
1- Ce “seuil” est la limite entre fortes et faibles doses.
2- En dessous de celui-ci, pas de répercussion sur la santé.
Conclusion : les vétérans des essais nucléaires, avec leurs leucémies et leurs cancers sont tous des simulateurs et pas des victimes (cela a duré pendant 40 ans jusqu’à la loi de 2010). La réalité est simple : aux fortes doses, définies aussi par des critères médicaux mesurables (comme la dosimétrie biologique) les effets sur la santé sont immédiats (maladie des rayons) et pour certains individus, par des affections radio induites, à long terme. Pour les faibles doses, pas de maladies des rayons, mais tout autant de maladies radio induites avec de grosses différences selon les individus, car seuls les mécanismes biologiques comptent indépendamment du dépôt d’énergie initial. Les études épidémiologiques utilisent souvent comme limite à leurs travaux 10 mSv, uniquement parce que, en dessous, la mesure des effets est difficile. Il n’y a donc aucun seuil aux phénomènes uniquement biologiques dans la formation des lésions tardives comme les tumeurs malignes, cela dépend seulement de la réaction de chaque organisme, d’où l’importance de définir des groupes à risques en santé publique. On utilise pour ce faire la notion de risque relatif en comparaison avec une population témoin non irradiée.
A qui profite le crime ? Surement pas aux victimes et tout particulièrement aux travailleurs exposés, mais pour des raisons “d’images” et de gros sous, aux exploitants et à l’état. Dans ce domaine, leurs profits valent plus que nos vies !
5) Et si on parlait du désarmement et de l’alerte nucléaire ?
Avec le soutien de 141 pays et malgré l’hostilité totale de notre gouvernement, la question du désarmement est abordée positivement par une convention qui propose une méthode réaliste et fiable, pour arriver à l’élimination totale des armes nucléaires. En France, dans une coalition appelée “ICAN” [2] nous nous battons pour cette convention. Mais la question reste : par où commencer ? Par la diminution du nombre de têtes atomiques (comme le traité START III) ? Mais il reste 1300 de celles-ci qui se font face en alerte. Pourquoi ne pas commencer par la mise immédiate hors d’état de nuire du système en place ?
Nous médecins avons optés, en guise de début, comme la majorité de l’assemblée générale de l’ONU, pour le premier article de la convention c’est-à-dire l’arrêt immédiat de cette absurde alerte nucléaire qui prolonge inexplicablement la guerre froide. Cette procédure toujours en vigueur entraine par simple transmission (purement informatique) d’une arrivée éventuelle d’un missile “hostile”, une décision en 20 minutes et une réponse globale en 2 minutes seulement. Nous avons échappés, parfois par miracle comme en 1995 (avec déclanchement imminent du feu atomique par les russes à cause d’une fusée norvégienne non identifiée), à l’allumage de cette mèche apocalyptique, toujours prête à être actionnée aujourd’hui. Si la Russie et les USA se disent amis, pourquoi laissent-ils en place ce système absurde. Cela nous concerne plus directement puisque “notre ” dissuasion et celle de l’Angleterre sont reliées à ce face à face, et à quel prix !
Face aux accros du génocide atomique près à détruire, éventuellement par inadvertance, notre planète, il n’y a que les citoyens de par le monde pour contrer tout passage à l’acte. C’est peu de choses direz-vous, et pourtant cela constitue une force de vie considérable si nous nous y mettons tous.
Dr Abraham Behar, président de l’AMFPGN.