Depuis le début de la crise post-électorale – et même sans doute avant les élections ! -, la victoire de Ouattara ne fait aucun doute à Paris et Washington. Les déclarations sentencieuses de Sarkozy ont déjà trois mois : « aucune contestation n’est possible [Gabgbo] doit maintenant laisser le pouvoir au président élu ». Malgré les contestations bien réelles, la CEDEAO a pris les devants. Réunis au Mali, les chefs d’état-major ouest-africains ont évoqué un renversement militaire de Gbagbo pour installer Ouattara. Mettant leurs commanditaires au pied du mur, le ministre des affaires étrangères nigérian a demandé, avant toute intervention, une résolution de l’ONU. Le volontarisme nigérian est tempéré par des violences internes sporadiques et une élection présidentielle au mois d’avril. Préférant se couvrir elle-même par une résolution de l’Union Africaine, l’ONU s’est contentée de voter un renforcement « urgent » de son dispositif en Côte d’Ivoire [1]. De son côté, l’Union Africaine a repoussé la solution militaire et envoyé cinq chefs d’États négocier une sortie de crise. Vues les données du problème ivoirien, la composition de ce panel est - partiellement - affligeante. Trois de ses membres sont des militaires du pré carré françafricain, arrivés au pouvoir par un coup d’État : Blaise Compaoré (Burkina Faso, 1987), Idriss Deby (Tchad, 1990) et Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie, 2008). Les deux autres sont arrivés au pouvoir par les urnes : Jacob Zuma (Afrique du Sud, 2009) et Jakaya Kikwete (Tanzanie, 2005).
Fermeté sud-africaine
Le 17 février, la ministre des Affaires Etrangères sud-africaine s’est démarquée de la position pro-Ouattara que l’UA avait prise en décembre. Parlant d’élections « peu concluantes », « imparfaites », elle a expliqué en détail comment l’Union Africaine pourrait revenir sur sa position initiale. Interrogée sur d’éventuels pourparlers au sujet de la crise ivoirienne pendant la visite de Zuma à Paris les 2 et 3 mars, elle a insisté sur le fait que « la solution doit principalement venir des chefs d’États africains eux-mêmes. » Cette fermeté est d’autant plus palpable que depuis début janvier, un bâtiment militaire sud-africain se trouve au large des côtes ivoiriennes.
chahuté, Ouattara bousculé
Le panel africain s’est finalement rendu le 21 février à Abidjan. Mais sans Compaoré. Le président burkinabé est accusé depuis longtemps d’être un soutien essentiel de la rébellion ivoirienne. Celle qui tenta de renverser Gbagbo en 2002 et se trouve aujourd’hui aux côtés de Ouattara. Il a donc préféré éviter l’accueil mouvementé que les « jeunes patriotes » lui préparaient. Il faut dire que malgré sa toute fraîche – et peu crédible – réélection, les manifestations de jeunes au Burkina Faso pourraient prendre de l’ampleur. La rencontre du 22 entre le panel et Ouattara fut tendue - Zuma ne se privant pas de couper la parole à Ouattara devant la presse. Le ministre délégué aux Affaires Etrangères d’Afrique du Sud, Ebrahim Ismail Ebrahim aurait confié à l’AFP les propositions du panel : un partage du pouvoir ou une nouvelle élection présidentielle. La médiation devrait reprendre le 4 mars, à l’issue de la visite de Zuma à Paris. Mais depuis ce 22 février, les évènements sur le terrain semblent se précipiter.
« La guerre a recommencé en Côte d’Ivoire, même si personne n’ose encore le dire clairement »
Ces propos alarmant du journaliste Théophile Kouamouo montrent combien il est difficile de croire aux chances de la négociation. Fort de ses soutiens chaque camp reste inflexible. Du côté de Gbagbo, les forces de sécurité, les jeunes patriotes et ses alliés sud-africains et angolais. Du côté Ouattara, les rebelles, ses alliés des forces « impartiales », l’ONU, la France et les États-Unis. Au milieu, les Ivoiriens pris en étau, victimes d’enjeux politiques et stratégiques... Dans le centre ouest, après des incidents intercommunautaires meurtriers en janvier (une quarantaine de morts selon Amnesty International), il y a eu d’importants déplacements de population. Le long de la frontière libérienne, les rebelles, qui contrôlent la moitié nord du pays, ont progressé vers le sud. Une frontière franchie par 45 000 Ivoiriens depuis trois mois, selon le HCR. À Abidjan, les forces de sécurité (FDS) pro-Gbagbo terrorisent certains quartiers et mènent des opérations contre le « commando invisible [2] ». Ce dernier, fortement équipé, opère depuis le quartier d’Abobo – majoritairement pro-Ouattara -, où il a occasionné depuis mi-janvier d’importantes pertes dans les rangs des FDS. Fuyant les combats, des milliers d’habitants ont quitté Abobo. Les jeunes patriotes se mobilisent maintenant contre l’ONUCI. Ban Ki-Moon a dénoncé, le 28 février, une violation de l’embargo mis en place en 2004 : trois hélicoptères d’attaque biélorusses auraient été livrés à Gbagbo, à Yamoussoukro. Avant de se rétracter quelques heures plus tard ! Le comité des sanctions de l’ONU qui s’occupe de la Côte d’Ivoire va-t-il être réactivé ? Il s’est endormi l’automne dernier sur le dernier rapport du groupe d’experts ad hoc (Billets d’Afrique n°198 [3]).
Les coups de pouce de Paris
En attendant une intervention plus musclée, Paris a répondu à l’appel de Ouattara pour des sanctions économiques contre le régime de Gbagbo. En moins de deux mois, quatre trains de sanctions ont été adoptés par l’UE. Outre les 91 personnalités visées, les bateaux européens ont interdiction de se rendre dans les ports ivoiriens, avec des conséquences sur les exportations de cacao mais aussi sur les importations médicales et alimentaires. Les filiales ivoiriennes des banques occidentales, au premier rang desquelles, la BNP-Paribas et la Société Générale ont fermé, paralysant un peu plus l’économie ivoirienne.
Rafik Houra