Alors que la catastrophe de Fukushima révèle une nouvelle fois l’ampleur des risques que fait courir l’industrie nucléaire, l’heure est d’abord à la solidarité avec le peuple et les travailleurs du nucléaire japonais .
Mais cette catastrophe interroge également les grands choix internationaux de production énergétique et les logiques qui les sous-tendent. L’enjeu ne concerne pas uniquement le Japon, ni même seulement le nucléaire ; il s’agit bien plutôt de combiner révolution énergétique et réponses à la crise sociale et économique provoquée par le capitalisme.
C’est là un défi majeur : combiner l’urgence de la sortie du nucléaire, la réduction massive des émissions de gaz à effet de serre, des pollutions, et des consommations de ressources non renouvelables, tout en garantissant l’accès égal de tous et toutes au logement, à l’énergie, à l’eau, à une alimentation et à une certaine mobilité.
Le débat sur le nucléaire est le plus souvent confisqué par des experts qui, avec l’appui de la science et de données techniques, éloignent de tout choix démocratique les simples citoyen-ene-s. Or il ne s’agit pas d’abord d’un débat technique, mais bien des objectifs qu’une société égalitaire, démocratique, soucieuse du principe de précaution et des équilibres des écosystèmes doit se fixer quant à la gestion des ressources énergétiques. En ce sens, notre premier objectif ne peut qu’être une politique de sobriété et d’efficacité énergétiques, car la seule énergie « propre » est celle que l’on ne consomme pas.
Sobriété, efficacité et énergies renouvelables
De grandes quantités d’énergie pourraient être économisées, y compris concernant la production d’électricité. Mentionnons quelques exemples :
• Les pertes en ligne : l’industrie nucléaire consomme une partie non négligeable de sa production, notamment du fait de son hypercentralisation. On estime que 12% de l’énergie électrique sont perdus dans les lignes haute tension et à cause des transformateurs en surchauffe. Ces pertes peuvent être réduites d’un tiers en dix ans par la baisse de la consommation, la modernisation de certains équipements (transfos) et la décentralisation des modes de production.
• Exportation : l’arrêt progressif des exportations permettra de baisser progressivement notre production.
• Chauffage : en France 30% des foyers sont équipés de chauffage électrique (contre 5% seulement en Allemagne). Pour beaucoup cela représente une charge financière considérable. Un vaste programme d’isolation de l’habitat, la production de poêles à bois, l’usage de la géothermie, l’installation de chauffage central en cogénération (où la chaleur émise permet de produire en même temps de l’électricité) permettraient de grandes économies.
• L’efficacité énergétique n’est pas compatible avec le capitalisme qui développe toujours des nouvelles envies et mise sur des concepts tels que celui de la fin de vie programmée : Electroménager, ameublement, téléphonie, informatique… des nouveaux produits inutiles sont produits, transportés et vendus et celui tombé en panne selon la volonté des producteurs doit être transporté puis recyclé. Donner la priorité à la durée de vie, à la récupération, au recyclage et à la réparation permettraient de créer localement de nombreux emplois tout en économisant de grandes quantités d’énergie et de ressources. Un contrôle public des durées de vie des biens de consommation courants est nécessaire pour encadrer les activités des grands groupes privés de production et de distribution.
• Eclairage domestique et public : une loi cadre pour les entreprises et les collectivités afin de les obliger à réduire leurs éclairages, et un démarchage envers les particuliers pour améliorer leurs consommations peuvent être des vecteurs d’économies.
• Industrie et commerces : nous proposons la suppression immédiate des panneaux de publicité lumineux, des normes sur le froid industriel, la suppression progressive de la climatisation, l’amélioration de l’isolation des locaux anciens et la mise en place de normes bioclimatiques sur les nouveaux. Un relèvement des tarifs pour les entreprises sera un levier pour accélérer une politique de sobriété énergétique, de même que la mise en chantier de moyens de production propres et de cogénération.
De telles orientations qui concernent essentiellement l’électricité ne seraient cependant sans aucune efficacité si elle ne s’accompagnait d’une batterie de mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre : diminution des transports de marchandises, relocalisation de la production, optimisation des déplacements domicile-travail, réduction drastique des engrais azotés dans l’agriculture… [1]
Par ailleurs, pour satisfaire un accès à tous et toutes aux ressources, nous proposons que soit garanti gratuitement un accès aux besoins de base (pour l’eau, l’électricité…), tout en taxant fortement et de manière exponentielle les gaspillages. On pourra ainsi dessiner un autre rapport aux ressources et aux biens, une mise en cohérence entre choix publics et choix individuels, par exemple pour les transports de personnes, les choix alimentaires (réduction de la consommation de viande, ou de produits venus de l’autre bout de la planète…).
L’autre grande dimension d’une politique énergétique est le développement massif des énergies renouvelables : le vent (éoliennes), l’eau (barrages hydroélectriques, marée-motrice, houle), le soleil (panneaux photovoltaïques et thermiques), les végétaux (biocarburants), la chaleur du sol (géothermie) ou encore le biogaz [2]. Le potentiel de production de ces énergies est immense et bien supérieur à celui des énergies fossiles.
Mais en aucun cas, le recours à des techniques non conventionnelles telles que la « fracturation hydraulique » massive (gaz et huiles de schiste) ou encore l’exploitation des sables bitumineux ne peut être toléré.
Le budget de la recherche en France est consacré en grande partie à la recherche liée au nucléaire. Pourtant, la priorité devrait être donnée à celles liées aux énergies renouvelables, à l’efficience énergétique, aux réseaux d’énergie intelligents ou encore à la réduction des émissions de gaz à effet de serre des technologies qui utilisent le charbon.
Une sortie rapide en une dizaine d’années est possible, essentiellement en prenant immédiatement les décisions politiques adéquates pour l’efficacité énergétique et la production, mais également en permettant par l’action publique une évolution sobre des comportements individuels.
Contre les requins du privé, refonder les services publics de l’énergie
La réponse aux besoins énergétiques est de même nature que pour tous nos besoins de base : eau, santé, éducation... Ils ne peuvent s’accommoder des aléas du marché, être livrés aux enchères du moment, nourrir un parasitisme financier vorace et dévastateur pour la planète. Un vrai service public de l’électricité, débarrassé de l’énergie nucléaire, cogéré par les salariés et les usagers aurait à évoluer d’un mode de production hypercentralisé (19 centres de production électronucléaire) à des productions décentralisées, avec une variété de sources d’énergie, des unités plus nombreuses et de taille plus modeste, soumises au contrôle démocratique des populations concernées. L’articulation entre régies locales et entreprise publique nationale, qui garderait la responsabilité totale du réseau de transport et de distribution permettrait de réaliser l’égalité dans l’accès à l’énergie sur tout le territoire. Un tel service public aurait aussi pour mission de centraliser l’évaluation des potentiels d’économies énergétiques et de mise en place d’énergies renouvelables. Une coopération au niveau européen (vers un service public européen...) doit par ailleurs permettre une mutualisation des productions afin d’assurer un approvisionnement constant. Enfin, le transfert gratuit de technologies des énergies renouvelables vers les pays du Sud, permettant un développement écologiquement viable, doit pouvoir être pris en charge par un tel service public.
Les objectifs financiers, productivistes et croissantistes qui sont en centre des sociétés privées cotées en bourse vont en l’encontre de la logique d’une production écologiquement et socialement responsable. Il n’y aura pas de sortie du nucléaire sans s’en prendre à ces multinationales de l’énergie, sans les réquisitionner et utiliser leurs profits pour reconvertir l’outil industriel énergétique à des fins sociales et écologiques.
Thomas Couderette, Vincent Gay
Encadré : La sortie du nucléaire ne peut se réaliser sur le dos des salariés de la filière. Plusieurs décennie seront nécessaires pour organiser le démantèlement des centrales et la surveillance des sites. Avec les salariés, nous revendiquons :
– l’arrêt des plans de suppressions d’emplois dans la filière électrique
– l’embauche des travailleurs du nucléaire en CDI et la titularisation des intérimaires, pour garantir une protection et une sécurité efficaces pour eux-mêmes et pour la population
– un programme d’embauche de personnels qualifiés
– le droit d’information des mouvements antinucléaires à l’intérieur des centrales
– zéro licenciement au moment des fermetures des centrales
– un programme de formation pour intégrer les salariés dans la production d’énergies renouvelables
– des embauches massives dans ces énergies