La plus grosse centrale nucléaire au monde, qui doit être construite par le groupe Français Areva à Jaïtapur, est source d’agitation ces derniers temps. Depuis la signature en décembre d’un accord-cadre entre la France et l’Inde pour la construction, à terme, de six réacteurs EPR, manifestations, arrestations et poursuites judicaires font partie du quotidien des habitants de cette localité côtière du sud-ouest du pays.
Les toutes récentes catastrophes nucléaires au Japon, dévasté par un tsunami, on sonné l’alerte en Inde, poussant le gouvernement fédéral à ordonner lundi la vérification de tous les réacteurs du pays. Le ministre indien de l’Environnement Jairam Ramesh a annoncé mercredi que le NPCIL (l’entreprise nucléaire publique indienne) allait passer en revue les mesures de sécurité envisagées pour l’installation de Jaïtapur. De son côté, le parti communiste (CPI-M) a demandé le réexamen du projet d’Areva, citant à la fois le manque de fiabilité des EPR et l’opposition des populations locales au projet.
Selon le département géologique (Indian Geological Survey), Jaïtapur se situe en zone sismique de catégorie 3 et a enregistré pas moins de 92 tremblements de terre entre 1985 et 2005. L’actualité japonaise a convaincu les activistes et les géologues que les mesures de précaution ne suffiraient pas à protéger les populations locales si le site venait à être frappé par une violente secousse sismique.
Jaïtapur : « Un des écosystèmes les plus riches d’Inde »
Une nouvelle embûche donc, sur la route indienne d’Areva, dont le projet ne faisait déjà pas l’unanimité. L’opposition des activistes précède en effet de loin la tragédie japonaise. « [Jaïtapur] abrite un des écosystèmes les plus riches d’Inde, c’est une région unique au monde en matière de biodiversité. Construire un réacteur nucléaire à cet endroit est la chose la plus ridicule qu’on puisse faire », dénonce Praful Bidwai, journaliste, chercheur et membre de la Coalition pour le Désarmement Nucléaire et la Paix (CNDP).
Selon le CNDP, le projet à été validé à la hâte, sans étude sérieuse au préalable, afin que sa signature coïncide avec la visite en Inde de Nicolas Sarkozy, en décembre dernier. « Le problème des déchets radioactifs n’a pas été mentionné, sans compter que 95% des locaux n’ont pas accepté de compensation pour leurs terres », affirme M. Bidwai.
La côte de Konkan, où se trouve Jaïtapur, est peuplée de nombreux pêcheurs, qui pourraient être privés de leur seule source de revenu si la centrale voit le jour. « Même si la température de l’eau augmente d’un degré à cause de la centrale, la pêche en sera affectée », précise Vaishali Pali, une activiste originaire de Konkan. « Lorsque le gouvernement du Maharashtra a demandé aux locaux ce qu’ils voulaient, une villageoise lui a demandé à son tour avec aplomb en marathi : ‘pouvez-vous nous procurer une nouvelle mer d’Arabie ?’ », raconte-t-elle.
Agitation et répression
Peinant à convaincre la population locale de la viabilité du projet, le gouvernement du Maharashtra, dont le chef, Prithviraj Chavan –ministre de l’Energie atomique jusqu’en novembre dernier- est l’un des architectes, a finalement opté pour la répression. Depuis le mois de décembre, au moins des centaines de personnes, dont un ancien juge de la haute cour de Bombay, ont été arrêtées pour des raisons souvent fallacieuses. Prétextant à un « maintien de la paix », la police détient les villageois abusant de la section 144(3) du code pénal indien, qui interdit le rassemblement de personnes.
Le 4 décembre dernier, à la veille de la venue de Nicolas Sarkozy à Bombay, près d’un millier de manifestants avaient été arrêtés dans la région de Jaïtapur. « Tous les jours il y a des affrontements, des arrestations, de l’agitation », déplore Mme. Patil. « Les paysans veulent bien discuter mais il faut que le gouvernement cesse la répression ».
« Quel va être le coût du projet ? »
Outre les considérations environnementales, le projet d’Areva à Jaïtapur, qui doit founir à l’Inde près de 10 000 MW, est également remis en cause pour des raisons technologiques et économiques. « Il y a eu plusieurs plaintes concernant le réacteur EPR, notamment en Finlande et au Royaume-Uni. Sa fiabilité n’est pas encore prouvée », affime Praful Bidwai. « Et Quel va être le coût de ce projet ? », s’interroge-t-il.
Lors d’une conférence scientifique en décembre dernier, l’ancien président du Conseil indien de surveillance de l’Energie Atomique (Atomic Energy Regulatory Board) A. Gopalakrishnan avait mis en garde contre le projet Areva, affirmant que l’EPR n’avait « pas fait ses preuves » et était la source de délais et que son coût dépassait les estimations initiales.
Antoine Guinard (Aujourd’hui l’Inde)