Comme pour la pénalisation du racolage, celle des client nous est livrée avec l’argument que ce serait pour la dignité de « la » (sic !) femme. Les femmes migrantes sous la coupe de proxénètes sont prises à parti par ce discours répressif, quand des politiques (UMP et PS) nous disent qu’on « ne peut pas laisser faire ça » alors même qu’aucun moyen sérieux n’est octroyé à la lutte contre le proxénétisme de contrainte ou la traite.
La prostitution peut s’exercer sous de multiples formes. On peut être dans la prostitution par choix contraint (par exemple pour des raisons économiques) puis choisir d’y rester. De même, dans la contrainte, il existe des cas où la personne est sous la coupe d’un proxénète qui laisse une certaine marge de liberté dans l’exercice de la prostitution.
Pour les migrantes, les choses sont encore plus complexes : une migrante sans papiers, venue d’elle-même se prostituer en France, peut se retrouver contrainte par un proxénète ; une autre qui veut s’installer en France et doit rembourser son passeur, exerce la prostitution à cette fin et se libérera une fois sa dette acquittée ; une autre encore qui travaille comme femme de ménage, peut se résigner à la prostitution pour survivre, etc.
Dans toutes ces situations, la loi de pénalisation du racolage et le système d’octroi de papiers conditionné à la reconnaissance de la culpabilité n’aident pas les travailleurEs du sexe. De même, la chasse aux sans-papiers et le peu de possibilités de travailler offertes aux femmes migrantes n’incitent pas à sortir de la prostitution. La pénalisation des clients dégradera encore plus leurs conditions de travail en les rendant encore plus précaires et vulnérables.
Que la cible soit le/la travailleurE du sexe qui racole, ou les clientEs, le résultat est le même : mobilité accrue, mise hors de portée des associations de terrain, éloignement des structures de soins, de dépistage, de prévention.
Rendre les travailleurEs du sexe invisibles accroît leur exposition aux violences policières ou de la part de certainEs clientEs.
Dans son avis rendu le 16 septembre 2010, le Conseil national du sida s’alarme des conditions de travail dégradées des prostituéEs et évoque une « absence de cohésion des politiques publiques au détriment de la santé »1. Dans ses recommandations, le CNS préconise de rendre la visibilité aux travailleurEs du sexe, afin qu’ils/elles aient accès à la prévention et aux soins.
Quand le PS et l’UMP s’allient pour pénaliser ensemble les clientEs, c’est au détriment des enjeux de santé publique.
Les tenants de la réglementation du travail sexuel savent bien que le modèle de réglementarisme proposé dans certains pays d’Europe comme l’Allemagne et les Pays-Bas ne sont pas satisfaisants car ils n’ont pas délivré les femmes de la traite, les migrantes continuent d’exercer dans l’illégalité, et surtout des entreprises s’enrichissent sur le « ventre » des femmes. Ce qu’ils demandent c’est qu’on arrête de criminaliser le travail sexuel, qu’on lutte réellement contre ceux qui exploitent les hommes et les femmes qui l’exercent et qu’on les écoute parler de leurs conditions de travail.
Comme pour toutes luttes, c’est aux personnes concernées de définir les moyens, les outils et de forger les discours qui vont conduire à leur émancipation, c’est aux travailleurs et travailleuses sexuels de dire quel est leur conception de la dignité dans le travail qu’ils et elles exercent. Il serait anti-féministe d’imposer des valeurs comme la dignité à un groupe de femmes actuellement opprimées en leur disant que leurs conditions de travail et de vie vont être dégradées mais pour leur plus grand bien.
Ce qui assure l’indépendance des femmes c’est de garantir le libre arbitre dans l’exercice de la prostitution et de s’assurer de ses bonnes conditions d’exercice (santé, sécurité, droits sociaux et moyens financiers).
Malika Amaouche (coordinatrice du collectif Droits & prostitution) et Cécile Lhuillier (coordinatrice Droits sociaux / Accès aux soins, Act Up-Paris)
1. hwww.cns.sante.fr/IMG/pdf/2010-09-16_syn_fr_prevention-3.pdf