Semaine après semaine, le chef de l’État et sa majorité poursuivent leur offensive politique, juridique et sécuritaire contre les immigrés. Après les « clandestins », traqués, internés puis renvoyés de force dans leur pays d’origine en application d’un véritable plan quinquennal d’expulsions – près de 30 000 par an depuis 2007 –, et les Roms, Claude Guéant s’en prend désormais aux immigrés en situation régulière et aux demandeurs d’asile. Leurs droits au travail, à la santé, à une vie familiale normale, notamment, sont toujours plus gravement remis en cause, comme en témoignent le projet de loi Besson et les déclarations multiples du ministre de l’Intérieur, dont la main très à droite fouille avec application la besace des Le Pen, père et fille. Pendant ce temps, Nicolas Sarkozy, tout sourires, scelle un accord avec l’un des chefs de gouvernement les plus réactionnaires d’Europe – Silvio Berlusconi, soutenu par la Ligue du Nord qui est une organisation ouvertement xénophobe, raciste et islamophobe – pour renforcer les accords de Schengen. Bel attelage !
Aujourd’hui affolées par la progression du Front national et par la perspective de perdre le pouvoir en 2012, l’Élysée et l’UMP appliquent, en ces domaines, une politique dont il est chaque jour plus évident qu’elle relève d’une sorte de lepénisme à peine réformé.
Cette involution remarquable mais sinistre est liée aux fondements mêmes de ce qu’il est convenu d’appeler le « sarkozysme », lequel repose, pour le sujet qui nous occupe, sur deux « principes » majeurs : les charters pour les sans-papiers, le Kärcher pour les habitants des quartiers populaires victimes de discriminations multiples et graves. Distinctes, mais liées entre elles, ces orientations prospèrent sur une xénophobie élitaire, politique et journalistique parfois, comme le prouve le pathétique et bavard Éric Zemmour, qui croit penser lors même qu’il débite sur un ton docte des préjugés éculés, et sur une hantise des classes pauvres jugées dangereuses par les défenseurs d’une France des « terroirs », « blanche », « chrétienne » et réputée travailleuse.
Plus grave, force est de constater que, sur ces terrains notamment, le chef de l’État et ses affidés ont volé de victoire en victoire puisqu’ils sont parvenus à imposer sans difficultés majeures leur politique. Ces victoires se lisent dans le prurit législatif et réglementaire qui affecte depuis des années le droit des étrangers et le champ particulier de la sécurité publique ; tous deux soumis à des réformes incessantes qui portent atteinte aux prérogatives des personnes visées, qu’elles soient allochtones ou françaises.
Enfin, et ceci explique pour partie cela, ces victoires ont été possibles parce qu’elles s’appuient sur d’autres remportées, elles, sur le terrain idéologique ; en témoigne le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme pour l’année 2010. 56 % des personnes interrogées estiment en effet qu’il y a « trop d’immigrés en France » – plus 9 points par rapport à 2009 –, 67 % soutiennent que « les immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale » et 50 % jugent que l’on ne « se sent plus chez soi (…) en France » – plus 9 points également. Ces résultats révèlent ceci : la « bataille de l’opinion », comme disent les spécialistes, a été en partie gagnée par celles et ceux qui, du FN à l’UMP en passant par les sommets de l’État, tiennent depuis des années des discours xénophobes en faisant des immigrés et de certains nationaux d’origine étrangère la cause de maux multiples qu’il faut combattre au plus vite.
Depuis trop longtemps, Nicolas Sarkozy et ses gouvernements successifs sont forts des faiblesses d’une opposition partisane, syndicale et associative qui s’en tient à des modalités d’action sectorielles et limitées. Contre la réforme des retraites, de nombreux participants aux manifestations scandaient « résistance ». Relativement à la politique d’immigration, il faut désormais l’organiser, ici, maintenant, tous ensemble et pour les mois à venir car l’offensive xénophobe et sécuritaire va se poursuivre, et elle sera au cœur de la campagne présidentielle. Dans ce contexte, il est urgent de construire un vaste mouvement national et unitaire contre le racisme, la politique d’immigration du gouvernement et pour la régularisation des sans-papiers. Tel est le sens de l’appel à manifester partout en France le 28 mai 2011 [1], signé par des dizaines d’organisations politiques, de très nombreux syndicats de salariés, d’enseignants, de magistrats, d’avocats, d’étudiants et de lycéens, d’associations nationales et locales auxquels s’ajoutent de très nombreux élus locaux, députés et parlementaires européens.
Olivier Le Cour Grandmaison, Maître de conférences en sciences politiques