Pourquoi avoir choisi ce moment pour annoncer votre non-candidature à l’élection présidentielle ?
Olivier Besancenot – C’est sans grande surprise ! J’ai toujours expliqué que je n’avais pas vocation à me ranger dans la case de l’éternel candidat d’extrême gauche. Je m’étais déjà posé la question en 2007, notamment à cause de la personnalisation à outrance et du regard qui, au fur et à mesure, a changé par rapport à « la surprise » que je pouvais incarner en 2002. Or, c’est aussi de cette surprise que dépend le message politique que l’on veut véhiculer : contester aux politiciens, chaque fois qu’il le faut, leur mainmise sur nos destinées.
A la fin du mouvement sur les retraites, nous avons fait la proposition d’une candidature unitaire de rassemblement anticapitaliste qui n’a pas eu grand succès, notamment auprès des autres partis. Les interrogations du NPA devenaient donc plus pressantes sur mon éventuelle candidature, et il a fallu y répondre, ne serait-ce par correction vis-à-vis des militants à qui j’ai des comptes à rendre. Mais aussi pour permettre au NPA de prendre le temps de se retourner et de choisir un ou une autre candidat(e).
N’avez-vous pas peur de contribuer à la fragilisation du NPA ?
Je ne l’envisage pas du tout comme ça. Je comprends que ma décision soit un peu déstabilisante au début, mais c’est la seule décision salutaire – y compris sur le court terme. C’est la possibilité pour le NPA de se retrouver sur son « ADN politique commun » plutôt que sur un nom familier. C’est aussi, pour moi, une occasion de représenter publiquement le NPA, mais différemment. Je sais bien que de nombreux militants au NPA, et notamment au sein de sa direction, ne partagent pas ma décision. En s’écartant d’un chemin balisé, on prend toujours des risques. Mais la politique, c’est l’art de savoir en prendre, surtout quand on est révolutionnaires. Sans quoi, on sombre dans des travers conservateurs qu’il faut laisser aux autres partis.
Vous parlez du regard qui a peu à peu changé sur votre candidature. Cela parasitait-il le message du NPA ?
C’est inévitable. Quand tu commences à arborer l’étiquette « vu à la télé », que tu t’incrustes durablement dans le petit écran, au bout d’un moment, les idées ou les combats que tu es venu défendre s’effacent au profit d’une certaine routine. Le travailleur qui part à l’assaut de la politique, avec son organisation, devient un jour celui qui fait de la politique, tout en continuant à travailler et, au fur et à mesure, devient celui qui fait de la politique tout court. Chaque jour que je distribue le courrier, quelqu’un m’arrête pour me dire : « Alors, vous travaillez vraiment ?! »
La politique est considérée comme une valeur marchande. C’est le bilan d’échec du mouvement ouvrier dans son ensemble. Pendant longtemps, les figures du mouvement ouvrier étaient des salariés qui tenaient tête aux politiciens professionnels, à l’époque tous de droite. Petit à petit, la gauche s’est institutionnalisée, jusqu’au moment où elle a envisagé la politique comme étant un métier. La majorité de l’opinion s’est finalement habituée à cette idée ; c’est là le premier rempart qui éloigne les classes populaires de la scène politique, laquelle lui semble, du coup, inaccessible. C’est à nous de déranger les choses sur ce plan, et d’être en adéquation avec nos convictions.
Vous estimez que ce désistement peut permettre de relancer le NPA ?
Parfois il faut se faire violence pour poser les débats politiques essentiels, et se donner les moyens de les régler. Dans le cadre de l’échéance précise qu’est la présidentielle, il ne faut pas évacuer ces problèmes politiques en pensant trouver un quelconque substitut. Ce substitut, c’est la commodité, la routine, une certaine sécurité et, aussi, le sentiment d’être représenté quoi qu’il arrive, j’en suis conscient. Mais on ne peut pas faire des sondages un élément de décision politique. Pas nous... Ou alors j’y perds mon latin.
N’est-ce pas là en fait votre première décision de chef de parti. Un rôle pas vraiment assumé, notamment au dernier congrès, où vous étiez resté en retrait par rapport aux tensions et à l’absence de majorité de la direction sortante ?
D’autres, au sein du NPA, ont pensé au contraire que j’étais trop intervenu. Chez nous, il n’y a pas de chef, pas de secrétaire général. Porte-parole, c’est une fonction militante comme les autres, qui doit tourner, comme lors de la Commune de Paris. C’est notre héritage politique. On s’en revendique tous, alors il faut l’appliquer. C’est ce qui nous différencie des autres partis, y compris des partis de la gauche radicale où certains prétendent qu’il vaut mieux taper du poing sur la table et après, qui m’aime me suive. Sur le court terme, c’est peut-être plus payant et efficace. En revanche, sur le moyen et long terme, c’est destructeur.
Il faut se caler sur le temps long du débat démocratique à la base, réapproprié collectivement à l’épreuve des échéances réelles. Et ne pas subir la dictature du temps immédiat ! On sait que le temps médiatique n’est pas le temps politique, que le temps politique n’est pas le temps social, et que le temps social n’est pas forcément le temps quotidien du degré de conscience des classes populaires.
Actuellement, c’est plus tentant d’entendre un mec qui dit : « Votez pour moi, je vais régler tous vos problèmes », plutôt que celui qui déclare : « Je me présente pour vous dire que tout le monde doit s’y mettre un peu. » Montrer qu’un postier de 27 ans pouvait tenir tête à des politiciens professionnels, c’était une vraie démonstration, et pas seulement subversive ; c’était aussi un point d’appui pour les convictions que nous défendons au quotidien. Perpétuer cette démonstration, c’est continuer de surprendre.
Vous concluez votre courrier sur les révolutions arabes. Dans quelle mesure vous ont-elles influencé ?
Les vents des révolutions arabes soufflent sur la situation politique internationale et ils ont pesé, en partie, sur ma décision. J’ai vu, quand je suis allé en Tunisie et en Egypte, que les révolutions n’avaient pas besoin de leader, de substitut ou d’avant-garde autoproclamée. Que le peuple fait bien irruption sur la scène politique et que c’est justement pour cela que nous militons. Et nous, ici et maintenant, c’est ce que nous devons faire à notre échelle.
D’avoir entrevu ces révolutions m’a conforté dans l’idée que j’avais du décalage de la classe politique française, même de gauche, avec ces événements fondateurs. Comme l’a dit Brigitte Fontaine : « Tout le monde se révolte autour de nous, les pays arabes, musulmans et nous, on est comme des cons, on attend les élections de 2012. » Certes, le degré d’effervescence sociale et politique est loin d’être le même. Mais il y des passerelles entre ce qui se passe dans les pays arabes et ce qui arrive en Europe, et en France. Je ne suis pas particulièrement pessimiste. Je suis conscient du reflux que connaît actuellement le mouvement ouvrier, mais nous subissons une crise structurelle du capitalisme qui produit beaucoup d’éléments contradictoires qui pourraient bien tourner dans le bon sens. Il y a un espace pour les anticapitalistes sincères, et donc pour le NPA.
Mais dans la gauche radicale, d’autres estiment aussi que la première nécessité est l’efficacité électorale pour battre Sarkozy ?
La question, c’est d’abord : quel type de pouvoir veut-on construire ? Un des bilans des révolutions arabes, c’est justement que la révolution ne se fait pas que par les urnes. Par ailleurs nous n’avons jamais opposé les deux, à la différence de ceux qui n’évoluent que dans le cadre institutionnel.
Nous pensons simplement que l’irruption révolutionnaire peut aussi se produire hors des échéances électorales. On a toujours reconnu, par exemple, qu’une situation révolutionnaire était née des résultats électoraux au Chili, en 1973. On ne veut pas opposer les processus révolutionnaires les uns aux autres. Mais il faut, à chaque fois, garder la même boussole politique : propulser le mouvement du bas de la société pour, au final, que cela soit bien la base qui change la société. Si ce n’est pas le peuple qui prend le pouvoir, c’est mort. Ce n’est pas à un parti, à une coalition de partis ou à un leader de s’en emparer. C’est au peuple. Le passé – et le bilan de la contre-révolution russe – l’a montré. Il faut donner des garanties politiques pour empêcher que les partis ne se substituent aux révolutions et installent des bureaucraties pour les transformer en contre-révolutions.
Donc le débat n’est pas entre ceux qui veulent le pouvoir et ceux qui le refusent : non, la question est de savoir qui accède au pouvoir, qui le contrôle et qui le garde. Il y a un espace politique en France pour une gauche radicale d’en bas, autogestionnaire, antibureaucratique et antiautoritaire.
Quel bilan tirez-vous de ces dix années de porte-parolat, d’abord à la LCR, puis au NPA ?
C’est trop tôt pour le dire. Le contexte social et politique a changé. On aborde une nouvelle période. Les révolutions arabes sont le point de bascule : il y a maintenant des éléments de crise politique dans la mondialisation capitaliste, qui ne sont plus seulement des éléments de crise économique, sociale et environnementale. Cela suscite une course de vitesse entre l’extrême droite populiste d’un côté et, de l’autre, l’alternative anticapitaliste. Au-delà de nos frontières. Cependant, dans cette nouvelle période, les révolutions arabes ouvrent à nouveau ce que le révolutionnaire Auguste Blanqui nommait le « chapitre des possibles ».
En France, pour l’heure, nous traversons une période de reflux politique. Certains s’étonnent que le Front national revienne en force. Or le mouvement ouvrier, dans son ensemble, n’a pas pris la responsabilité de mettre K.-O. le gouvernement, lors de la mobilisation sur les retraites, en appelant à une grève générale. Bien sûr, la grève générale ne se décrète pas. Il n’empêche qu’une partie de la gauche n’a pas assumé le caractère politique du bras de fer, par peur de sortir du cadre institutionnel.
Finalement, à la place de la gauche radicale, on retrouve le FN...
Les travailleurs portent toujours en eux la colère, mais ils la vivent dorénavant individuellement et, en général, l’orientent dans la mauvaise direction. Certains estiment qu’en votant pour Le Pen, ils vont tout faire exploser, ils vont flinguer le système, alors qu’en réalité, ils ne vont rien flinguer du tout. Ils brandissent une arme à l’envers. Lorsqu’ils vont appuyer sur la détente, c’est sur eux-mêmes qu’ils vont tirer.
Ces dix dernières années, on a vu aussi la progression des idées anticapitalistes : on voulait créer des majorités d’idées sur la répartition et le contrôle des richesses, l’augmentation des revenus ou l’interdiction des licenciements. Ces thèmes sonnaient comme des gros mots en 2002, aujourd’hui tout le monde en parle. Cela veut dire qu’on a marqué des points.
Continuer sur cette voie est le meilleur remède contre la montée du Front national. Lors des grandes mobilisations sociales, l’extrême droite est systématiquement rabattue à sa vraie place : le camp d’en face, celui des réactionnaires. C’est la limite de la démagogie de Marine Le Pen. Quand la classe ouvrière ou la jeunesse se dressent, le Front national n’est pas avec mais contre eux. Dans l’action réelle de la lutte des classes, il y a deux camps ; et le FN est incontestablement dans le camp adverse.
Mais en 2002 déjà, le Front national était puissant, et même au second tour de la présidentielle, et depuis, toutes les réformes dites sociales de la droite ont été adoptées. La situation a-t-elle vraiment changé ?
Certes. Mais aujourd’hui, quand le Front national chasse les voix dans les classes populaires, il le fait sciemment, avec démagogie, sur des thématiques anticapitalistes. Le FN ne se sent plus de séduire sur des thématiques libérales, comme le faisait Le Pen père. C’est quand même la marque de l’air du temps. L’extrême droite se réapproprie des thématiques à la fois nationales et sociales, selon un logiciel qui s’inspire plus des années 1930, que de la période post-Algérie française. Dans les années 1930, c’est bien l’irruption de la classe ouvrière sur la scène politique par ses luttes qui a fait reculer l’extrême droite française.
Comment expliquez-vous les difficultés du NPA ?
Les aléas et les fluctuations de la vie sociale et politique, nous les subissons de plein fouet, précisément parce que nous ne sommes pas des politiciens professionnels. Quand il y a un reflux politique, il est d’abord vécu dans les consciences. La majorité s’en remet alors aux échéances institutionnelles, avec l’idée selon laquelle « on ne peut plus, nous, simples anonymes, influer sur le cours des choses », alors on s’en remet aux professionnels de la politique pour agir à notre place. C’est en contradiction avec ce que nous sommes et ce que nous défendons.
Il y a aussi des débats que le NPA peine à trancher, comme celui de la laïcité...
Quand le NPA se sera retrouvé sur son positionnement politique global, il pourra reprendre sereinement certaines discussions. Ce débat sur la laïcité est un marqueur profond de la vie politique française et il se posera à nouveau. Nous devrons alors trouver un point d’équilibre entre laïcité, féminisme et islamophobie, qui devient progressivement aussi une donnée profonde de la vie politique française. De ce point de vue, les révolutions arabes nous apportent aussi beaucoup. Les féministes tunisiennes, par exemple, considèrent que la laïcité ne se négocie pas face à l’intégrisme religieux, mais elle ne saurait être le nouveau cheval de Troie de l’islamophobie.
Vous évoquez les difficultés du NPA à trouver son positionnement politique. Pourquoi l’a-t-il a perdu ?
Le NPA s’est cherché, il se cherche encore un peu. Pour apprendre à marcher, il faut apprendre à tomber par terre. Les réalités politiques sont parfois contradictoires. Le salut ne peut être que dans la synthèse de la gauche sociale et de la gauche politique. Et ne pas penser qu’il faut plus de social ou plus de politique. Ce n’est pas faire plus de luttes, ou plus d’électoral, ce n’est pas revendiquer plus de grèves générales ou imaginer que les partis sont les seuls intermédiaires politiques existants. Non, il s’agit de faire une vraie synthèse entre les deux.
La mort de Daniel Bensaïd, il y a plus d’un an, n’a-t-elle pas eu une influence sur la vie du mouvement, expliquant une part de ses difficultés ?
C’est compliqué d’évoquer Daniel, car les sentiments personnels se mêlent aux sentiments militants. Symboliquement, lorsque Daniel est mort, une page s’est tournée et cela a représenté beaucoup de choses pour nombre d’entre nous. A la fois dans l’absence politique que cela a suscité sur les terrains des réflexions stratégiques, mais aussi dans le fait qu’il a fallu se prendre en mains et s’atteler à la tâche. Personne ne se sent l’envergure de Daniel. Son regard, son point de vue sur le monde nous manque cruellement. Pour autant, il nous a légué des cadres de réflexion, une « galaxie Bensaïd » que l’on veut entretenir. Daniel disait souvent qu’il fallait prendre de la hauteur face à la dictature de l’immédiat, et que rien n’était jamais définitif : « Il faut laisser l’infini aux mathématiciens et l’éternité à Dieu, s’il existe... »
Les bases que nous devons insuffler au NPA doivent, plus que jamais, être révolutionnaires et internationalistes ; des bases qui s’inscrivent dans notre filiation marxiste. Pas celle d’un marxisme figé et froid mais, au contraire, d’un marxisme ouvert, en mouvement et en perpétuelle refondation. C’est ce qu’ont commencé à faire la Société Louise-Michel ou la revue Contretemps, en faisant avancer des réseaux à tâtons, ce qui constitue un premier pas. La réflexion théorique est un terrain d’intervention politique en tant que tel. Pendant de longues années, on a délégué la réflexion. A partir du moment où cela n’existe plus, il faut se réorganiser. Aujourd’hui, la réflexion stratégique est le vrai enjeu, bien avant les questions de représentation. On avait dit que le NPA serait un outil qui apporterait sa contribution à la refondation programmatique. Cela reste à faire.
Pour finir, en tant que joueur et amateur de foot, que vous inspire « l’affaire des quotas » ?
Que je vais peut-être pouvoir prétendre à la succession de Laurent Blanc (Rires.)... Plus sérieusement, on voit bien comment un climat nauséabond pénètre tous les secteurs de la société, y compris le foot. Au lieu d’avoir une FFF qui combat le racisme dans les stades, volontairement ou pas, il semblerait bien qu’elle l’alimente elle-même avec ses quotas.
Sur le terrain du racisme, la grande victoire du FN est qu’une majeure partie de la classe politique est désormais convaincue que l’immigration est un problème. Beaucoup pensaient sincèrement que le monde du foot était encore un lieu préservé de toutes formes de discrimination. Beaucoup ne veulent pas y croire. Mais il y a aussi un fond politique, sur le thème du « on ne peut plus rien dire » sans être aussitôt taxé de racisme. Mais si t’as le droit de tout dire sur ce terrain, alors j’ai le aussi le droit de te dire que ce que tu racontes, c’est de la merde !
Il y a quinze ans, il y avait encore une digue morale, qui ne menaçait pas de sauter, ou qui résistait davantage. On disait alors que le FN n’était pas un parti comme les autres et que le problème, c’était le racisme, pas l’immigration.
Par Stéphane Alliès, Lénaïg Bredoux, Hugo Vitrani