Alors que les médias s’attachent tous à préciser que Dominique Strauss-Kahn reste présumé innocent, vous êtes allée à contre courant en rappelant aussi la “présomption de victime”. Pourquoi ?
Dans les premières 24h, j’étais extrêmement choquée de la tonalité générale des commentaires qui parlaient de l’épreuve que traverse Dominique Strauss-Kahn, qui avaient une pensée pour ses amis, sa femme, ses camarades socialistes, qui se souciaient de l’image de la France ou de l’impact sur les primaires. Et il y avait une grande absente : c’était la femme de chambre.
Quelque soit ce qu’il s’est passé dans la suite du Sofitel, elle traverse elle aussi une épreuve et à elle aussi une famille qui doit vivre un sale moment. Et je trouvais qu’il n’y avait pas deux poids deux mesures. S’il y a une présomption d’innocence à respecter - j’y tiens, et je trouve d’ailleurs que cette présomption qui ne fonctionne pas aux Etats-Unis est un vrai problème - avoir “de la dignité et de la décence”, comme l’ont beaucoup réclamé les socialistes, c’est aussi avoir une pensée pour la victime présumée de cette tentative de viol.
Pensez-vous qu’il y a un consensus médiatique et politique autour de cette affaire ?
Oui, consensus qui se retrouve d’ailleurs dans un sondage qu’on nous livre ce matin, et qui a été fait lundi, dans lequel on apprend qu’une majorité de Français pensent qu’il s’agit d’un complot. Et si une majorité de Français -et encore plus les socialistes à 70%- soutiennent la théorie du complot, c’est parce que la tonalité générale donnait à voir cette hypothèse, et apportait peu de crédit à la parole de la plaignante.
Comment expliquez-vous cette prise de position générale ?
Parce que dans cette affaire, il y a aussi une sidération : l’idée qu’un homme, patron du FMI, ne peut pas avoir fait ça. On a quand même beaucoup entendu dire “Comment un homme aussi intelligent peut violer ?” Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je n’étais pas dans la chambre du Sofitel. Moi ce qui m’intéresse c’est la façon dont on réceptionne les événements. Cela révèle beaucoup sur nos représentations et notre imaginaire collectif. Et notre imaginaire collectif, curieusement, pense qu’un violeur vient forcément de catégories populaires, que c’est un jeune arabo-musulman des quartiers qui a fait la Une des journaux pour des affaires de tournante. Et qu’un patron ou un haut responsable politique ne peut pas faire ça. Mais on est très loin de la réalité ! Oui, il y a des hommes de pouvoir qui utilisent leur position de domination pour obtenir des relations sexuels forcées.
La politique reste un milieu très macho ?
Oui, je confirme ! Mais ce n’est pas le seul. Ce qui se raconte depuis quelques jours doit faire écho à ce que vivent beaucoup de femmes dans les entreprises, qui subissent du harcèlement, ont vécu des tentatives de viol etc. Il ne faut pas croire que cela ne touche que l’univers politique. C’est la question plus globale de l’utilisation des rapports de domination entre hommes et femmes, et de la fragilité spécifique de femmes qui sont sous une emprise économique ou hiérarchique, dont il s’agit.
Existe-t-il toujours un tabou sur les violences faites aux femmes ?
C’est évident, il y a une tolérance sociale extrêmement forte à l’égard de ce type de crime et délit. La suspicion porte toujours sur la parole de la victime, elle pèse sur elle et contribue à son silence. Quand j’entends Jack Lang dire “Il n’y a pas mort d’homme”, je pense que cela symbolise totalement le fait que au fond, on pense que ce n’est “qu’un viol”, que ce n’est pas si grave que ça. Ce qui rend le viol encore plus difficile à surmonter, c’est le fait de ne pas pouvoir en parler. Le tabou contribue au traumatisme. Il faut vraiment le dire : le silence alimente la difficulté pour une femme de surmonter ce qu’elle a subit.
Pour toutes ces raisons évoquées, votre prise de position “détonne”. N’avez-vous pas peur de créer une polémique ?
De toute ma vie entière, je n’ai jamais reçu autant de messages de soutien sur mon blog, de textos, de mails… Essentiellement des femmes, oui, mais des hommes aussi, qui sont d’accord avec ce que je dis -et je ne suis pas la seule à le dire, Mélenchon, Cécile Duflot l’ont dit aussi. Le fait que cette parole soit très peu véhiculée choque aussi beaucoup. Donc il faut qu’il y ait un débat.
Propos recueillis par Ludivine Le Goff
* Interview donnée à aufeminin.com :
http://www.aufeminin.com/combats-de-femmes/interview-clementine-autain-dominique-strauss-kahn-d20290.html
« LA DÉCENCE, CE SERAIT D’AVOIR AU MOINS UN MOT POUR CETTE FEMME »
A l’heure où Dominique Strauss-Kahn est entré dans la salle d’audience du tribunal pénal de New York et s’est vu signifier les chefs d’inculpation d’agression sexuelle, tentative de viol et séquestration de personne retenus contre lui, Clémentine Autain a appelé à avoir « une pensée » pour la femme de chambre new-yorkaise. Figure de la Fédération pour une alternative sociale et écologique, la militante féministe et ex-adjointe du maire de Paris nous a expliqué pourquoi.
Sur votre blog, vous vous interrogez : « Qui a une pensée pour la femme de chambre ? ». Pourquoi ?
J’ai regardé abondamment les informations depuis hier et j’ai l’impression qu’un consensus s’est établi. La plupart de ceux qui réagissent à cette affaire appelle à « penser à l’homme qui traverse cette épreuve ». Il n’y a aucun mot pour la femme qui a déposé plainte, et peut-être, je dis bien peut-être, a été victime d’une agression sexuelle. Ce sont deux poids deux mesures qui me laissent stupéfaite. Ce n’est pas une lecture féministe des choses mais une lecture de classe : la femme de chambre qui est invisible et le patron du FMI qui reçoit des messages d’encouragement. Les faits ne sont pas établis, il faut respecter la présomption d’innocence mais il n’est pas exclu que cette femme ait été violée. Et il faut rappeler que le viol est un crime. Je suis stupéfaite par le manque de considération à l’égard de cette femme de ménage. Tout le monde a le mot « décence » à la bouche mais la décence, ce serait d’avoir au moins un mot pour cette femme.
Beaucoup de personnes font aussi l’amalgame entre le viol et les relations extraconjugales ?
Il y a beaucoup d’amalgames et une grosse part de sidération. Il s’agit de prendre du recul car la scène qui s’écrit, la femme de chambre qui piégerait le directeur du FMI, ça ressemble à un thriller. Derrière la sidération, il y a des faits politiques. C’est l’acte de domination d’un sexe sur l’autre. Les femmes qui ont subi des violences n’oublient jamais, il y a des traumatismes gravissimes. Cela me renvoie à des choses dures.
Pourquoi à chaque fois qu’une femme dit qu’elle a été victime de violences, on se demande si elle dit vrai ? Cela déligitime la parole des femmes. Pourtant, c’est un acte difficile de porter plainte, ce n’est pas drôle pour cette femme et sa famille. Dans toutes les campagnes contre le viol lancées par les féministes, on insiste sur le fait qu’il faut briser le silence sur ce sujet là. Dans cette affaire, on parle essentiellement de l’image de la France et des primaires du Parti socialiste. C’est très important mais il est question d’une affaire d’agression sexuelle. Les violences faites aux femmes sont un sujet politique aussi, on doit en parler.
Il y une omerta qui pèse sur les hommes de pouvoir selon vous ?
Quelles que soient les conclusions, cette affaire pose les questions de l’abus de pouvoir par un certain nombre de responsables, pas forcément que politiques, qui usent de leurs positions de chef pour obtenir des relations sexuelles. Beaucoup de femmes font des récits, dans le secret, la confidence, où elles expliquent que tel patron les a harcelées, que tel autre leur a mis un coup pour obtenir une relations sexuelle. Ce sont des faits extrêmement banals. Quelles que soient les suites de cette affaire, il faut que la justice fasse son travail, une question doit être soulevée : celle de la violence faite aux femmes. Elle est trop souvent tue, il y a une omerta sur ce sujet. Les femmes ressentent de la honte quand elles subissent du harcèlement ou des violences, elles n’osent parfois pas en parler, il faut pourtant que cela ne soit plus tabou, que ces hommes soient punis, il s’agit d’actes extrêmement graves.
Propos recueillis par Emilie Poyard
Le 16/05/2011
* Iinterview donnée au site Elle.fr :
http://clementineautain.fr/2011/05/17/interview-ellefr/#more-1406