DANS UN CHAT SUR LE MONDE.FR, CAROLINE DE HAAS, PORTE-PAROLE DU RÉSEAU OSEZ LE FÉMINISME, SE DIT « ATTRISTÉE » QU’IL FAILLE UN ÉVÉNEMENT COMME L’AFFAIRE DSK POUR QUE LES PERSONNALITÉS PUBLIQUES PRENNENT CONSCIENCE QUE L’ÉGALITÉ FEMME-HOMME EST UN SUJET FONDAMENTAL.
Lucien : Est-ce que certaines réactions à l’affaire DSK ne témoignent pas plus d’une maladresse et d’une sympathie envers un homme que réellement d’une réaction sexiste ?
Romain : Est-ce que certains n’exagèrent pas avec ce phénomène de sexisme alors que finalement c’est surtout le côté chauvin et la difficulté à réaliser que DSK peut bien être coupable qui incitent à penser avant tout à DSK ?
Caroline de Haas : Je n’étais pas dans la tête de Jean-François Kahn quand il a prononcé ces paroles. En revanche, ce dont je suis sûre, c’est que le sexisme est bien présent dans notre société à tous les échelons. Il suffit d’aller faire un tour sur le site www.viedemeuf.fr pour s’en rendre compte. On dit souvent que les féministes sont « caricaturales », à mon avis, c’est surtout la société qui l’est.
Enfin, quels que soient les sentiments qu’on peut avoir pour une personne, cela n’empêche pas de rester juste sur le fond. Parler de « troussage de domestique » n’entre pas dans cette catégorie.
Jeanne : Quelle est la phrase qui vous a le plus choquée ?
Je n’ai pas envie de faire un palmarès des phrases choquantes. L’idée la plus grave qui a circulé, à mon avis, est celle qui fait un lien entre le physique des femmes et les violences dont elles pourraient être victimes. Cela signifie très clairement renvoyer aux femmes la responsabilité des violences, et donc minimiser celles-ci.
Laura : Osez le Féminisme, en attaquant directement DSK (de manière détournée bien évidemment) ne respecte aucunement la présomption d’innocence de celui-ci. J’étais à votre manif hier, et j’ai été dégouté par les commentaires de nombre de personne qui criaient « Nous sommes toutes des femmes de chambre ! » et accablaient DSK. L’homme est présumée innocent, je tenais à vous le rappeler...
Comment peut-on s’attaquer « directement de manière détournée » à quelqu’un ? L’appel initié entre autres par « Osez le féminisme » est très clair : « Nous ne savons pas ce qui s’est passé à New York. Mais nous savons ce qu’il se passe depuis une semaine en France. » Accuser quelqu’un sans preuve est grave. Remettre en cause la sincérité de la plaignante l’est également.
Par ailleurs, le slogan « Nous sommes toutes des femmes de chambre » aurait pu être « Nous sommes toutes des domestiques ». L’objectif était surtout de dénoncer la misogynie des propos de Jean-François Kahn.
antisexisme : Pensez vous que l’affaire DSK et les réactions des féministes au traitement médiatique de cette affaire peuvent changer les mentalités sur le viol en France ?
Pour la première fois depuis très longtemps, on a parlé d’égalité femme-homme à des heures de grande écoute sur les télés, les radios, ainsi que dans les journaux. Je suis attristée qu’il faille un événement comme celui-ci pour que les éditorialistes et les personnalités publiques prennent conscience que l’égalité femme-homme est un sujet fondamental et fondamentalement politique.
J’espère qu’à la suite de la campagne contre le viol lancée en novembre dernier par plusieurs associations, comme à la suite de la parution du livre « Vie de meuf » jeudi dernier (un super-cadeau pour la Fête des mères, et surtout celle des pères), les mentalités vont changer. Le meilleur moyen pour y arriver est de s’engager.
Lucie : Les réactions à l’affaire DSK aux Etats-Unis vous paraissent plus « saines » qu’en France ?
Non. Je crois que nous avons deux situations différentes : un pays où le puritanisme est très présent, les Etats-Unis, et un pays, la France, où on sous-estime l’ampleur des inégalités femmes-hommes.
Aucune de ces deux situations n’est satisfaisante, et si j’étais militante féministe aux Etats-Unis, je dénoncerais, comme je l’ai fait ici, l’amalgame dangereux qui est fait entre libération sexuelle et violences. Les violences sont une marque de domination, la libération sexuelle, un signe d’émancipation.
Gérard : Vous parlez dans votre tribune d’un risque de « retour à l’ordre moral » ? Comment pouvez déduire cela des réactions des politiques ?
Très rapidement, en début de semaine, on a fait le lien entre libertinage et violences, comme si le viol correspondait, en gros, à un comportement sexuel libéré. C’est très grave, et la première à s’engouffrer dans la brèche a été Marine Le Pen, qui très vite a appelé les responsables politiques à faire preuve de morale.
Si par morale Marine Le Pen entend femme au foyer, hétérosexualité et monogamie, je suis en total désaccord avec elle. C’est de cela que nous parlons quand nous parlons d’ordre moral.
AB : Par rapport à d’autres dirigeants socialistes (François Hollande notamment), Martine Aubry et Ségolène Royal ont eu une pensée pour la victime présumée de l’affaire DSK. Pensez-vous que le fait d’être une femme puisse expliquer ces différences de comportement face à des accusations aussi graves qu’un viol ?
Je ne pense pas. Le féminisme n’est pas un engagement réservé aux femmes, et le sexisme n’est pas un comportement réservé aux hommes. Certes, quand on est femme, on subit au quotidien les discriminations, donc on en a sans doute beaucoup plus conscience. Quand on est homme, on doit aussi entrer dans un certain nombre de cases préétablies : la virilité, par exemple. Je pense qu’aujourd’hui les femmes comme les hommes en ont assez.
Marie : Vous êtes l’assistante politique de Benoit Hamon qui, on le sait, n’a jamais porté dans son cœur DSK. N’y a t’il pas une volonté politique derrière vos actes ?
Je ne vois pas en quoi mon activité professionnelle viendrait faire quelque chose dans ce débat. Je m’exprime en tant que porte-parole d’une association composée de militantes et de militants aux tendances politiques très diverses. Plus de 90 % de nos membres n’ont pas de carte dans un parti politique. Cependant, j’ai bien conscience que mon travail peut donner une coloration à l’association. Chaque jour, nous travaillons à préserver l’indépendance de « Osez le féminisme ». Toutes les décisions que nous prenons le sont en fonction des intérêts de l’égalité femme-homme, et non d’intérêts partisans.
Véronique : Je suis atterrée quand j’entends ou je lis les commentaires sur l’affaire DSK. La cause des femmes est loin d’être gagnée. Ne pourrait-t-on pas lancer une souscription internationale pour aider financièrement cette jeune femme à se défendre contre DSK ? Il suffirait d’un euro par femme...
Les féministes américaines sont en train d’organiser des mobilisations aux Etats-Unis. Peut-être qu’il s’agira d’un de leurs moyens d’action. Nous essayons à « Osez le féminisme » de déplacer le débat. Au-delà de ce qui s’est passé - ou non - et de ce qui se passera à New York, nous voulons réveiller la société française afin que chacune et chacun prenne conscience du chemin qu’il reste à faire pour l’égalité femme-homme.
Antoine : Ne trouvez vous pas que le sexisme des hommes envers les femmes est minoritaire en France, et que certains comportements ou réactions issus de faits divers ne doivent pas être généralisés à l’ensemble de la population masculine ? Personnellement, je ne me retrouve en rien dans les comportements et réactions qui peuvent être actuellement dénoncés, et je n’observe rien de la sorte dans mon entourage.
Ce qui est fascinant en France, c’est qu’il existe une illusion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Quand on est féministe, avant même d’entrer dans le débat politique, on doit d’abord se justifier sur la pertinence de son engagement. Il y a chaque année en France au moins 75 000 femmes victimes de viol, et dans tous les domaines, les inégalités sont encore très fortes : 27 % de différence de salaire, 80 % des tâches ménagères assumées par les femmes, 18,5 % de femmes à l’Assemblée nationale.
Louisa : A votre avis, est-ce qu’une loi contre le sexisme serait envisageable ? Il y a bien des lois qui condamnent le racisme et l’homophobie.
Le sexisme est déjà puni par la loi. Faire une loi supplémentaire pourrait certes être un signal politique fort. Néanmoins, je pense que la priorité est que les responsables politiques prennent conscience que l’égalité femme-homme est un enjeu politique à tous les niveaux de la société. Ils doivent l’intégrer dans leur mode de pensée comme dans toutes les propositions de loi qu’ils font.
Raphaël : Je suis d’accord avec tout ce que vous venez d’écrire, mais les féministes ne font-elles pas elles aussi de la « récupération » ?
Depuis deux ans que « Osez le féminisme » existe, nous nous battons sur tous les terrains pour dénoncer l’oppression des femmes. Des dizaines d’associations font de même. Ce n’est pas de ma faute s’il a fallu attendre 2011 pour que les éditorialistes prennent conscience qu’il y avait un sujet autour de l’égalité femme-homme.
som : N’est il pas dangereux , pour les femmes en général, de caricaturer le débat de cette façon, en opposant hommes et femmes, à partir d’un fait divers qui nous échappe totalement ?
Je n’ai entendu aucune parole féministe opposer les hommes et les femmes. Le féminisme est un enjeu de société, il a vocation à faire péter les cases dans lesquelles on voudrait nous enfermer.
jeanne : Pensez-vous que le sexisme est davantage présent dans les sphères de pouvoir (politiques, médias, intellectuels) ?
C’est assez intéressant de voir qu’à « Osez le féminisme », trois professions sont surreprésentées parmi nos militantes et nos militants : journaliste, actrice et attachée parlementaire. Je pense que partout où on s’intéresse au corps ou au pouvoir, la question de l’égalité homme-femme est souvent peu abordée, et donc le sexisme s’y exprime très fortement.
Vanessa : Se dire féministe aujourd’hui est-ce dur à assumer ? Qu’est ce que cela veut dire pour vous ?
Etre féministe, pour moi, cela signifie deux choses. 1) Prendre conscience qu’il existe encore des inégalités et des mécanismes de domination qui structurent en profondeur notre société. 2) Avoir envie de changer radicalement les choses pour construire un monde où le sexe n’aurait plus aucune importance dans notre façon de vivre nos vies.
J : Comment dépasser selon vous cette espèce de détestation qui plane sur le mouvement féministe, considéré soit comme archaïque (bien que le quotidien nous prouve continuellement le contraire) soit comme agressif ?
D’abord, j’ai le sentiment que les choses évoluent. Nous avons réussi hier à mobiliser près de 3 000 personnes en à peine 24 heures contre le sexisme. Cela montre bien que le féminisme rencontre un écho dans la société. Ensuite, comme tout mouvement de transformation sociale, le féminisme interpelle, voire dérange. Dire qu’on est pour l’égalité des salaires ou dénoncer les 75 000 viols par an en France fait forcément réagir.
Les côtés agressif et archaïque dont vous parlez sont des fantasmes qui ne correspondent en rien à la réalité. Ils sont véhiculés par des personnes ou des institutions qui ont tout intérêt à ce que les choses restent en place. A nous, par notre action et notre engagement, de faire évoluer les mentalités.
Un des moyens pour ça, c’est de rejoindre « Osez le féminisme » !
Elise : Faut-il être sexiste pour être féministe quand on est une femme ? Le féminisme qui se voulait juste être un moyen d’atteindre l’égalité est devenu synonyme de conflit avec les hommes ?
Je serais très intéressée de savoir sur quels propos vous vous basez pour dire que le féminisme est devenu synonyme de conflit avec les hommes. Lorsqu’on se bat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, cela signifie mettre fin à l’oppression que subissent celles-ci. Le retard en matière de salaires, répartition des tâches ménagères, représentation politique est tel que pour atteindre l’égalité, il faut se battre pour les droits des femmes.
Je pense que tout le monde a à y gagner. Construire une société où chacune et chacun est pleinement libre de ses choix professionnel, sexuel, personnels, en dehors de tout stéréotype, sera bénéfique aux femmes, évidemment, puisqu’elles en sont les victimes, mais également aux hommes.
Datsmi : Ne pensez vous pas qu’une partie de la responsabilité de la présence du sexisme en France revient aux femmes ? A toutes celles qui elles-mêmes nourrissent les clichés misogynes (« je ne sais pas faire, je suis une femme ») et qui ne se rendent même pas compte du sexisme latent de la société ?
A l’exception de quelques ermites cachées dans les bois, l’immense majorité des femmes vit dans la société. Comme tout un chacun, elles reproduisent donc sans aucun doute les mécanismes de domination qui la traversent. Ce que je trouve frappant avec cette question (qu’on me pose souvent), c’est qu’elle survient quasi exclusivement quand on parle des femmes. Comme l’a fait Carole Roussopoulos, cinéaste, dans son film « Lip », déplaçons le curseur. Les Noirs, sont victimes de discrimination et d’oppression. Jamais vous ne poserez la question de leur responsabilité, et c’est bien normal. Les femmes sont victimes d’une société qui n’a pas encore intégré l’égalité femme-homme à tous les échelons. C’est la société qu’il faut changer, et pas les femmes qu’il faut culpabiliser.
Benoit : je trouve très dérangeant de comparer les affaires de viols avec les inégalités salariales. Vous faites un package féministe difficile à suivre.
Le viol n’a rien à voir avec une inégalité salariale, qui n’a elle-même rien à voir avec une répartition inégalitaire des tâches ménagères. Cependant, tous ces faits prennent racine au même endroit, et cet endroit, c’est le patriarcat. En dénonçant les violences faites aux femmes comme toutes les autres marques d’oppression des femmes, nous voulons changer l’ensemble de la société.
A : Par quelles actions concrètes entendez-vous influer sur la vie politique ? votre mouvement est-il sollicité pour émettre des propositions qui pourraient se retrouver dans les programmes des partis pour 2012 ?
Les partis politiques tiennent compte de ce qui se passe dans la société. En organisant des rassemblements, en lançant des appels comme celui de samedi, signé maintenant par près de 20 000 personnes, nous leur envoyons un message très clair. Nous ne sommes pas dupes, le féminisme n’est pas « naturel » dans notre société, il ne l’est donc pas plus pour les partis politiques. C’est en construisant un rapport de force durable que nous pourrons faire en sorte qu’ils reprennent à leur compte nos revendications. Nous réfléchissons en ce moment à une campagne d’interpellation pour 2012. Toutes les idées sont les bienvenues (prochaine réunion de « Osez le féminisme » à Paris le 15 juin !.
Chat modéré par François Béguin