Un proverbe arabe dit qu’à celui qui t’apprends, ne serait-ce qu’une lettre, tu dois plus que la vie. Sous l’ancien régime, les dirigeants égyptiens avaient surtout compris que les lettres pouvaient servir à se libérer. D’où leur volonté de faire de l’enseignement un instrument de propagande.
Pendant une soixantaine d’années, les enseignants ont été considérés comme un pilier du pouvoir, mais un pilier à contrôler attentivement. Lors de la structuration du régime, dans les années 1950, les enseignants n’ont pas été autorisés à former un syndicat, mais un Ordre professionnel (comme celui des avocats ou des médecins) intégré à l’appareil d’Etat. L’adhésion à l’Ordre était obligatoire.
Si la présidence de Gamal Abdel Nasser a été marquée par une volonté d’instruction publique [1], ce ne fut pas une priorité budgétaire après 1970 avec l’arrivée au pouvoir de Sadate et la mise en place des politiques néo-libérales.
Alors que la population a plus que doublé depuis 1970, peu d’écoles ont été construites. Résultat, les effectifs par classes sont trois ou quatre fois supérieurs à ce qu’ils devraient être. Simultanément les droits et avantages des enseignants ont été remis en cause.
Les salaires des enseignants ont stagné [2], ou presque, pendant des années ne permettant plus à ceux-ci de vivre de leur travail. Aujourd’hui, après 20 ans de métier, un enseignant doit souvent se contenter de 950 £E (un peu plus de 100 €) [3]. Et les anciens sont loin d’être les plus à plaindre car au nom des joies du capitalisme ultralibéral, il n’y a plus désormais de recrutement à vie.
Les nouveaux profs égyptiens peuvent être recrutés pour deux ans et un salaire de 300 £E (35 €) par mois, pour 7 à 8 mois – une années scolaire, vacances non comprises – et 90 £E (10,5 €) par mois ou même à l’heure de cours - 2£E (24 centimes) [4].
Voulant faire encore davantage d’économies, le régime de Moubarak a promulgué, peu avant sa chute, une nouvelle loi visant à faire venir des enseignants de l’étranger pour des salaires inférieurs.
Dans ces conditions, les enseignant égyptiens ont du exercer simultanément plusieurs emplois ou devenir de vrais autoentrepreneurs : les cours particuliers dispensés après les cours et payés par les parents sont devenus bien souvent la principales source de revenus des enseignants, d’autant plus qu’il n’est pas toujours facile pour les élèves d’avoir tout compris lorsque l’on est jusqu’à 80 ou 90 élèves par classe.
La situation des enseignants est particulièrement critique pendant la période des examens où certains enseignants sont envoyés à des centaines de kilomètres de chez eux. Il en a résulté le décès d’enseignants que les autorités n’avaient pas voulu exempter pour raison de santé.
A partir de 2005, des enseignants ont décidé qu’il était temps de changer les choses. Ils ont porté plainte contre le ministre, puis organisé des assemblées de personnel. Ils ont ensuite, à l’image des collecteurs d’impôts fonciers, décidé qu’il était temps pour eux d’avoir un syndicat indépendant afin de lutter pour leurs droits.
Le syndicat indépendant des enseignants [5], crée en 2010, comptait avant la révolution 2 000 à 3 000 adhérents. Il était présent dans 6 des 26 gouvernorats. Il est maintenant implanté sur tout le territoire et compte 5 500 membres pour 1 250 000 salariés.
Le syndicat revendique notamment un salaire mensuel de 3 000 £E (350 €) pour 30 heures hebdomadaire d’enseignement.
Le syndicat indépendant de l’éducation est bien décidé à participer à la construction d’une Égypte nouvelle. Il veut participer aux travaux de l’Internationale de l’éducation, et demande aux syndicats français de boycotter le syndicat officiel.