Si la Grèce est le berceau de la culture européenne et un avant-poste de l’Alliance atlantique, elle est un epsilon économique et démographique, à peine 2 % de l’Union européenne (UE). Alors comment comprendre que les Européens aient eu besoin du recours du Fonds monétaire international (FMI) qui, pourtant, ne participe que pour moins de 30 % au renflouement de la Grèce ?
Une première explication est liée au manque de crédibilité des institutions européennes. Si, avec l’aide de la banque américaine Goldman Sachs, la Grèce a pu maquiller ses comptes pour entrer dans l’euro, c’est aussi parce que les experts de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne (BCE) ont été incapables de les décortiquer sérieusement. A moins que l’on ait fermé les yeux volontairement : à chaque date-clé du processus, la Grèce, qui est un des principaux acquéreurs d’armes mondiaux, signait des commandes d’armement avec des entreprises allemandes ou françaises.
La seconde explication tient aux capacités d’intervention du FMI. Alors que les instances de l’UE font une gouvernance par les « nombres » (réduire le déficit à x % par exemple), le FMI négocie avec les Etats le contenu même de leur politique (impôts, privatisations...).
Les directeurs généraux du FMI passent, les principes de cette institution restent. Des analystes décrivent un FMI désormais adepte du pragmatisme après avoir été le chantre du libéralisme absolu dans les années 1990. Mais, depuis quarante ans, le FMI demeure un banquier qui exige toujours des efforts antisociaux pour obtenir remboursement. Et il est capable de changer le destin d’une nation. Le parallélisme entre son intervention aujourd’hui en Grèce et celle de 1976 au Royaume-Uni est frappant. Le Royaume-Uni est alors le grand malade de l’Europe, avec un fort chômage, une inflation à deux chiffres et une industrie obsolète. L’effondrement de la livre pousse le gouvernement Callaghan à demander un prêt au FMI. Six fonctionnaires du Fonds - dont un Grec ! - débarquent.
Le « package » exigé est un mélange de hausses de taxes principalement sur la consommation, de coupes brutales dans les budgets publics et d’un contrôle strict des salaires.
Le premier ministre travailliste choisit la responsabilité comme aujourd’hui le premier ministre socialiste Georges Papandréou. Il évite l’éclatement de sa majorité, négocie des minorations des exigences du FMI puis les applique. L’explosion sociale intervient lors de l’hiver 1978-1979 avec des grèves massives (alors que le FMI est déjà dirigé par un Français, Jacques de Larosière). Elle creusera la tombe d’un Labour divisé et donnera le pouvoir à Margaret Thatcher, qui remboursera le FMI en privatisant des pans entiers de l’économie.
Les privatisations sont une exigence absolue du FMI vis-à-vis de la Grèce. Mais autant elles ont été ordonnées en Grande-Bretagne et faisaient système avec le développement de la City comme pôle financier mondial, autant les privatisations grecques se feront dans la précipitation. Les 50 milliards d’euros seront obtenus grâce à des ventes à vil prix à des multinationales chinoises, allemandes ou françaises. Cette situation est scandaleuse.
Dans la dernière décennie, la Grèce a bénéficié de 70 milliards d’euros de fonds structurels européens. Les ports et aéroports modernes grecs sont des biens publics européens. En les bradant, ce sont les contribuables européens qui y perdent.
Pourquoi nos gouvernants européens ne cherchent-ils pas à adoucir le FMI ? Le propos de Nicolas Sarkozy - « Si je n’avais pas voulu la réforme des retraites, on serait dans la situation despays dont on parle » - n’a pas de fondement économique. Ces phrases sont politiques. Les dirigeants conservateurs européens les reprennent. Ils préparent une interprétation fallacieuse de l’austérité imposée à la Grèce.
L’économie grecque se stabilisera sous l’effet contradictoire de deux politiques. La plus visible est la politique d’austérité qui enfonce le pays économiquement et surtout socialement. Mais derrière, une politique opaque d’intervention « volontaire » des banques européennes est à l’œuvre, avec des accélérations des versements des fonds de stabilité toujours financés par les contribuables européens.
L’austérité sera présentée comme la solution à la crise, à reproduire partout en Europe. Une Europe antisociale est donc en marche, bien loin de celle qui s’extrairait du piège institutionnel dans lequel elle s’est enfermée en donnant tant de puissance aux marchés financiers.
Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, Ecole d’économie de Paris