TOKYO, CORRESPONDANCE - Organisation, entraide et crainte de perdre des parts de marché : tels sont les moteurs de la relance de l’activité industrielle au Japon après la catastrophe du 11 mars.
Selon une enquête du ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie (METI), 80 % des sites de production des régions sinistrées fonctionnaient en juin comme avant la catastrophe. Et la hausse des commandes de biens d’équipement en juin (+ 7,7 %), annoncée jeudi 11 août, prouve que les entreprises touchées puisent dans leurs réserves pour accélérer le retour à la normale
Ce redressement - plus rapide que prévu - a permis à l’industrie de retrouver, fin juin, 95 % des niveaux de production de février et a contribué à une amélioration du marché de l’emploi, le tout assorti d’une augmentation de 0,8 % de la consommation des ménages sur le même mois et avec des exportations revenues à 94 % de leur volume de février. Le gouvernement a pu annoncer, le 10 août, que l’économie du pays était désormais « en phase de reprise, malgré la persistance de difficultés » liées à la catastrophe.
Les entreprises se montrent également plus ambitieuses. La reprise de la pleine activité chez Toyota, plus prompte que prévu, a incité le constructeur à améliorer ses prévisions de résultats pour l’exercice en cours à 7,6 millions de modèles vendus (+ 4 %). Nissan prévoit de vendre plus de véhicules sur l’exercice 2011 que sur celui de 2010.
Ce redémarrage est le résultat des efforts des sociétés, qui ont aussi pu s’appuyer sur des services publics dont la réaction a, dans certains domaines, été très efficace. « Grâce aux réformes inspirées par la gestion catastrophique du séisme de Kobe de 1995, explique un membre de la commission sur la reconstruction, les infrastructures ont vite été remises en service. Les principaux axes routiers étaient ouverts à la circulation moins d’une semaine après le drame. »
De son côté, la Banque du Japon a octroyé, début avril, 1 000 milliards de yens (9,1 milliards d’euros) de prêts à 0,1 % aux établissements financiers des zones sinistrées pour qu’ils soutiennent les entreprises locales, permettant à des PME d’éviter une cessation d’activité. « Nous avons pu emprunter 12 millions de yens (109 000 euros) dans l’urgence, explique Yoichi Harada, patron de la compagnie de déménagement de bureaux Sendai Lion Unso, installée à Sendai (préfecture de Miyagi). Nous commencerons à rembourser dans un an. Cela nous a permis de continuer à travailler. »
Sendai Lion Unso, dont le chiffre d’affaires dépassait 2,7 millions d’euros en 2010, a perdu quatre de ses quinze camions et ses bureaux installés dans la zone industrielle de Sendai. Dans les jours qui ont suivi le drame, le père de M. Harada, qui avait fondé la société il y a quarante ans, a voulu tout arrêter. Mais, après une réunion avec la vingtaine d’employés, tous saufs, il a été décidé de continuer. « Cela vaut mieux que le chômage », estime Yoichi Harada. Grâce au prêt, les salaires, certes réduits, peuvent être versés.
La solidarité entre grands groupes a également joué. Certains ont envoyé personnel et matériel à leurs partenaires. Installé à Niigata, le fabricant de pistons Riken, détenteur de 50 % du marché nippon - il avait bénéficié d’une aide en 2007, quand sa production avait été stoppée au moment du séisme qui avait frappé la région - a dépêché des employés sur les sites endommagés de Toyota et Nissan. Il a même proposé de prendre en charge une partie de la production de son rival Nippon Piston Ring, dont trois sites de production se situent dans les préfectures d’Iwate et de Fukushima.
L’entraide ne se limite pas à l’automobile. L’usine de Kashima (préfecture d’Ibaragi) du sidérurgiste Sumitomo Metal a subi d’importants dégâts, qui nécessitent dix-huit mois de travaux pour un coût de 911 millions d’euros. Nippon Steel, société avec laquelle Sumitomo doit fusionner en octobre 2012, lui a fourni des matières premières et une centaine d’employés pour aider au redémarrage du site qui a retrouvé son niveau normal de production d’acier brut en mai.
Ce redressement, aussi soutenu par la crainte de perdre des parts de marché à l’étranger dans un contexte de forte concurrence avec les groupes principalement sud-coréens comme Samsung ou Hyundai, n’a pas effacé les inquiétudes pour l’avenir de l’industrie. Notamment les craintes sur l’économie mondiale et sur l’appréciation du yen face au dollar. L’intervention du gouvernement, le 4 août, n’a pas enrayé l’envolée de la devise japonaise, qui pèse sur les résultats des sociétés exportatrices.
Surtout, la catastrophe a incité des entreprises à compenser la rupture d’approvisionnement par des achats de pièces détachées à l’étranger. Selon une enquête du METI, 42 % d’entre elles se disent d’ailleurs prêtes à continuer à le faire, même si leurs fournisseurs traditionnels nippons retrouvent leurs pleines capacités.
Philippe Mesmer
Plus de 260 entreprises en faillite entre mars et juillet
Entre mars et juillet, 263 entreprises japonaises ont fait faillite à cause de la catastrophe du 11 mars, a révélé, lundi 8 août, l’institut de recherche privé Tokyo Shoko.
Sur les 1 081 sociétés ayant déposé le bilan au mois de juillet, 68 l’ont fait en raison des difficultés rencontrées après le séisme et le tsunami. Dans les cinq mois qui avaient suivi le séisme de Kobé, en 1995, 76 sociétés avaient fait faillite.
Les entreprises touchées ne sont pas toutes dans les zones sinistrées. La plupart ont pâti de l’arrêt d’activité de leurs clients installés dans ces régions ou de la baisse de la consommation.
Le tourisme semble particulièrement affecté, avec la cessation d’activités d’hôtels, d’agences de voyage ou de transporteurs comme Excel Bus, compagnie basée sur l’île d’Hokkaido (Nord), dont 90 % des réservations ont été annulées après la catastrophe.
Autres secteurs très touchés : la distribution et la production de pièces détachées automobiles.