L’« insecte à 1 milliard de dollars », comme l’ont surnommé les agriculteurs américains, a une nouvelle fois déjoué les défenses qu’ils avaient disposées contre lui dans leurs champs, sur les conseils de Monsanto. La chrysomèle du maïs, Diabrotica virgifera, de son nom latin, a fait une percée contre un maïs transgénique de la firme américaine.
Le petit coléoptère avait déjà développé une stratégie pour échapper à la rotation des cultures, qui vise à le priver de sa pitance favorite lors de son éclosion : il s’est déjà montré capable de survivre sur du soja et de surseoir un an ou deux à la sortie de terre pour se retrouver dans son cher maïs.
Les agriculteurs américains, qui ont aussi vu l’efficacité des insecticides diminuer au fil des ans, croyaient avoir trouvé la parade ultime, avec un OGM capable de produire lui-même une toxine grâce à un gène transplanté d’une bactérie, Bacillus thuringiensis. Ce maïs Bt, mis en culture en 2003, a dû à son tour plier devant l’inventivité de Diabrotica : la présence de chrysomèles capables de prospérer dans des champs transgéniques a été mise en évidence, pour la première fois, dans des parcelles de l’Etat de l’Iowa, en 2009.
AUCUNE RÉSISTANCE AU MAÏS TRANSGÉNIQUE DE MYCOGEN
La nouvelle vient seulement d’être rendue publique, dans la revue PLoS One, car les chercheurs du département d’entomologie de l’université de l’Iowa ont pris toutes les précautions pour s’assurer que la descendance des chrysomèles piégées dans des parcelles semées en OGM, où des dégâts étaient enregistrés, était elle-même résistante au maïs Bt.
Aaron Gassmann et ses collègues ont constaté que l’insecte mutant prospérait dans du maïs commercialisé par Monsanto produisant une toxine particulière, le Cry3Bb1. Mais aucune résistance au maïs transgénique mis au point par son concurrent Mycogen, excrétant la toxine Cry34/35Ab1, n’a été constatée .
L’apparition de cette résistance chez la chrysomèle n’est pas totalement une surprise. « Elle était plus attendue que sur d’autres ravageurs, comme la pyrale, note ainsi Denis Bourguet (INRA). D’abord parce que les variétés de maïs Bt ciblant la chrysomèle ne produisent pas une toxine à très haute dose, ce qui facilite la survie et la reproduction d’individus modérément résistants. » Ensuite parce que certains coléoptères – les doryphores sont aussi dans ce cas – semblent disposer naturellement de capacités de résistance élevées.
La sélection de ces individus est d’autant plus forte aux Etats-Unis que la culture du maïs Bt a connu un succès foudroyant : en 2009, 45 % du maïs qui y était cultivé était de type Bt, ciblant la chrysomèle. Les parcelles où l’équipe de M. Gassmann a collecté les coléoptères mutants avaient été cultivées avec ce maïs depuis au moins trois ans.
RUSTICITÉ NATURELLE DE LA BÊTE
Une des conditions pour retarder l’apparition d’insectes résistants consiste à pratiquer la rotation des cultures et à ménager des zones refuge, non transgéniques, où subsistent des insectes « naïfs » qui, par croisement, diluent la capacité de résistance. Or, dans le Midwest, la moitié des surfaces plantées en maïs respectent les dispositions réglementaires des refuges.
De plus, cette stratégie du refuge semblait en partie minée par la rusticité naturelle de la bête. Une observation en laboratoire, où l’émergence de lignées de Diabrotica résistantes au Cry3Bb1 a été suscitée en soumettant l’animal à la toxine, a souligné un phénomène inquiétant. On a constaté que cette capacité à survivre était « non récessive » : il suffit d’une seule copie du gène de résistance, hérité d’un des parents (et non des deux), pour que ce caractère s’exprime. Là encore, il s’agit d’un formidable bonus pour l’increvable coléoptère.
Il aura donc fallu seulement six années de cultures OGM à Diabrotica pour mettre en déroute les armes biotechnologiques mises au point par Monsanto. Ce n’est pas une première : des résistances sont apparues en champ à Porto Rico sur du maïs Bt ou encore en Inde sur du coton lui aussi Bt.
Mais pour la firme américaine, qui prétendait avoir stoppé net Diabrotica, le coup est rude. Monsanto rappelle que l’immense majorité des champs cultivés en maïs Bt n’est pas touchée par le phénomène. Et souligne qu’il commercialise désormais des variétés combinant le Cry3bB1 défaillant et le Cry34/35Ab1 utilisé aussi par ses concurrents, toujours efficace.
Mais tous les manuels de biologie prédisent que l’insecte aurait eu plus de mal à survivre à deux types de toxines. « La sagesse aurait voulu qu’on empile ces toxines avant de déployer ces OGM », commente Denis Bourguet. Il se réjouit que pour un autre ravageur, la pyrale, ce soit désormais le cas. Mais dans son duel face à Diabrotica, Monsanto a déjà grillé une cartouche.
Hervé Morin