Depuis quelques temps, les Etats-Unis tentent de renouer le dialogue stratégique avec la Chine, mais les difficultés se sont accumulées. Après quelques déclarations assez dures de la part de Washington, la riposte de Pékin ne s’était pas faite attendre. L’annonce du premier vol d’un nouvel avion de chasse, le J 20, supposé être capable d’attaquer les porte-avions américains grâce à ses qualités de furtivité a eu lieu au moment même où le secrétaire d’Etat à la Défense, Gates, était en visite à Pékin pour tenter de « recoller les morceaux ». Pour les observateurs sérieux, cet événement, prévu depuis quelque temps déjà, était sans doute plus une coïncidence qu’autre chose. De la même manière, les annonces suivantes relèvent simplement du développement logique d’une politique d’innovation en matière d’armements. D’abord, le DF 21D « missile balistique anti-navires ». Si le concept n’est pas nouveau, la réalisation pratique pose des problèmes que les autres pays ayant étudié la question, les USA et l’URSS, ont jugé tellement complexes qu’ils ont abandonné ces recherches estimant que le jeu n’en valait pas la chandelle. Ceci est d’autant plus vrai que, au-delà de l’existence même d’un tel missile et de son éventuelle capacité opérationnelle, les implications politiques de son emploi seraient d’une telle ampleur que leur gestion en serait difficile.
Autre annonce, tout aussi attendue et peu surprenante, la première sortie à la mer du Shi Lang, premier porte-avions chinois. Ce bâtiment est en fait un ancien porte-avions dont la construction par l’ex-URSS n’avait jamais été terminée et qui, coque vide, fut acheté par les Chinois qui déclaraient vouloir en faire un casino flottant avant de le remettre au goût du jour. Il est supposé devenir le creuset de la future aéronavale chinoise, qui, pour le moment, ne compte aucun avion embarqué. Ses futurs pilotes s’entraînent actuellement à l’intérieur des terres, sur une maquette en béton et à bord de clones de Sukhoi 33, basés sur un prototype inachevé acquis auprès de l’Ukraine. De l’aveu même de Pékin, le Shi Lang n’a pas vocation à devenir un instrument de projection de puissance, mais préfigure la future force qui semble être en gestation.
Ces annonces confortent de nouveau la validité des hypothèses selon lesquelles la Chine voudrait se doter d’une force navale capable non seulement de s’opposer aux Task Forces américaines, mais d’imposer un « contrôle » chinois dans la ZEE, mais aussi très au large de celle-ci. Dans un premier temps (à l’horizon 2020), la « Première chaîne d’îles » inclurait la Mer Jaune, Taïwan et la totalité de la Mer de Chine du Sud. La « Seconde chaîne d’îles », nouvelle frontière envisagée pour 2040, irait jusqu’au milieu du Pacifique, en incluant -entre autres- une bonne part du Japon, les Philippines et l’Indonésie.
Cette menace est prise très au sérieux par les Etats Unis, qui perdraient une suprématie indiscutée depuis longtemps. Mais elle n’aurait pas de conséquences directes pour eux. Ce n’est pas le cas des autres pays concernés. Les riverains de la Mer de Chine du Sud verraient la Marine Chinoise s’imposer sur des îles qu’ils revendiquent, mais aussi dans leurs propres ZEE. Taïwan se retrouverait à l’intérieur d’une mer où toute liberté lui serait interdite. Quant au Japon et la Corée du Sud, leurs débouchés maritimes seraient aussi sous contrôle. Une telle situation serait génératrice d’incidents, qui pourraient prendre de l’ampleur et la visite de Biden n’a sans doute pas amené de solution pour le moyen et le long terme.
Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’IRIS