Six mois que Tepco, l’ensemble du lobby nucléaire, le gouvernement japonais, mentent et désinforment les citoyens du Japon et du reste de la planète. Six mois déjà, à lutter contre l’opacité, à tenter de démêler les fils de la vérité, concernant la situation des réacteurs, la contamination de l’environnement, des habitants et des aliments. A la veille du 11 septembre 2011, nous sommes toujours confrontés à un mur de censure.. Les grandes catastrophes nucléaires de l’histoire, de Mayak à Fukushima en passant par Tchernobyl, se suivent… la désinformation reste entière, et nous, citoyens du Japon et d’ailleurs, sommes les premières victimes. Ce silence doit cesser..
Le Réseau “Sortir du nucléaire“ souhaite ici fournir un aperçu – sans prétendre être exhaustif – de la situation des populations dans la préfecture de Fukushima à ce jour. Ce dossier met en valeurs certains aspects scandaleux de la gestion de la catastrophe par les autorités japonaises qui sont passés inaperçus dans les médias en France. Alors que l’accident n’en est qu’à son commencement, le Japon en a-t-il tiré les leçons ?
Censure des autorités, de nouvelles mesures alarmantes
Six mois après le début de la catastrophe, le silence des autorités reste étouffant, et les exemples de rétention d’information se multiplient.
Des populations en danger exposées à leur insu, au risque de radiation et de contamination
Ainsi, les Japonais ont brutalement appris que des indices d’une fusion des cœurs - comme la présence de tellurium- avaient été détectés par les experts dès la journée suivant le tsunami. Les faits n’ayant été révélés que trois mois après, la population n’a pas été informée en temps réel des risques majeurs qu’elle encourait. Les autorités japonaises n’ont pas non plus communiqué les premières mesures de radioactivité, permettant d’observer l’évolution et la dispersion du panache radioactif. Ainsi, les tout- premiers habitants évacués, qui s’étaient réfugiés dans la petite ville de Namié, se trouvaient en réalité dans un des lieux où les niveaux de radiation étaient les plus élevés .
Des zones habitées six fois plus contaminées que Tchernobyl encore habitées
En août, le Pr. Christopher Busby, un scientifique britannique spécialiste de la radioprotection procédant à des mesures à Tokyo, trouve à certains endroits des concentrations en radionucléides aussi élevées que celles observées dans la zone d’exclusion de Tchernobyl [1].
Les Japonais eux-mêmes font valoir que de multiples endroits non-évacués de la préfecture de Fukushima témoignent d’une concentration en radionucléides plus élevée que dans la zone interdite de Tchernobyl. Deux semaines après le début de la catastrophe, suite à la découverte de concentrations de Césium 137 dans le sol du village de Iitate (à 40 km de la centrale), le Professeur Hiroaki Koide, de l’Université de Kyoto, avait ainsi rappelé qu’en 1986, on avait évacué rapidement tous les endroits où la contamination dépassait 550 000 Bq/m2. À Iitate, ces concentrations ont atteint jusqu’à 3 260 000 Bq/m2 pour le Césium 137
Des travailleurs sacrifiés
Tout aussi ahurissante est l’absence d’information sur et à destination des travailleurs sécurisant la centrale de Fukushima Daiichi. On apprend le 30 août le décès d’un ouvrier de la centrale, suite à une leucémie aiguë [2]. Selon Tepco, son décès n’aurait rien à voir avec son activité à la centrale. Pourtant, le témoignage du journaliste japonais Kazuma Obara, qui a effectué une visite « incognito » sur le site, laisse peu d’interprétations possibles : « Le 1er août, Tepco a annoncé qu’un rayonnement de 10 000 millisieverts par heure avait été détecté entre les réacteurs n°1 et n°2, non loin du panneau où les idéogrammes peints en rouge proclament : « D’un même élan du cœur : n’abandonne jamais, Fukushima ». En se tenant une minute et demie à cet emplacement, un ouvrier dépasserait la dose annuelle limite de 250 millisieverts. A l’époque, les ouvriers n’en avaient pas été avertis. On ne leur a d’ailleurs jamais rien expliqué, même suite à cette annonce [3]. » . Aucune nouvelle n’a par ailleurs filtré depuis six mois sur le sort de tous les autres ouvriers contaminés depuis le début de l’accident.
Une machine gouvernementale de censure
Censure sur la presse [4], diffusion de faux sites d’information… Le gouvernement japonais a recours à tout un assortiment de moyens pour étouffer la contestation. L’arrivée même de matériel de radioprotection est freinée : en mai, ce sont des milliers de compteurs Geiger envoyés par des pays étrangers qui restent bloqués à l’aéroport de Narita au lieu d’être distribués, donnant lieu à une controverse à la Chambre des Représentants au Japon (http://videos.sortirdunucleaire.org/Fukushima-des-milliers-de) .
Éclosent également des discours faisant écho aux conclusions du « Forum Tchernobyl » [5] (une instance qui avait largement contribué à minimiser les conséquences de la contamination, ainsi que l’effet délétère des plus faibles doses, et dont les travaux ont été dénoncés par plusieurs associations [6]) : le vrai risque ne viendrait pas des radiations, mais du stress lié aux informations sur la radiation. On a ainsi pu entendre lors de la 14e Conférence internationale de la recherche sur les effets de la radiation qu’il fallait éviter de donner des informations « alarmistes » sur Fukushima afin de ne pas menacer la santé mentale de la population japonaise [7]…
La société civile s’organise
Le 29 août, des universitaires japonais ont ainsi révélé une nouvelle carte de la contamination [8], qui fait apparaître des concentrations élevées de radioéléments bien au-delà des zones préconisées pour l’évacuation [9]. Alors le 30 août, le Ministère de l’Education et des Sciences a aussi publié la contamination aux Césiums 134 et 137 du sol et de l’air dans la zone proche de Fukushima-Daiichi.
Un peu partout, des citoyens se sont formés à la mesure des radiations. C’est ainsi que des citoyens japonais, avec l’aide d’organisations françaises et allemandes (CRIIRAD, Umweltinstitut München, IPPNW…) ont fondé une association de mesure de la radioactivité, le (Citizen’s Measurement Radiactivity Station [10]). Son objectif est d’installer dans toutes les 47 préfectures japonaises des stations de mesure de la radioactivité sur les personnes et dans les aliments. Ses membres font malheureusement le constat que la radioactivité ne cesse d’augmenter dans l’environnement tandis que l’information envers les populations fait cruellement défaut.
Ainsi, le 5 août, le mensuel Science annonce que les résidents de la préfecture de Fukushima feront l’objet d’une campagne de contrôle médical sur 30 ans, afin d’étudier les effets des faibles doses sur l’organisme. Wataru Iwata, membre du CMRS, a déclaré le 15 août dernier [11] : « Nous avons malheureusement l’impression qu’il s’agit ici moins d’une prise en charge médicale au sens propre que d’un grand projet épidémiologique, dans lequel les personnes concernées sont traitées moins comme des patients que comme des cobayes. Les représentants des autorités supposent que la majorité de ces gens n’ont rien à craindre (…), et qu’ils mettent en place ces tests uniquement pour répondre aux préoccupations de la population ».
Des malades potentiels non pris en charge
De plus en plus de personnes, y compris à Tokyo, se plaignent de troubles évoquant (les symptômes d’une contamination [12]. Comme le décrit Wataru Iwata, les évacués « ne sont pas pris en charge médicalement - même quand, par exemple, les parents amènent leur enfant chez le médecin avec des symptômes suspects comme des saignements de nez. Ils croient que cela ne peut pas venir des radiations car ces gens auraient reçu moins de 100 millisieverts ». 100 millisieverts cumulés : en-deçà, tout est en effet considéré comme « faible dose » par les autorités.
Lors d’une conférence à l’ambassade de France au Japon, l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) abonde dans ce sens, en ajoutant que « chacun doit être maintenant acteur de sa radioprotection et chercher à optimiser sa dose individuelle ». [13]. Or, comment peut-on conseiller à quelqu’un d’être « acteur de sa radioprotection » si aucune information n’est disponible ? Si rien n’est mis en place pour permettre l’évacuation des populations, seul moyen de limiter efficacement son exposition à l’irradiation externe ?
Les enfants exposés à la radioactivité : chronologie d’un scandale
Très peu de temps après le début de la catastrophe, les écoles ont réouvert dans la préfecture de Fukushima, en dépit de mesures témoignant d’une radioactivité élevée. Plutôt que d’envisager de nouvelles vagues d’évacuation qui constitueraient pour les autorités l’aveu d’un échec dans la gestion de la catastrophe, on décide donc de nier les conséquences sanitaires, en arguant que la vie doit continuer comme avant, malgré l’accident et les très hauts taux de radioactivité.
Le 19 avril, le gouvernement décide ainsi de permettre la réouverture de tous les établissements scolaires où la radiation externe ne dépasse pas 3,8 microsievert par heure, ou encore 20 millisieverts (mSv) par an dans les cours de récréation. On demandera également aux écoliers de porter des vêtements à manches longues, de limiter leur temps passé dehors, et ils seront équipés de dosimètres.
Le 29 avril, M. Toshisô Kosako, conseiller nucléaire du gouvernement présente sa démission, en pleurs : d’un point de vue scientifique, un seuil d’exposition aussi élevé est inacceptable. Cette disposition revient à soumettre les enfants, dont l’organisme fragile et en pleine croissance est extrêmement sensible aux radiations, à la même exposition que les travailleurs du nucléaire. Par ailleurs, elle prend uniquement en compte les doses accumulées du fait de l’irradiation externe, alors que les habitants de Fukushima sont également menacés par la contamination interne, en cas de consommation d’eau ou d’aliments contaminés.
Début mai, la société civile japonaise proteste : plusieurs associations lancent une pétition internationale pour demander des normes de radioprotection plus exigeantes pour les enfants, soit le retour à un maximum de 1 mSv par an. Le Réseau “Sortir du nucléaire” relaie cette pétition [14], qui recueille d’ores et déjà plus de 27 800 signatures en France.
La pression des citoyens et des organisations internationales augmentant, le gouvernement japonais procède à un artifice rhétorique et annonce le 26 mai que, tout en maintenant provisoirement la norme de 20 mSv/an dans la préfecture de Fukushima, l’on s’efforcera à terme de « viser » 1 mSv/an. Il s’agira notamment de retirer la couche superficielle de terre des cours de récréation dans les endroits les plus contaminés. Cela représente un chantier colossal, et cette entreprise ardue connaît rapidement ses limites : que faire de la terre radioactive ainsi retirée ? Où la stocker ? Les mesures rivalisent d’incohérence.
Lors d’une réunion publique sur la situation tenue le 19 juillet par les membres du comité gouvernemental d’urgence [15], et filmée par un vidéaste amateur, il est réitéré qu’il n’est pas question d’élargir la zone d’évacuation. Ceux qui le souhaitent sont autorisés à le faire « de façon volontaire et à leurs risques et périls », déclareront les représentants des autorités.
La préfecture de Fukushima annonce le 25 juillet que l’on fera un examen pour la tyroïde sur les mineurs de Fukushima, soit 360 000 personnes, une première fois dans les deux ans, et une seconde fois dans les cinq ans, après qu’ils auront eu 20 ans.
Le 14 août, on détecte de l’iode dans la thyroïde de la moitié d’un groupe d’enfants de Fukushima [16].
Les ONGs japonaises continuent de dénoncer la supercherie et lancent le 17 août un appel au Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme à venir constater la violation du droit à la santé suite au maintien de cette limite de 20 mSv/an [17]. Pendant ce temps, la vidéo de la réunion publique du 19 juillet circule tant, que l’Ambassade du Japon demande un droit de réponse à Liberation.fr, sur lequel elle a été publiée [18]. De manière paradoxale, on y affirme qu’il est hors de question de remettre en cause les zones d’évacuations fixées par le gouvernement « la situation sur le site de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi n’étant pas complètement rétablie »…
Le 30 août, après de multiples demandes de rendez-vous à l’ambassade du Japon à Paris, une délégation du Réseau « Sortir du nucléaire » se présente en vue de remettre ces 27 847 signatures à un représentant du gouvernement japonais. Se faisant dire très sèchement que cette démarche n’est pas la bienvenue, le Réseau “Sortir du nucléaire“ n’en restera pas là.
1er septembre : à la date traditionnelle de la rentrée des classes, en dépit des mesures annoncées, les niveaux de radiations restent encore dramatiquement élevés dans les cours d’écoles de la ville de Fukushima. D’après les mesures de l’ONG Greenpeace International, on a pu déceler jusqu’à 1,5 mSv/heure - soit une fois et demie la dose annuelle autorisée - dans une cour d’école où avaient pourtant été mises en œuvre des mesures de décontamination. Parmi tous les établissements étudiés, seul un jardin d’enfant témoignait d’une baisse réelle des niveaux de radiation, uniquement grâce au travail entrepris par les associations locales.
Ce constat démontre bien les limites du plan gouvernemental de décontamination ; le combat pour protéger les enfants en demandant leur évacuation des zones où la radiation excède 1 mSv/an demeure plus que jamais d’actualité.
Une remise en question du nucléaire qui a ses limites
Quelle poursuite du nucléaire au Japon ?
43 réacteurs sont maintenant à l’arrêt au Japon, soit plus de 80 % du parc. Dans leur grande majorité, les autorités locales ne souhaitent pas les voir redémarrer. Par ailleurs, 14 nouvelles failles sismiques ont été découvertes à proximité de sites nucléaires japonais [19], un élément de poids tout particulièrement dans le contexte post-11 mars, vis-à-vis de la politique atomique. En juillet dernier, le Premier Ministre Naoto Kan avait plaidé pour un Japon dénucléarisé et pour un soutien accru aux énergies renouvelables.
Une attitude contradictoire à l’international
Si le nouveau gouvernement n’envisage pas la construction de nouvelles centrales nucléaires, il souhaite le redémarrage des unités actuellement à l’arrêt. Il semble qu’une transition énergétique rapide se heurte à de fortes résistances, et que le lobby nucléaire japonais, bien qu’entaché de scandales, conserve une influence importante sur le gouvernement. Ainsi en juin, à la conférence climatique de Bonn, les représentants du Japon s’étaient montrés les plus ardents défenseurs de l’inclusion du nucléaire dans le « Mécanisme de Développement Propre », ces actions pour diminuer les émissions dans des pays en développement financées par les pays occidentaux [20].
Centrale de Tomari, exception ou premier exemple d’une régression générale ?
Alors que le nouveau Premier Ministre, M. Yoshihiko Noda, plaide pour un redémarrage des centrales, le 17 août, le réacteur n°3 de la centrale nucléaire de Tomari, sur l’île d’Hokkaido, a déjà redémarré. Selon Kaori Izumi, de l’association japonaise « Shut down Tomari », Tomari avait d’ailleurs commandé dès juin un chargement de MOX, ce combustible à base de plutonium, qui doit être fabriqué d’ici novembre à l’usine Melox, dans le Gard (France). C’est ce même type de combustible, vendu par Areva, qui était utilisé dans le réacteur n°3 de Fukushima Daiichi. D’une toxicité particulièrement élevée, il est aussi plus prompt à entrer en fusion qu’un combustible classique. [21]
Et en France, avons-nous tiré les leçons de Fukushima ?
Pour le monde entier, la catastrophe de Fukushima constitue un violent rappel, 25 ans après Tchernobyl, du caractère ingérable d’une catastrophe nucléaire et des dangers de cette technologie. Pour le monde entier… sauf la France ?
Écran de fumée « à la française » et aveuglement persistant sur les risques
Alors que la Suisse, l’Allemagne ou l’Italie tiraient très tôt les leçons de cette catastrophe en décidant d’une sortie du nucléaire, ou d’une non-reprise de leur programme nucléaire, le gouvernement français a lui, réaffirmé son indéfectible soutien à l’atome. Avec Fukushima a ressuscité l’argument de la « supériorité technologique française ». Le réacteur EPR, alors fortement décrédibilisé par une longue liste de retards, surcoûts et révélations sur sa sûreté déficiente, est devenu l’antidote au nucléaire « bon marché » et à tous les problèmes de sûreté existants et à venir. Même les révélations accablantes de l’Autorité de Sûreté Nucléaire sur les graves malfaçons sur le chantier de l’EPR, fin août, n’amènent aucune remise en question du « fleuron » de la technologie française... Quant à la prolongation de la durée de vie des réacteurs vieillissants comme ceux de Fessenheim, pas question de la remettre en question, même si les travaux nécessaires s’avèrent colossaux.
Tout en tirant vers le bas le cahier des charges des évaluations destinées aux réacteurs européens - abandonnant ainsi l’étude de la vulnérabilité face à la menace terroriste -, la France a mis en place à grand bruit des « stress tests » bien peu exigeants sur ses sites nucléaires. Le gouvernement prétend même lancer des exercices de prospective énergétique à l’horizon 2050 où serait entre autres étudiée une potentielle sortie du nucléaire... tout en précisant d’emblée que cette dernière option ne sera pas retenue.
Les Français sont désormais une très large majorité à appeler de leurs voeux une sortie du nucléaire, et sont plus mobilisés que jamais, comme le montre l’organisation de manifestations aux quatre coins de la France cet automne. Le débat sur l’atome sera un sujet incontournable des élections présidentielles et législatives, et les différents candidats ne pourront rester la tête dans le sable indéfiniment.