PETIT RETOUR EN ARRIÈRE POUR ALLER DE L’AVANT : SUR LA STRATÉGIE, L’ORIENTATION, LA LIGNE ET QUELQUES DÉTAILS
La crise et l’impasse du NPA sont désormais telles qu’on ne peut manquer de poser la question de son avenir en pensant à une sorte d’alchimie moderne : comment a-t-on pu transformer de l’or en plomb en quelques courtes années ? Avant de faire le petit retour en arrière annoncé et d’essayer d’aller de l’avant sans injurier l’avenir, quelques mots sur le projet du NPA lui-même, tel qu’il s’est dessiné à son origine.
Oui, il fallait faire le NPA
La chute du mur de Berlin précédant l’implosion de l’URSS et l’entrée en crise systémique du capitalisme suffisaient à faire mûrir le projet légitime de fonder une organisation se situant dans la continuité du mouvement ouvrier et révolutionnaire (ses « meilleures traditions ») et reprenant la discussion stratégique et programmatique « par le milieu », c’est-à-dire en considérant que toute une série de clivages d’hier avaient perdu de leur pertinence en cette nouvelle phase historique. Les Principes fondateurs, adoptés par le NPA à sa fondation, balisaient ainsi le chemin et devraient continuer à le faire. Mais le recul souligne aujourd’hui des évidences :
• Cette affirmation globale des « Principes fondateurs », même complétée ultérieurement par « Nos réponses à la crise », s’est révélée incapable d’endiguer la fragmentation voire le déchirement du Parti, aboutissant à son état actuel de paralysie. À qui, à quoi la faute ? Peut-être au manque initial d’une discussion stratégique irriguant le NPA dès sa création. D’une discussion stratégique au sens réel du terme, sur notre projet et les moyens de le mettre en œuvre ici et maintenant, dans le contexte politique, économique et social où nous vivons. Certains parmi les « anciens », sentant ce défaut, ont tenté par des contributions de nourrir cette discussion nécessaire. Mais elles sont tombées dans le vide, faute d’une volonté organisée qui aurait sans doute dû faire l’objet d’une véritable étape préparatoire à la fondation du Parti. La leçon devrait quand même servir pour la suite.
• Faute de quoi, le NPA n’a eu de cesse de se déchirer à belles dents d’une part sur le voile, d’autre part sur des enjeux d’alliance électorale éventuelle, sans que ces derniers enjeux (bien réels) ne s’inscrivent dans une maîtrise partagée des voies et des moyens d’une politique. Au bout du compte, le positionnement global du NPA apparaît désormais comme isolationniste, sous le couvert d’un gauchisme archaïque se prévalant d’un rapport exclusif avec « les travailleurs » et faisant fi de tout ce qui façonne la vie politique et la fait bouger. Cette aberration est poussée au point de considérer, comme ce fut écrit par la nouvelle direction issue de la dernière Conférence nationale, que même l’indépendance vis-à-vis du PS n’est pas un discriminant suffisant à ce stade. Alors quoi ? La « révolution prolétarienne » pure et dure, et encore tout dépend du label imprimé par la secte qui s’en gargarise !
Ce spectacle lamentable fait enrager tous ceux, heureusement nombreux et probablement majoritaires, pour qui ces gesticulations gauchistes primaires n’ont vraiment rien à voir avec nos « Principes fondateurs » et avec « l’analyse concrète d’une situation concrète ».
• Cet aspect ne mérite pas aujourd’hui de longs développements. Mais depuis des années (les dates sont sujets à discussion sans beaucoup d’intérêt), le NPA est passé de la position, alors incontestée en 2005 ou 2007, d’initiateur possible d’un rassemblement autour de ses perspectives anticapitalistes à celle de protestataire de plus en plus marginal. Le défi était – et reste dans un contexte nouveau – de prendre appui sur le parti pour jeter les bases d’un front social et politique, donc passant aussi par des coalitions électorales. Et ce à la condition cruciale d’une totale indépendance vis-à-vis du PS. Quand c’était possible nous nous sommes cabrés devant l’obstacle et nous avons raté ce qui était à portée de main : devenir le centre de gravité d’une telle entreprise. Certes, les difficultés ne manquaient pas : le PCF aurait manœuvré comme il sait le faire pour préserver ses strapontins institutionnels ; le Parti de gauche aurait été sensible aux sirènes électoralistes d’une nouvelle mouture de la « gauche plurielle », etc. Mais dans leur sphère d’influence, rien n’était joué d’avance. Tirer cette leçon, sans être forcément d’accord sur les détails secondaires et sans macérer dans la mélancolie, préparera aussi l’avenir proche.
Maintenant, il faut faire autrement et avec le NPA
« Phénix » est heureusement le lieu d’un débat libre et ouvert qui a du mal à se frayer un chemin dans le NPA, mais ça viendra. Soit dit en passant, c’est déjà une différence importante avec la situation d’autres courants où ces questions ne sont même pas effleurées. De très bonnes choses ont été écrites dans plusieurs contributions ; je les partage et ne les répéterai donc pas. Mais concernant la stratégie, il me semble qu’il manque souvent un volet, plus concret ou immédiat, aux développements sur la nécessité d’une démarche de transition reliant la situation présente aux objectifs qui sont les nôtres.
L’attraction a pu opérer quelque temps lors de la création du NPA, sur l’arrière-fond de la déroute politique du PS, de la capilotade du PCF, de l’impuissance confirmée de l’extrême-gauche et de l’illusion temporaire d’un rapport direct avec la radicalisation alors renaissante. Mais cela n’a pas duré longtemps. Car faire de la politique, c’est toujours s’efforcer de trouver les voies et moyens de peser sur la situation sociale, par les mobilisations, et globale en travaillant à offrir des perspectives susceptibles de faire évoluer le rapport de forces entre les classes et d’élargir l’audience des anticapitalistes. Nous y sommes toujours, dans un contexte certes différent. Il faut donc tracer un plan aussi conforme que possible aux données de la situation – bref risquer une hypothèse et la concrétiser.
Après la défaite subie sur les retraites, en France au moins la crise ne se traduit pas par une poussée de mobilisations sociales. Le climat est plutôt à l’inquiétude, voire à l’angoisse face à la perception d’une crise qui s’accélère et s’aggrave. Cette phase est d’ailleurs plutôt logique avec les processus de maturation et de prise de conscience de l’inadéquation des remèdes capitalistes à sa propre crise systémique. À l’échelle internationale, la récente explosion des « Indignés », avec ses limites, annonce peut-être un changement. Mais cette phase est grosse d’incertitudes. Il ne s’agit pas de faire des plans sur la comète mais de dessiner une orientation, quitte à la moduler ou la modifier selon les événements. Schématiquement, elle pourrait ressembler à ça :
• Il faut préparer l’après Sarkozy. Si c’est Sarkozy 2 en 2012, il s’agira de se battre contre une politique dont les actuelles mesures ne sont qu’un hors d’œuvre. Du Front unique classique en somme, avec en plus une crise ravageuse du PS et probablement du PCF aussi. Si c’est le PS qui prend la présidence et la majorité à l’Assemblée, comme semble l’indiquer l’état actuel de l’opinion, les enjeux deviennent rapidement cruciaux. Il est raisonnable de travailler sur cette orientation, en marquant notre volonté de faire battre la droite.
• La question d’ores et déjà posée est bien celle de la politique pour 2012. Il faut œuvrer dès maintenant, campagne du NPA ou pas, à cristalliser un arc de forces et de militants sociaux et politiques, nombreux et disponibles pour cela (et encore plus après les élections), opposés à l’imposition d’une politique pro capitaliste repeinte en rose – une opposition de gauche à ce scénario plus que probable, un front social et politique (quel que soit le nom qu’on lui donne et qu’il pourra prendre). Ce n’est évidemment pas le Front de Gauche, déjà empêtré dans les tractations d’une « alliance de gauche ». Mais à notre initiative et avec le concours de beaucoup d’autres, nous pouvons et devons lancer l’idée, prendre les contacts, jeter les bases matérielles – si possible avant les élections (pourquoi pas un Appel signé par divers courants et militants, quelle que soit leur option de vote présidentiel ?) et en tous cas anticiper la phase critique qui s’annonce.
• La menace de la dette, qui sert et servira de levier aux mesures de restriction, peut sans doute fédérer les points de vue et opinions à la gauche de la gauche, voire plus largement. Il ne faut pas hésiter à être audible et compris sur ce plan, en s’écartant résolument du propagandisme de la seule dénonciation de la dette illégitime : le mouvement d’opinion et la mobilisation à construire pour la suspension des paiements et un audit de la dette prennent toute leur place dans cette orientation.
Le NPA est un outil précieux pour mettre en œuvre cette stratégie. Et cette stratégie peut le sortir de l’ornière où il est enlisé. En son sein, les forces existent qui y aspirent et veulent la voir prendre vie. Elles sont dans la minorité actuelle et aussi dans d’autres courants. En se retrouvant, elles donneront un nouvel élan au NPA, qui est aujourd’hui en panne d’idées, de ligne, d’orientation dignes du projet anticapitaliste qui l’a porté et qui reste toujours pertinent. Que cela passe par des échéances internes rapprochées ne fait guère de doute ; c’est un mal pour un bien.
Charles Aubin (05/10/11)