L’Assemblée générale des mouvements sociaux, qui s’est tenue dans le cadre du troisième Forum social européen (FSE), à Londres, en octobre 2004, mettait en exergue, dans son appel, l’importance de la manifestation de Bruxelles : « Nous appelons à une manifestation centrale à Bruxelles, le 19 mars, contre la guerre, contre le racisme et contre l’Europe néolibérale, contre les privatisations, contre le projet Bolkestein et contre les attaques sur le temps de travail ; pour une Europe des droits et de la solidarité entre les peuples. Nous appelons tous les mouvements sociaux et tous les syndicats européens à descendre dans la rue ce jour-là. »
Le choix de Bruxelles et la date du 19 mars étaient dictés par trois considérants :
– les 22 et 23 mars, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne (UE) vont se réunir à Bruxelles pour faire le point sur la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne (voir p. 7). Décidée en mars 2000 lors du sommet des chefs d’États et de gouvernement, celle-ci vise à faire de l’UE « l’économie la plus performante au monde à l’horizon 2010 ». Autrement dit, la stratégie de Lisbonne est la base sur laquelle l’UE et les différents gouvernements s’appuient pour remettre en cause les retraites, l’assurance maladie, les conditions de travail, les services publics et pour imposer la flexibilité, les coupes budgétaires... Et le but de ce nouveau sommet est de donner un coup d’accélérateur à cette politique en profitant de l’élargissement de l’UE et de la mise en place du traité constitutionnel, qui lève tous les obstacles à la libre concurrence ;
– le choix de la Confédération européenne syndicale (CES) d’appeler à une manifestation ce jour-là. La volonté de manifester le même jour, au même lieu, mais en toute indépendance, répondait à la préoccupation du mouvement altermondialiste de construire, à l’échelle européenne, une force qui soit capable de s’opposer à l’offensive libérale sans limites de l’UE. Or, cela ne pourra se faire sans alliance avec certains secteurs du mouvement syndical, qui sont membres de la CES mais qui participent aussi aux forums sociaux européens et qui, parfois sous la pression de leur base, prennent leurs distances avec l’orientation de collaboration de classes de la CES. Rappelons que cette dernière soutient le traité constitutionnel mais aussi le processus de Lisbonne, se bornant à vouloir améliorer, vainement d’ailleurs, son volet social ;
– enfin, le 20 mars sera le deuxième anniversaire du déclenchement de la guerre contre l’Irak par les États-Unis et leurs alliés. L’exigence du retrait immédiat des troupes d’occupation d’Irak, la défense des droits du peuple palestinien, le refus d’une Europe puissance militaire et impérialiste sont plus que jamais d’une brûlante actualité.
À cette étape, le bilan de la préparation de Bruxelles est contrasté. Points positifs, la CES a dû retirer le soutien au traité constitutionnel de son appel à manifester et elle a accepté que le cortège des mouvements sociaux soit partie prenante de la manifestation ; à Nice il avait été, service d’ordre à l’appui, cinq cents mètres à l’arrière. En revanche, la mobilisation pour Bruxelles sera géographiquement limitée, pour l’essentiel à la Belgique, au Nord de la France et à l’Allemagne, la plupart des autres pays n’envoyant que des délégations restreintes. Ces limites s’expliquent, outre les difficultés intrinsèques d’organiser une manifestation européenne pour des raisons matérielles et financières, pour bonne partie par l’orientation calamiteuse de la CES qui a étouffé la possibilité d’initier une réelle dynamique, certains craignant qu’elle ne détourne cette initiative à son profit. Mais ces limites seront heureusement contrebalancées par le fait que, parallèlement à celle de Bruxelles, dans la plupart des pays européens, des manifestations seront organisées contre l’Europe libérale et contre la guerre (voir p. 13). Ainsi, le même week-end, à Bruxelles, mais aussi de Londres et à Istanbul, en passant par Lisbonne et Athènes, des centaines de milliers de manifestantes et de manifestants entendent crier leur refus de la politique libérale de l’Union européenne, de la stratégie de Lisbonne, de la circulaire Bolkestein, du traité constitutionnel (voir p. 6), de l’Europe guerrière, de la guerre en Irak. Cela marquera une nouvelle étape de la longue marche de construction d’un mouvement social européen, capable de mettre un terme à la révolution néoconservatrice à l’œuvre et d’opposer à l’Europe libérale, forteresse et guerrière, une autre Europe, celles des travailleurs et des peuples, une Europe démocratique, sociale, solidaire, égalitaire, écologiste, féministe et socialiste.
Léonce Aguirre