Bouleversé comme toute notre génération par l’extraordinaire richesse de mai-juin 1968, Aguirre n’a jamais cessé dès lors son engagement militant. Autant dire que son histoire se mêle étroitement à tous les événements politiques radicaux des années qui nous séparent de cet événement fondateur. Autant dire aussi avec émotion que dans nos souvenirs, nous le voyons à chaque étape, engagé concrètement dans les mobilisations et dans les débats, sans jamais se départir de sa colère contre les possédants et de sa tendresse à l’égard des humbles et des opprimés.
Il adhère à la Ligue marxiste révolutionnaire (LMR) en Suisse au début des années 70, en pleine effervescence mondiale : mobilisations de la jeunesse, grèves générales ou mai rampant, solidarité internationale avec le Vietnam. Tout semble possible alors et Aguirre, participe avec enthousiasme à tous les combats. Radical il l’est et il le restera durant toute sa vie militante notamment sur certains sujets qui lui hérissait le poil : l’école (des flics et des patrons disions-nous en 68), l’intolérance et le racisme, le féminisme, l’écologie.
Il monte à Paris au milieu des années soixante-dix. La France est l’un des pays d’Europe où les espoirs de 68 ont produit le plus de militants dans la IVe internationale à laquelle il appartient. La LCR est alors une organisation dynamique, jeune, ouverte à tous les mouvements sociaux et présente sur tous les fronts.
Il intègre le comité central au début des années 80. C’est une période où les lendemains qui chantent semblent irrémédiablement s’éloigner, tandis que l’Union de la Gauche met en œuvre la rigueur et couvre les plans de licenciements dans la sidérurgie et l’automobile. Aguirre anime à cette époque une tendance (ARA) qui prend ses distances avec le positionnement de la direction, laquelle se bat pour une recomposition politique à gauche de la gauche, et la redéfinition des conditions de construction d’un parti. C’est avec beaucoup de réserves que sa tendance soutiendra la campagne unitaire autour du candidat Juquin aux Présidentielles de 1988.
Il est alors responsable des sociétés de presse de la LCR notamment « La Brèche » et ne compte pas son temps pour développer notre système de presse, participer à la formation des militants et notamment des jeunes dans les camps internationaux. Il travaille également au comité de rédaction de Rouge dès le milieu des années 80.
Deux questions fondamentales le préoccupent dès lors : l’URSS et l’écologie. Il exprime à plusieurs reprises son désaccord avec les positions officielles, concernant l’analyse de l’URSS et des pays de l’Est comme « état ouvriers dégénérés ». Il ira plus loin encore par la suite en revisitant également Cronstadt et en contestant avec virulence la soi-disant « tragique nécessité » de la politique des bolcheviks pendant la révolution Russe.
Il considère également, la question de l’écologie comme fondamentale et à l’époque où la LCR reste sensible essentiellement aux grands mouvements de masse anti-nucléaire (Malville, Plogoff), il défend une conception plus généraliste de l’écologie comme contestation d’ensemble du système et fait la promotion de mobilisations comme celle en défense de la Loire fleuve sauvage.
Au début des années 90, il est cofondateur de la tendance Révolution ! qui défend la construction d’un parti révolutionnaire, contre ce qu’il considère comme les dérives de la direction dans le prolongement de la politique d’ouverture, la politique de l’alternative et de la recomposition Cette tendance défendra notamment l’alliance avec Lutte Ouvrière.
Il est cependant favorable à la construction naissante de syndicats lutte de classe issus des exclusions perpétrées par la direction recentrée de la CFDT, dès 1988 (naissance de SUD PTT et du CRC Santé sociaux), puis plus tard en 1995, par la FEN (création de la FSU). Ce renouveau syndical qui définit un autre rapport aux salariés, favorise l’auto-organisation, et met en œuvre directement son orientation, favorisera l’incroyable richesse et la force de mobilisation des grèves de novembre et décembre 1995. Le mouvement social se réinvite dans le paysage politique et percute alors les débats dans la LCR. Ses militants, très investis dans ce renouveau syndical, y jouent un rôle important.
C’est dans ce cadre politique et social profondément modifié qu’en 1998-99, Aguirre joue un rôle central pour la mise en place d’une nouvelle majorité dans la LCR, qui aboutira à la promotion de listes communes avec Lutte ouvrière pour les élections européennes, et permettra d’atteindre les 5% nécessaires, pour avoir pour la première fois, cinq élus, dont deux pour la LCR.
La place d’une contestation radicalement à gauche ne cesse alors de s’agrandir : grève générale de 1995, recomposition syndicale accélérée autour de la FSU, des SUD et de l’opposition CFDT, victoire de Jospin aux législatives de 1997 avec trahison immédiates de ses engagements (privatisation de France Télécom et d’Air France deux mois après son élection). La présidentielle de 2002 avec la candidature de Besancenot, son score qui dépasse celui du PCF, l’échec cuisant des socialistes et la mobilisation populaire contre Le Pen, feront le reste.
Seattle, Gênes, Porto Allegre, le mouvement altermondialiste commence alors et Aguirre s’y engage résolument, considérant ces nouvelles formes d’internationalisme, comme facteurs fondamentaux de renouveau de la vie politique, avec nouvelle génération et nouvelles formes d’organisation. Forums sociaux mondiaux et européens (Florence-Paris-Londres-Athènes), Aguirre ne ménage pas sa peine et participe souvent, pour la LCR, aux AG préparatoires qui se tiennent dans toutes les villes d’Europe, n’oubliant jamais de réunir durant un repas les camarades de la IV présents.
La campagne unitaire contre le Traité européen en 2005 en France et son succès, le convainquent qu’il y a bien place pour une bataille unitaire de tous ceux qui ne renoncent pas au combat anticapitaliste et se situent résolument contre toutes les dérives social-libérales. Ainsi s’engage t-il à fond dans le développement des comités unitaires anti-libéraux, se bat-il pour une candidature unitaire aux Présidentielles de 2007. Il rebondira tout naturellement l’année suivante en faveur de la construction d’un nouveau parti. Au sein du NPA il défendra jusqu’au bout des positions unitaires. Animateur de la position 3 lors du premier congrès du NPA, de la position B au cours de la dernière Conférence nationale de juin dernier, il n’a cessé de se battre ces derniers mois pour éviter ce qu’il pressentait comme une catastrophe : la perte de l’héritage, d’un courant original, issu de 68, ayant traversé tous les orages et toutes les tempêtes.
Hélène Adam