Avec la création de la Sécurité sociale en 1945 en application du programme du Conseil national de la résistance, les générations de l’après-guerre ont fait le choix de la solidarité et d’un investissement collectif exceptionnel pour protéger et améliorer la santé de la population. La part de la richesse nationale consacrée aux dépenses de soins (consommations de soins et de biens médicaux ou CSBM) est passée de 2,5 % en 1950 à 9,2% en 2009. Elle a même atteint 11,7 % en 2009 pour la totalité des dépenses de santé (dépenses courantes de santé). Cet investissement financé pour l’essentiel par les cotisations sociales et l’impôt a permis d’établir un système de santé classé premier par l’Organisation mondiale de la santé en 2000, avec un niveau de prise en charge des soins de 80 % en 1980, des prestations en fonction des besoins de chacun, et la création de la couverture médicale universelle (CMU) en 1999.
Un bien commun ébranlé par les crises
Pourtant, depuis les années 1980, ce bien collectif auquel la population est particulièrement attachée est confronté à des crises sans précédent. Une crise économique et un ralentissement de la croissance. La succession des plans de maîtrise des dépenses a instillé le doute sur la pérennité du système. La crise financière de 2008, en projetant l’ombre du déclin économique, a conforté l’idée d’une nécessaire réduction des dépenses publiques de santé.
Des crises de santé publique. Le sang contaminé, la canicule de 2003, l’hormone de croissance sont des exemples qui ont dramatiquement mis en évidence les carences de la France en matière de sécurité sanitaire. Notre système de santé s’est construit en privilégiant le soin et les pathologies aiguës et souffre de graves retards en matière de prévention et de prise en charge des affections chroniques et du handicap.
La construction à partir de rien ou de presque rien d’un dispositif de sécurité sanitaire depuis les années 1990 reste très fragile et lacunaire comme le montrent les récentes crises de la grippe H 1 N 1 et du médicament (à la suite de l’affaire Mediator). La politique de prévention et de promotion de la santé reste à construire.
Des crises d’identité professionnelle. Depuis les années 1980, les conflits se répètent. Les professionnels de santé, à l’hôpital comme en ville, expriment un malaise profond. Ils s’inquiètent des menaces pesant sur leur indépendance professionnelle. Ils dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail que souligne le rapport 2010 du Médiateur de la République : « Les services des urgences rencontrent fréquemment cette situation où la relation circulaire existant entre stress et charge de travail nourrit l’épuisement des professionnels. » Les médecins généralistes, médecins de premier recours, affrontent des difficultés sans précédent en raison de l’écart croissant entre leurs missions et leurs moyens. Il existe une authentique crise des vocations des étudiants pour la médecine générale.
Des crises démographiques. Les mauvais choix politiques de régulation de la démographie médicale ont entraîné une réduction du nombre de médecins formés chaque année : 8 500 dans les années 1970, 3 500 dans les années 1990. Il apparaît aujourd’hui des situations de pénurie dans certaines spécialités et dans certains territoires. Cette pénurie relative, qui va s’aggraver jusqu’en 2020, invite à une redéfinition de l’organisation du système de santé et notamment de la place respective des différents professionnels, d’autant plus que, dans le même temps, la population française augmente et vieillit. Les conditions d’application des trente-cinq heures aux hôpitaux ont aggravé le manque de personnels infirmiers et conduit à la création de comptes épargne-temps difficiles à gérer.
Confronté à de tels bouleversements, le secteur de la santé dépend plus que jamais des choix politiques. Pendant la phase de croissance du système de santé, le débat public sur la politique de santé a occupé une place modeste lors des grandes échéances électorales, malgré les différences d’approche des principales forces politiques concernant l’élargissement des recettes de la Sécurité sociale (cotisations sociales et patronales, impôts) et les plans de maîtrise des dépenses de santé. Cette dépolitisation relative des questions sanitaires a permis, à la faveur de l’empilement de mesures présentées comme « techniques » et limitées, d’entrer insidieusement dans une logique de déconstruction des services publics concourant à la protection de la santé.
C’est tout d’abord la volonté affichée depuis peu de ne plus distinguer hôpitaux publics, établissements privés à but non lucratif et cliniques commerciales. Cette confusion a conduit à la suppression de la notion de service public hospitalier dans la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) de 2009. La notion d’établissement dédié exclusivement au service public pourrait même disparaître à terme.
Dans le même temps, la généralisation, à marche forcée, de la tarification à l’activité (T2A) – la Sécurité sociale verse, pour chaque malade hospitalisé, une somme forfaitaire en fonction de sa pathologie – déstabilise le cadrage budgétaire des établissements publics sous couvert d’une convergence tarifaire entre les cliniques commerciales et les hôpitaux. En effet, cette convergence est déloyale dans la mesure où elle ne prend pas véritablement en compte les particularités du service public dans la détermination des tarifs hospitaliers pas plus qu’elle n’incorpore dans le calcul des tarifs des cliniques, les honoraires libres des médecins. Ainsi mis délibérément en « déficit », les hôpitaux publics, en particulier les centres hospitalo-universitaires (CHU), sont obligés chaque année de supprimer des emplois : 9 800 en 2009, plus de 10 000 en 2010, 15 000 sont annoncés pour 2011. Cette politique se nourrit aussi d’une « idéologie gestionnaire », convaincue des bienfaits de la rentabilité et de la concurrence à tout prix. On sait pourtant que la régulation par le marché du secteur de la santé a pour effet essentiel d’aggraver les inégalités et d’accroître les coûts. En effet, les usagers ne sont pas en mesure d’apprécier véritablement la justification et la qualité médicale des services proposés ni le plus souvent d’en supporter la charge financière. Dans le même temps, de nombreux opérateurs privés, notamment des groupes internationaux, investissent massivement le champ de la santé jugeant qu’il est possible d’y faire du profit. Contraintes financières d’un côté et profits de l’autre !
C’est ensuite la lente dérive des dépassements d’honoraires non régulés et les lacunes de la démographie professionnelle dans certains territoires et certaines spécialités. Pire, la réforme du médecin traitant a habilité les médecins spécialistes respectant les tarifs de la Sécurité sociale à pratiquer dans certains cas des dépassements d’honoraires. Le projet de secteur optionnel de la convention médicale pourrait avoir le même effet. Quant aux velléités d’améliorer la répartition des professionnels sur le territoire, elles sont restées lettre morte.
C’est aussi dans le champ de la santé publique, une politique qui hésite entre avancées et renoncements sur la sécurité routière, sur la lutte contre le tabagisme ou l’alcoolisme, autorisant même la publicité pour l’alcool sur Internet, média le plus prisé des jeunes ! C’est la diminution des moyens attribués aux centres d’interruption volontaire de grossesse (IVG). C’est l’instauration d’un forfait annuel d’entrée pour bénéficier de l’aide médicale d’État (AME), rendant encore plus hasardeux l’accès aux soins pour les plus démunis. C’est la baisse effective des financements de la lutte contre le sida. C’est la remise en cause de l’autonomie de la médecine du travail ou le désengagement de la médecine scolaire et de la protection maternelle et infantile. Pourtant, il est connu depuis longtemps que l’état de santé d’une population dépend d’abord de l’éducation, des conditions de travail, de logement, de vie et, plus largement, du degré de cohésion sociale. Leurs dégradations aggravent aussi les inégalités sociales face à la maladie et à la santé, déjà très fortes en France.
C’est, en matière de démocratie sanitaire, la timidité à reconnaître leur place aux associations de patients. C’est aussi, dans la réforme de 2009, le refus de donner aux conférences régionales de la santé et de l’autonomie (CRSA) un vrai rôle de contrepouvoir face aux agences régionales de santé (ÀRS) et l’incapacité à dégager les moyens nécessaires à l’exercice de la démocratie sanitaire.
C’est enfin pour l’assurance-maladie le choix, sous couvert de « responsabilisation » des patients, d’augmenter le reste à charge par le biais de l’institution des forfaits et franchises, de l’accroissement du ticket modérateur et du développement des dépassements d’honoraires. Par couches fines mais de façon répétée, (les pans entiers de l’assurance-maladie sont transférés aux assureurs complémentaires alors que leurs frais de gestion atteignent et dépassent souvent 15 % de leur chiffre d’affaires contre moins de 5 % pour la Sécurité sociale. Dans le même temps, les assurances privées gagnent des parts de marché sur les organismes mutualistes ou paritaires. Logiquement, ce choix de privatisation rampante du financement des soins courants s’accompagne de la définition d’un rôle nouveau pour les assurances complémentaires. Institutionnalisées dans un premier temps au sein de l’Union nationale des organismes d’assurance-maladie complémentaire (Unocam), elles se sont vu reconnaître depuis 2004 un rôle croissant dans le pilotage du système. Elles sont associées aux négociations conventionnelles avec les professions de santé et disposent d’un droit de veto dans les secteurs où la prise en charge de l’assurance-maladie est inférieure à 50 %. Elles sont officiellement appelées à se prononcer sur les projets de loi de financement de la Sécurité sociale et sont associées à l’élaboration des programmes pluriannuels régionaux de gestion du risque par les agences régionales de santé. Le débat actuel sur la prise en charge de la dépendance pourrait confirmer la logique à l’œuvre en proposant le développement d’assurances privées au lieu de créer un cinquième risque au sein de la protection sociale.
Ces orientations sont d’autant plus menaçantes pour le système qu’elles rejoignent la ligne de plus grande pente de son évolution. Si la croissance des dépenses de santé se poursuit même modérément, comme le laissent à penser toutes les études prospectives, le refus d’augmenter les prélèvements obligatoires pour la santé tout comme la fuite dans la dette sociale conduiraient inéluctablement à un repli de l’assurance-maladie et in fine à la prise en charge des soins courants par les seuls assureurs. Ces derniers ne seraient plus, dès lors, des assureurs « complémentaires » ; ils deviendraient très vite des financeurs à plusieurs vitesses grâce à des contrats diversifiés et des opérateurs grâce à un conventionnement sélectif des professionnels et des établissements de santé. Dans ce schéma, (immense majorité (le la population ne recevrait plus, pour les soins courants, de remboursement de l’assurance-maladie obligatoire, progressivement recentrée sur la prise en charge des pathologies les plus graves et clés patients les plus pauvres. Le consensus sur l’assurance-maladie ne manquerait pas alors de voler en éclats. Des clivages entre bien portants et malades, entre jeunes et vieux, entre célibataires et familles, attisés par les modes de tarification des assureurs selon le risque individuel des assurés, remettraient en cause le principe de la solidarité nationale. La course à la rentabilité financière achèverait de disloquer les services publics de santé. Les lobbies s’engouffreraient dans les brèches de la remise en cause des politiques de santé pour promouvoir des intérêts financiers contraires à la santé publique. La construction historique qui a largement contribué à l’exceptionnelle amélioration de l’état de santé de la population depuis 1945 ne serait plus qu’un souvenir, laissant place à un système mixte « franco-américain » gardant la Sécurité sociale pour les activités non rentables et confiant aux assureurs privés la gestion des soins rentables. Ces soins seraient réalisés par des prestataires au statut variable, lucratif ou non, ayant passé contrat avec les assureurs.
Au bout du compte, ce système contiendrait les dépenses publiques réservées pour l’essentiel aux « nécessiteux », mais il coûterait beaucoup plus cher aux individus et à la société au profit des assureurs privés et des industriels de la santé. La brutalité des chiffres en témoigne : plus de 11 % du PIB français sont consacrés à la santé contre plus de 16 % aux États-Unis où les résultats sont très inférieurs. Près de vingt millions d’Américains ne sont pas assurés, malgré la réforme du président Obama, et, dans certains États, Medicaid ne rembourse plus les greffes d’organe. Sous prétexte d’une plus grande équité, on aurait ainsi abandonné l’égalité face à la maladie et à la fin de vie, valeur commune de la République et de l’éthique médicale. En chemin, les médecins auraient perdu leur liberté de prescription et les patients le libre choix de leur médecin.
Une nouvelle politique de santé est nécessaire
Face à ce déclin, programmé, une nouvelle politique (le santé et de : l’assurance-maladie est une nécessité. Elle appelle un débat politique général. Ce débat doit d’abord porter sur les valeurs qui fondent une politique alternative. Il doit se concrétiser dans des propositions applicables durant la prochaine mandature. Notre système de santé, construit historiquement sur les valeurs de solidarité et d’égalité, doit reposer aujourd’hui sur six principes essentiels : la solidarité, l’égalité, la prévention, la qualité des soins, l’éthique médicale, la démocratie sanitaire.
1/ La solidarité. Il s’agit d’une double solidarité entre malades et bien portants, entre riches et pauvres. Les moyens financiers de cette solidarité ne sauraient varier en fonction des aléas de la conjoncture économique, ou pénaliser les entreprises de main-d’œuvre. Il faut donc revoir et élargir le financement de notre Sécurité sociale. Le reste à charge pour les patients’ doit être nul ou limité, et les franchises doivent être supprimées. Toutes les expériences ont montré qu’en matière de santé il n’est pas vrai que le paiement personnel permet de responsabiliser des patients, pour la simple raison qu’ils ne sont pas des consommateurs éclairés mais des personnes inquiètes pour leur santé ou celle de leurs proches. L’augmentation du reste à charge pour les patients a pour seul résultat de rationner l’accès aux soins des plus modestes et des plus fragiles sans maîtriser durablement les dépenses. Aujourd’hui, près de 15 % des Français renoncent à des soins pour des raisons financières, et ce taux dépasse 30 % pour ceux qui n’ont pas de mutuelle.
2/ L’égalité. L’égalité face aux soins et à la maladie suppose d’abord une égalité d’accès à des prestations identiques. La solidarité doit s’exprimer par la progressivité du financement en fonction des revenus des citoyens, mais le remboursement doit demeurer le même pour tous, fonction des besoins de santé. En effet, une solidarité pour les pauvres deviendrait rapidement une pauvre solidarité. L’égalité réelle nécessite aussi une égalité territoriale d’accès aux soins et une éducation pour la santé dès l’école, sachant que l’inégalité sociale et culturelle est le premier facteur d’inégalité de santé.
3/ La prévention. La prévention doit être au premier plan alors qu’actuellement nous n’y consacrons que 7 % des dépenses de santé. L’action doit porter sur :
• la prévention et le traitement des facteurs de risque de maladie comme l’hypertension artérielle, et le dépistage des cancers ;
• la réduction des comportements à risque, comme l’alcoolisme ou le tabagisme, reposant sur la participation directe des citoyens, en n’oubliant pas que les comportements dépendent aussi de l’environnement économique et socioculturel ;
• la prévention des risques collectifs alimentaires, environnementaux ou liés à des produits sanguins ou médicamenteux… La protection de l’environnement et la sécurité sanitaire doivent devenir un impératif incontournable de l’ensemble des activités humaines ;
• le développement de la promotion de la santé. Il s’agit de promouvoir des politiques favorables à la santé dans l’enfance (PMI, crèches, etc.), à l’école (nutrition, sexualité, contraception, activité physique, addictions…), au travail et au plus près des lieux de vie (associations, clubs sportifs, logement, qualité de l’environnement) et, plus généralement, dans tous les secteurs de la société. Il faut donc donner aux citoyens les moyens de s’informer des enjeux (le santé et de participer aux décisions.
4/ La qualité des soins. Elle repose sur la compétence des professionnels établie par une formation initiale et continue de haut niveau articulée avec une activité de recherche portant sur tous les domaines de la santé. Elle suppose l’accessibilité aux professionnels et aux plateaux techniques correspondant aux besoins des patients. Cela n’est possible que grâce à une large information de la population et à un guidage par les professionnels de premiers recours que sont d’abord et avant tout les médecins généralistes et les pharmaciens d’officine. La coordination des soins est un élément essentiel de la qualité des soins. Elle serait favorisée par le développement de centres et de maisons de santé facilitant la concertation entre professionnels. L’amélioration de la qualité doit être assurée par une évaluation comparative dont les résultats devraient être accessibles à tous. Si la qualité implique que le coût des traitements et des examens ne soit pas une limite, la solidarité n’a cependant pas pour fonction de rembourser les médicaments inutiles ou les actes et les prescriptions injustifiés. Pour des raisons économiques, et surtout éthiques. En effet, en matière de santé, ce qui est gaspillé par les uns fera défaut aux autres et peut même s’avérer dangereux pour les pseudo-bénéficiaires.
5/ L’éthique médicale. Les médecins doivent prodiguer leurs soins à toutes et à tous sans discrimination. Ils doivent guider les patients dans le système de soins en fonction de leurs besoins. Les patients doivent respecter les soignants comme ils entendent eux-mêmes être respectés et utiliser sans en abuser le bien collectif que représente notre système de santé. Le libre choix du médecin par le patient et la confidentialité du dossier médical doivent être strictement garantis. Le médecin doit pouvoir prescrire en fonction des seuls besoins de santé du patient, en respectant les règles de bonne pratique et en conformité avec les connaissances scientifiques du moment. Le médecin doit aussi respecter le principe du « juste soin au juste coût », c’est-à-dire prodiguer tous les soins nécessaires pour le patient au coût le plus bas pour la collectivité. L’application de ce principe, inscrit dans le code de déontologie médicale, devrait être au cœur des missions de la Haute Autorité de santé (FIAS). Le médecin doit donc être à l’abri de toute pression des forces économiques qu’il s’agisse (les financeurs, des gestionnaires ou des industriels de la santé. La visite médicale promotionnelle et la publicité médicale doivent être strictement limitées et contrôlées. La formation médicale continue doit avoir les moyens de son indispensable indépendance. Inscrite dans le serment d’Hippocrate, cette autonomie professionnelle est une garantie pour le patient. Elle n’est pas un pouvoir discrétionnaire du médecin ; elle suppose une déclaration (les éventuels liens d’intérêts et elle implique une évaluation des pratiques.
6/ La démocratie sanitaire. Au fil des ans le principe d’une démocratie sanitaire s’est imposé. La population est prête à participer aux débats et aux décisions sur les choix de santé, la place de la prévention, les modes de financement de la Sécurité sociale, le coût de la solidarité, la qualité des soins, les relations entre soignés et soignants, la dépendance, l’accompagnement de fin de vie… Il appartient aux citoyens de décider s’ils souhaitent que les dépenses de santé soient socialisées ou en partie privatisées en donnant un rôle croissant aux assurances privées. C’est à eux de décider collectivement de la part des richesses qu’ils souhaitent consacrer à la santé. Cette part n’est pas illimitée. Il importe donc de distinguer sur la base de choix collectifs clairs et informés ce qui relève de la solidarité de ce qui relève de choix personnels.
Le développement de la démocratie sanitaire a été marqué par la loi de 2002 sur les droits des malades garantissant le respect de l’autonomie des patients dans le cadre d’un authentique partenariat avec les soignants et par la reconnaissance du rôle des associations de patients. Pour assurer leurs missions, ces associations ont besoin à la fois d’accès à l’information à tous les niveaux du système de santé, ainsi que d’une participation à l’évaluation et d’un droit reconnu à la contre-expertise. Subventionnées par la collectivité, ces associations doivent en échange assurer leur indépendance vis-à-vis des différents lobbies de la santé.
Conforter et développer résolument les services publics de santé
Ces valeurs clés doivent se traduire concrètement dans une politique visant à renforcer les services publics de santé pour répondre aux besoins de la population, contre la logique actuelle de privatisation et de marchandisation.
Leur nature de service public tient aux missions que remplissent les services de santé et aux principes qui doivent les régir. Ces services ont vocation à garantir l’application du principe d’égalité pour toute personne qui doit bénéficier de prévention médicalisée ou de soins, quels que soient notamment sa condition sociale, l’état de sa santé ou le territoire de sa résidence. Ils ont aussi vocation à répondre aux besoins courants de santé individuels comme collectifs ainsi qu’aux situations d’urgence, de crise ou de catastrophe.
Le financement, pour l’essentiel par des prélèvements obligatoires, justifie des obligations particulières pour les acteurs et services- de santé ainsi rendus solvables. Quatre services publics cardinaux doivent constituer l’ossature du système de santé dans les domaines suivants :
• Le service public de l’assurance maladie. L’accès universel à l’assurance maladie est une composante du pacte social. Il doit être assuré par la réduction des dépenses laissées à la charge des malades, par la maîtrise collective des dépenses de santé et par l’accroissement des recettes.
• Le service public de la médecine de proximité est pour l’essentiel délégué aux professionnels libéraux dans le cadre de conventions conclues avec l’assurance-maladie. Le respect de la convention liant contractuellement les médecins libéraux et la Sécurité sociale est la condition pour l’intégration de la médecine libérale au service public de santé. Les centres de santé et les maisons médicales sont un élément important de ce service public.
• Le service public hospitalier repose sur les hôpitaux publics et les établissements privés à but non lucratif participant au service public. Les cliniques commerciales lorsqu’elles sélectionnent les pathologies et les patients et lorsque les médecins y pratiquent les dépassements d’honoraires ne font pas partie du service public.
• Le service public de sécurité sanitaire (police sanitaire, veille épidémiologique, vigilances sanitaires, etc.) et de prévention collective (médecine du travail, médecine scolaire, médecine de PMI, éducation et promotion de la santé, etc.). Les conditions de l’indépendance et de l’impartialité de l’exercice de ces missions doivent être garanties par la loi.
L’édification du système de santé et d’assurance maladie a permis à ces services publics de se développer progressivement, de 1945 aux années 2000. Pourtant ces édifices sont aujourd’hui gravement menacés et remis en cause. Sous des formes diverses, une entreprise de déconstruction des services publics de santé paraît engagée. Le refus de toute augmentation des prélèvements obligatoires, quel qu’en soit le motif, est la clé de cette entreprise de privatisation de la santé. La politique des « caisses vides », qui laisse se déconnecter toujours -plus dépenses et recettes publiques, permet de justifier les mesures impopulaires de privatisation du financement et de l’offre de soins, en les présentant comme inévitables.
Pour répondre aux défis de la santé publique des prochaines décennies, il faut au contraire conforter et développer résolument les services publics et donc :
• Améliorer le remboursement par la Sécurité sociale des soins courants (au-delà des 55 % actuels) à côté de la prise en charge dite à 100 % des affections de longue durée (ALD). Cette amélioration doit aller de pair avec un accroissement des recettes par l’élargissement de l’assiette des cotisations à l’ensemble des revenus, la suppression des niches sociales et, si nécessaire, une augmentation des prélèvements. Parallèlement, le panier de soins financés par la solidarité doit être revu sur la base du « juste soin au juste coût », c’est-à-dire en prenant en compte le rapport bénéfice médical/coût.
• Reconstruire le système conventionnel pour la médecine libérale sur la base de principes définis par le Parlement et garantissant notamment l’égalité d’accès à des soins aux tarifs de la Sécurité sociale, la permanence des soins et l’association des médecins conventionnés aux missions collectives dans le cadre d’un mandat de santé publique. Dans cette optique, il convient de développer la médecine de proximité de premier recours dans des centres de santé, des maisons médicales pluri professionnelles et multidisciplinaires ou des pôles de santé et de soins correspondant à des bassins de vie. Le paiement à l’acte exclusif doit être remplacé par un paiement mixte comportant des paiements forfaitaires pour la prise en charge des patients atteints de maladie chronique et pour la réalisation de missions de service public. La fin de l’exclusivité du paiement à l’acte doit permettre une revalorisation du métier de médecin traitant.
• Refonder le service public hospitalier en redéfinissant ses missions, ses moyens et ses perspectives dans un partenariat renouvelé et organisé entre les établissements publics et les établissements privés à but non lucratif et en revoyant la répartition des tâches entre l’hôpital et la ville à l’heure du développement de la médecine hospitalière ambulatoire. Le financement au tarif, le « tout T2A », doit laisser place à un financement mixte (T2A, dotation globale, prix de journée) adapté aux différentes activités médicales et non l’inverse.
• Instituer un véritable service public de sécurité sanitaire et de prévention collective intégrant notamment la santé scolaire, la PMI et la médecine du travail et ayant les moyens de recueillir les données de santé de la population indispensables pour conduire une politique de santé et en évaluer les résultats. De ce point de vue, les bases de données de la Sécurité sociale devraient être plus systématiquement utilisées, dans le strict respect du secret médical.
Ce manifeste pour un système de santé égalitaire et solidaire est versé au débat citoyen. Une autre politique de santé est possible et nécessaire.
Les signataires se prononcent pour un financement de l’augmentation des dépenses de santé médicalement justifiées (c’est-à-dire expliquées par les progrès médicaux et l’évolution des besoins) grâce à l’accroissement des recettes de l’assurance maladie solidaire (et non par un transfert aux assurances complémentaires et une augmentation du reste à charge). Cela suppose de réviser le « panier de soins » financé par la solidarité, en ne payant plus les fausses nouveautés et en ne remboursant plus les prescriptions inutiles.
Le 16 mai 2011
Initiative de : André Grimaldi, Didier Tabuteau, François Bourdillon, Frédéric Pierru et Olivier Lyon-Caen
Les 123 signataires
Anouk Aimée, comédienne - Christian Amatore, chimiste, membre de l’Institut de France (Académie des sciences), professeur a l’Ecole normale supérieure - Anne-Marie Armanteras de Saxce, directrice d’hôpital - Yvan Attal, comédien - Pierre Aucouturier, enseignant-chercheur - Olivier Beaud, professeur de droit constitutionnel - Jacques Belghiti, professeur de chirurgie hepatobiliopancréatique - Samuel Benchetrit, comédien - Constance Benque, présidente de sociéte - Patrick Berche, doyen de l’UFR médicale Paris-Descartes - Jean-Francois Bergmann, professeur de thérapeutique - Olivier Bernard, président de Médecins du monde - Enki Bilal, scénariste, dessinateur - Jane Birkin, comédienne - François Bourdillon, président d’honneur de la Société française de santé publique - Marie-Germaine Bousser, professeure de neurologie - Rony Brauman, directeur d’études à la Fondation Médecins sans frontières, professeur associé à Sciences-Po Paris - Michel Bronstein, chirurgien urologue - Marie-Line Cal, économiste de la santé - Yves Catonne, professeur de chirurgie orthopédique - Isabelle Caubarrere, professeurs de pneumologie - Olivier Chosidow, professeur de dermatologie - Hélène Cixous, écrivaine - Marie-Christine Colombo, pédiatre de PMI - Daniel Costantini, entraîneur de l’équipe de France masculine de handball - Christophe Dejours, professeur (Psychanalyse Santé Travail) au Conservatoire national des arts et métiers - Pierre Delion, professeur de psychiatrie - Mady Devantes, médecin généraliste - Michel Derbesse, gérant de société et président de l’Unisep (union de plusieurs associations de recherche et d’aide aux patients victimes de la sclérose en plaques) - Didier Dreyfus, professeur de réanimation - Jean-Pierre Dubois, professeur de droit public - Chantal Dufresne, présidente de l’association Francois Aupetit, Vaincre les MICI - Isabelle Durand-Zaleski, professeure de santé publique - Merceries Lira, présidente de société - Hector Falcoff, médecin généraliste, professeur de médecine générale - Dominique Farrugia, producteur - Didier Fassin, professeur de sciences sociales, Institute for Advanced Study de Princeton - Bruno Favier, président de l’association France Parkinson - Alain Fischer, professeur de pédiatrie - Irene Frachon, praticien hospitalier, pneumologue - René Frydman, professeur de gynécologie obstétrique - Charlotte Gainsbourg, comédienne - Jean-Luc Lapais, médecin généraliste - Brice Gayet, professeur de chirurgie digestive - Jerome Larcin, écrivain - Jean Garrabe, psychiatre - Alain Gaudric, professeur d’ophtalmologie - Anne Gervais, praticien hospitalier, hépatologue - Jean Godard, médecin généraliste - Bertrand Godeau, professeur de médecine interne - André Grimaldi, professeur de diabétologie - Jean-Marie Harribey, économiste - Serge Haroche, professeur de physique quantique au Collège de France - Francoise Héritier, anthropologue, professeurs au Collège de France - Stephane Hessel, ancien ambassadeur de France - Gisèle Hoarau, cadre paramédicale d’un pôle hospitalier - Jacques Hochmann, professeur de psychiatrie - Michel Husson, économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales - Denis Jeambar, écrivain - Pierre Joliot, professeur honoraire au Collège de France, membre de l’Institut - Jean-Pierre Fane, mathématicien, professeur d’université, membre de l’Académie des sciences - Yamina Kerrou, cadre paramédicale d’un pôle hospitalier - Jean Lafond, président de Vaincre la mucoviscidose - Thierry Lang, professeur de santé publique - Hélène Langevin-Joliot, directrice de recherche honoraire CNRS - Philippe Lazar, ancien directeur général de l’Inserm - Véronique Leblond, professeure d’hématologie - Evelyne Lenoble, praticien hospitalier, pédopsychiatre - Vincent Lindon, comédien - Pierre Lombrail, professeur de santé publique - Catherine Lubetzki, professeure de neurologie - Olivier Lyon-Caen, professeur de neurologie - Anne-Marie Magnier, médecin généraliste, professeure de médecine générale - Francois Martin, praticien hospitalier, pneumologue - Jérôme Martinez, secrétaire géneral de la Cimade - Pierre Mathiot, professeur de sciences politiques - Elisabeth Mauviard, médecin généraliste - Margaret Menegoz, productrice - Ariane Mnouchkine, metteurs en scène - Edgar Morin, sociologue - Aldo Naouri, pédiatre - Thomas Papo, professeur de médecine interne - Alexandre Pariente, praticien hospitalier, gastro-entérologue - Jean-Claude Pecker, membre de l’Institut, professeur honoraire au Collège de France (astrophysique théorique) - Richard Peduzzi, scénographe - Anne-Marie Philippe, comédienne, et écrivaine - Frédéric Pierre, chercheur CNRS sociologue - Jean Francois Pinel, praticien hospitalier, neurologue - Dominique Plihon, professeur d’économie - Gérard Raymond, président de l’Association française des diabétiques - Richard Rechtman, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales - Bruno Riou, professeur d’anesthésie réanimation et médecine d’urgences - Marianne Rivière, présidente nationale de l’Association française du lupus et autres maladies autoimmunes - Sonia Rykiel, créatrice - Christian Saout, président du Collectif interassociatif sur la sante (CISS) et président d’honneurd’AIDES - Jose-Alain Sahel, professeur d’ophtalmologie - Thomas Sannie, président de labCRSA Ile-de-France, Association française des hémophiles - Maris-Laure Sauty de Chaton, présidente de sociétés - Laurent Sedel, professeur de chirurgie orthopédique et traumatologique - Didier Sicard, professeur de médecine interne, ancien président du Comite consultatif national d’éthique - Nicole Smolski, praticien hospitalier, anesthésiste réanimateur - Alfred Spira, professeur de santé publique - Bruno Spire, president d’AIDES - Henri Sterdyniak, directeur à I’Observatoire français des conjonctures économiques(OFCE), professeur associé à l’Université Paris-Dauphine - Pierre Sasser, pédiatre de PMI - Didier Tabuteau, responsable de la chaire Santé de Sciences Po - Brigitte Taittinger, présidente de société - Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’homme - Laurence Tiennot-Herment, présidente de l’Association française contre les myopathies (AFM) - Serge Tisseron, psychiatre psychanalyste - Didier Torny, chercheur INRA, sociologue - Michel Tubiana, avocat, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme - Dominique Valla, professeur d’hépatologie - Bruno Varet, professeur d’hématologie - Bernard Vialettes, professeur de diabétologie - Marie-Paule Vazquez, professeure de chirurgie pédiatrique - Florence Veber, praticien hospitalier, pédiatre - Jean-Paul Vernant, professeur d’hématologie - Stephane Villar, président de l’Association française des polyarthritiques et des rhumatismes inflammatoires chroniques - Laurent Visier, professeur de sociologie - Régis Volle, président de la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux - Daniel Zagury, psychiatre - Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé, Ecole des hautes études en santé publique