La crise du NPA est décisive pour l’avenir de l’extrême-gauche révolutionnaire en France. Jusqu’ici une des caractéristiques françaises avait été le maintien, depuis les années 70, d’organisations d’extrême-gauche indépendantes et capables à des degrés divers d’une intervention indépendante sur les champs social et politique. Ce qui n’existe pas ou très peu dans bon nombre de pays européen : en Allemagne, en Italie, en Espagne… . La disparition du NPA marquerait la fin, certes non irrémédiable mais importante face aux enjeux de la conjoncture immédiate, d’une extrême-gauche vivante, non-dogmatique [1].
Dans la crise du NPA, il est malaisé de faire la part des caractéristiques de la période, des vices du projet constitutif et des erreurs de sa direction.
La situation s’est avérée effectivement difficile pour un parti en construction. D’abord les défaites sociales, face aux conséquences de la crise et à la réforme des retraites. On ne reviendra sur cet aspect largement débattu dans le parti. Ensuite les échéances électorales successives qui ont comporté un parti jeune à des choix tactiques compliqués.
Pour ce qui est des échéances électorales, c’est une des caractéristiques du système politique français avec une difficulté pour l’extrême-gauche accrue par les barrages de plus en plus strictes à la possibilité d’avoir des élus. Mais la faiblesse politique du parti et de sa direction large le rendait incapable de faire de la tactique, sans qu’une fraction ou une autre y voit un tournant stratégique, soit à dénoncer, soit à amplifier au point d’en faire une stratégie. Cela a désarmé le NPA face au Front de gauche en gestation [2] et a polarisé le parti entre « unitaires », dont des éléments successifs seront gagnés à un unitarisme de principe, et « sectaires », qui, en fait, ne le sont pas tous mais dont certains le sont vraiment beaucoup
Enfin, dernier élément de la situation, le fractionnement du mouvement de masse et du corps social s’est réfracté dans le parti. La richesse des expériences et des situations devrait irriguer la réflexion du parti et de sa direction, au lieu de cela elle a donné lieu à des fragmentations à travers la portée nationale de certaines situations locales (« affaire du foulard »), ou bien le comportement de commissions ou éléments de commissions qui tendent parfois à fonctionner comme le relais de fraction de mouvements dans le parti sans mutualisation et, si besoin est, décision de la direction.
Le projet constitutif se caractérisait par un certain triomphalisme (inégal selon les membres de la direction de l’ex-LCR mais réel). Entre le PS et nous, il n’y aurait rien ou presque, sauf un PCF sclérosé et peu attirant. Avec un oubli dans un pays à l’histoire sociale et politique du type de la France, le glissement à droite du PS était tel qu’il ouvrait un espace pour un nouveau réformisme. Ce fut l’intelligence de J-L Mélenchon de comprendre cette situation et de voir qu’après des années de bons et loyaux services comme « gauche » du PS, il y avait un créneau à l’extérieur pour ses objectifs personnels. De même qu’un Mitterrand, après avoir joué sa partition parmi les politiciens de la IV° République, avait compris, dès 1958, qu’il ne fallait pas suivre ses compagnons de ministère ralliés un temps à la V° République naissante.
Autre manifestation de triomphalisme, la croyance que pouvaient s’agréger pêle-mêle diverses traditions politiques, voire culturelles, quasiment placées sur un pied d’égalité du moins dans les discours publics. La radicalisation, le fait d’agir ensemble résoudraient les problèmes. Le pari était peut être gagnable dans une autre situation et encore… à condition de ne pas se refuser aux débats de fond, tant sur la religion que sur le fait que, si toutes les traditions du mouvement ouvrier avaient conduit à des échecs, certains avaient eu moins tort que d’autres. Et d’abord, les marxistes révolutionnaires « ouverts ».
Autre point, la sous-estimation de la difficulté de construction d’une organisation dans le contexte culturel actuel. Les jeunes même très radicalisés n’ont pas forcément spontanément envie de s’organiser, surtout dans la durée. L’expérience de divers syndicats Solidaires auraient du alerter les initiateurs du projet. Dans bon nombre de secteurs professionnels, il y a, semble-t-il, souvent un « gap » entre l’écho y compris électoral des syndicats membre de Solidaires et leur capacité à recruter et organiser dans la durée. Les questions d’organisation ont une autonomie relative et le NPA de la première heure a été fortement marquée par des travers anti-organisationnels dont on retrouve l’écho dans la lettre de renonciation à la présidentielle d’Olivier Besancenot. Il n’est pas vrai que, face au durcissement des pouvoirs dans les sociétés capitalistes, une organisation politique puisse fonctionner sur le modèle de la Commune de Paris. Même s’il convient de se préoccuper en permanence des risques de bureaucratisation.
Dernier point, les erreurs de direction. D’abord celles de la direction de l’ex-LCR dissolvant trop vite et dans le désordre cette organisation. Ensuite, les travers organisationnels ont continué de se renforcer sans que la direction avant tout P1 (celle-ci ayant aujourd’hui éclatée dans les remous du débat sur la préparation des présidentielles) ne s’en préoccupe pour l’essentiel, en tout cas de façon visible par les militants et les « cadres » locaux du parti. D’où, notamment une paupérisation de l’organisation qui avec, au début, bien plus d’adhérents que l’ex-LCR recueille bien moins de cotisations. Mais aussi des conditions de débat dégradées et appauvries.
Très vite est venu le temps de la fragmentation. Les deux tendances polaires couvrant leurs extrêmes. Les unitaires de la P3 du 1er congrès ne se démarquant pas de « Convergence et alternative » qui lorgnait déjà vers le Front de gauche et surtout passaient pour certains d’entre eux une partie essentielle de leur temps à dénigrer le NPA. A l’autre pôle du NPA, on trouvait des courants organisés issus du mouvement trotskyste pour qui le Front unique ouvrier semble se confondre avec le fait d’être au NPA pour y découper un « camp révolutionnaire ».
La renonciation d’ O. Besancenot au mauvais moment a ajouté la crise à la crise. La rupture était nécessaire avec les ambigüités d’une poursuite d’une discussion « programmatique » avec le Front de gauche alors qu’un accord sur les échéances électorales immédiates était jugé de l’avis de (presque) tous impossible. Mais cette rupture ne s’est pas déroulée dans de bonnes conditions et a encore accentué des clivages qui, aujourd’hui, mettent en péril la survie du parti [3].
Un tel bilan, outre son caractère discutable et sans doute incomplet, peut sembler semble inutile dans la mesure où il ne dessine pas de voies de sortie de la crise. Pourtant, le NPA a une place réelle dans la société plus, peut être que la LCR n’en avait de 1985 à 1995 où elle survivait largement par un réflexe de continuité à base idéologique. Cependant, il n’y a sans doute pas de voie royale. Et d’un bilan ne découlent pas forcément directement des solutions. Marx a écrit que l’humanité ne se pose que les problèmes qu’elle peut résoudre. On se permettra de transposer abusivement cette phrase au cas du NPA. Il y a des questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre aujourd’hui. En particulier, certaines questions stratégiques.
Les éléments apportés par le débat Phénix sont utiles pour la réflexion de ceux qui s’en emparent mais malheureusement aujourd’hui ils ne traversent pas le parti. De plus, nous avons aussi besoin d’axes plus immédiats pour gérer le quotidien de la fin 2011 et du premier semestre 2012. Pour l’auteur de ce texte quatre nécessités s’imposent :
– Faire la campagne présidentielle avec Ph. Poutou, quoique l’on pense des conditions de désignation du candidat, car l’expérience de la LCR, après et avant 2002 montre que l’on a besoin d’une présence sur à ce niveau du champ politique. Echouer à récolter les 500 signatures précipiterait un approfondissement de la crise dont aucune tendance de l’actuel NPA ne sortirait indemne (et sans doute en premier lieu, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’aile « unitaire », qui risque de se fragmenter très vite sur ses rapports au FdG). Réussir nous mettrait en meilleure position pour peser sur l’après-élections ;
– Ancrer la campagne présidentielle, non dans un anticapitalisme abstrait et répétitif, mais dans la réalité de la crise économique qui entraine une évolution vers la droite des sociales-démocraties européennes dont a plutôt des précédents en temps de guerre. Nous avons désormais l’Union sacrée pour le « Triple A ». La campagne doit servir à construire un camp du refus de l’austérité si la gauche revenait au pouvoir avec une combinaison PS/EELV/ tout ou partie du FdG. Nous disons dès aujourd’hui : « nous ne serons pas de la bataille pour le « Triple A » et il faudra résister ». Comme l’a affirmé la conférence contre l’austérité de Londres « No cuts » pour payer la dette ;
– Participer au maximum d’initiatives unitaires, notamment sur la question de la dette, sans oublier que, si l’unité ne se fait pas, ce n’est pas forcément la faute du NPA ;
– Ouvrir le chantier des statuts et du fonctionnement du parti.
Ensuite, à supposer que nous puissions accomplir l’essentiel de ces quatre points, beaucoup de choses dépendront du résultat des présidentielles et des réactions des salariés après celles-ci :
– Si Sarkozy gagnait la présidentielle, nous serons dans un cadre de Front unique classique ;
– Si la victoire de Hollande est suivi par un « état de grâce » de type 81 ; certes, nous nous efforcerons de contribuer aux quelques résistances éparses mais nous aurons amplement le temps de préparer un congrès et de nous emparer des apports des contributions de Phénix ;
– Si, les salariés considéraient que le succès de la gauche signifiait, avec une amplitude plus ou moins grande, une opportunité pour entrer en mouvement, à l’instar (touts choses égales par ailleurs) de juin 36, alors la mayonnaise NPA pourrait prendre. Ce qui créerait de meilleures conditions pour les débats du congrès, tant tactiques que stratégiques.
Si le NPA se fragmentait irrémédiablement avant ou après la séquence électorale, par suite des circonstances et du manque de responsabilité de ses fractions et sous-fraction [4], alors l’extrême-gauche non-dogmatique pourrait bien disparaitre pour un temps du paysage politique français. Ce qui aurait bien sur des conséquences sur des segments du mouvement social, bien au-delà d’elle-même. La catastrophe est peut être imminente et les moyens de la conjurer ténus, mais il vaut la peine d’essayer…
Henri Wilno