L’Egypte est un pays sous ajustement structurel. Quel est le résultat de cette politique sur la population ?
La politique d’ajustement structurel imposée par les institutions financières internationales et parnos dirigeants a de grandes répercussions sur le peuple égyptien et notamment les pauvres. Le type de développement qu’elle implique se fait en faveur des riches et accroît le fossé entre riches et pauvres. L’ajustement structurel a échoué en Egypte où on estime que seulement 2% de la population en profite.
Comment cela se traduit-il dans l’agriculture par exemple ?
D’abord en orientant la production agricole vers l’exportation : nous ne produisons plus ce dont les gens ont besoin pour leur alimentation, pas même le blé, et à la place nous produisons des aliments pour bétail que nous exportons vers les États-Unis d’Amérique et l’Europe notamment. Nous devons importer notre alimentation quotidienne. Les Egyptiens doivent importer des produits souvent beaucoup plus chers que ceux qu’ils pourraient produire et qui ne correspondent pas forcément à leurs coutumes alimentaires. Le gouvernement et les IFI ont choisi, pour nous, de nourrir les vaches américaines qui produisent une viande que nous ne mangeons pas.
Est-ce que cette nouvelle organisation de la production a entraîné des changements importants dans la structure paysanne ?
Les petits agriculteurs quittent leurs terres. Ils en vivaient autrefois, même si c’était difficile sur les très petites parcelles. Ils écoulaient leur production localement. Les désordres provoqués par la politique du tout exportation ont réduit leurs revenus et les obligent à quitter leur terre. Ils vendent ces terres bien en dessous de leur valeur à des grands propriétaires puis vont gonfler les quartiers pauvres des villes. Les nouveaux propriétaires produisent pour l’exportation et la misère s’aggrave. Tout ceci est inacceptable.
Ces changements dans l’alimentation et dans les conditions de vie quotidienne ont certainement des conséquences sur la santé des Egyptiens, quelles sont-elles ?
Il y a en Egypte de plus en plus de personnes qui souffrent de malnutrition et en particulier de sous-alimentation, dans les villes comme dans les campagnes. Ces problèmes de santé touchent notamment les jeunes qui, parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi, n’ont ni les moyens de se nourrir correctement ni ceux de se soigner lorsqu’ils sont malades. Pneumonies et gastro-entérites sont de véritables fléaux chez les jeunes. La pollution amplifie le phénomène : le pays a accepté et accepte encore sur son territoire des industries polluantes que les pays du Nord refusent, cela a des conséquences dramatiques sur la santé de la population, les maladies dermatologiques et respiratoires sont de plus en plus nombreuses et virulentes.
Quels changements préconisez-vous ?
Il faut d’abord que les gouvernants et les riches - qui sont les mêmes personnes - arrêtent d’être les pantins de politiques qui se décident ailleurs. Certes l’Egypte n’est pas seule sur la terre et nous devons prendre en compte les conditions globales de production et de coopération dans le monde. Mais l’Egypte doit le faire sans abandonner ni rejeter les besoins et les possibilités locales. Global et local, nous utilisons un nouveau terme pour cela : glocal. En ce qui concerne la production agricole, nous devons en premier lieu produire ce dont les Egyptiens ont besoin. Le pays a la capacité de produire ce qui lui est nécessaire et ce qui lui convient. Nous devons aussi nous intéresser aux besoins des pays voisins et faire en sorte que nos productions, agricoles et industrielles, soient orientées vers les marchés régionaux, nous ne devons pas produire uniquement en fonction des besoins américains.
Les orientations économiques prises par le gouvernement de votre pays ont certainement aussi des racines dans la configuration géopolitique de la région. Je pense précisément au conflit palestino-israélien.
Bien entendu. Le gouvernement Moubarak (et avant lui celui de Sadate) sert les intérêts américains dans la région. Tous les projets économiques de l’Egypte sont orientés dans ce sens et l’opposition économique, politique et religieuse est muselées. Le peuple égyptien sait ce qui se passe et s’organise malgré la chape de plomb dont on le recouvre, notamment l’opposition islamique. Beaucoup d’opposants sont en prison. L’opposition « légale » - « tolérée » -, est faible et inopérante.
Et les femmes égyptiennes dans tout cela ?
Elles sont entre le marteau et l’enclume. Mais nous résistons. En 1991, pendant la guerre du Golfe, l’association Arab Women Solidarity (Solidarité des Femmes Arabes) dont je suis la présidente a été interdite. Depuis nous vivons dans la semi-clandestinité et nous continuons à travailler et à nous faire entendre.