La Gauche anticapitaliste (GA) va engager en vue de sa réunion du 12 février un débat dont les conséquences peuvent être profondes. D’autres devront faire leur examen de conscience et les délais se rapprochent aussi pour eux. Or, comme l’a dit Althusser dans une formule frappante, « l’avenir dure longtemps » et des choix apparemment liés à la conjoncture auront désormais des conséquences plus que durables. Rien là d’étonnant vu l’état du NPA après la défection d’Olivier, puis la catastrophique CN de juin. Etant données aussi les difficultés plus générales de la gauche radicale un peu partout en Europe, et la France n’y échappe pas. Il s’agit donc d’aborder sur le fond à la fois des discussions sur la période/conjoncture, sur le bilan du projet du NPA, sur son évolution récente, sur celle de sa direction et de la campagne Poutou, et surtout entamer au fond et sans faux fuyants la discussion concernant la manière de poursuivre le combat anticapitaliste (et alors sur le moyen comme sur le court terme).
Il convient bien sûr que ces discussions ne soient pas obérées par des considérants purement tactiques (dont, une fois de plus, de tactique électorale). Mais qu’elles abordent de front des choix qui engagent d’une manière décisive l’avenir de notre courant et des combats qu’il porte. C’est donc la matière d’un débat de congrès.
1. La campagne de Philippe Poutou (PP) souffre dès le départ de handicaps majeurs. Certes la liaison trop étroite faite à tort entre la proposition de Myriam Martin et une position particulière a brouillé les conditions du débat. Mais ensuite il y eut le rejet antiféministe de nos deux porte-parole (dont l’une pourtant participait de la courte majorité de la CN – conférence nationale) ; le choix d’un camarade incontestablement mal préparé ; l’argumentation ouvriériste qui l’a sous tendu (une nouveauté absolue), et dont il n’est d’ailleurs pas responsable ; le passage aux forceps pour l’imposer avec une majorité limite de 53%. On disait alors vouloir éviter une primaire dans le parti. On a en fait seulement remis le choix aux mains d’un comité bureaucratique de moins de dix personnes travaillant dans l’urgence et l’opacité. Et dans l’ombre, puisque la majorité des AG ont élus leurs délégué-e-s à la CN sans même que le nom de PP soit sur la table. Que dans ces conditions il se soit trouvé une majorité pour entériner ce coup de force le doigt sur la couture du pantalon en dit long sur la dégradation de nos mœurs. Coup de force que de plus, on ne peut séparer du basculement politique réalisé lors de la CN avec une nouvelle majorité dominée par les secteurs archéo-gauchistes, laquelle s’est octroyée comme condition de constitution le droit d’annuler le seul vote majoritaire d’un congrès qui s’était déroulé quelques mois auparavant à peine (sur le texte : « Nos réponses à la crise »).
2. Les craintes exprimées à l’issue de la CN de juin se sont malheureusement confirmées et amplifiées. Le choix initial était de donner à l’image du « candidat ouvrier » la racine principale justifiant notre présence. Ce choix s’est accentué et figé, malgré les tentatives de rectification. Il donne une certaine sympathie à la candidature mais l’enferme très loin des nécessités de l’heure alors que la peur de la crise progresse. Outre que l’on prend le risque évident de donner une image profondément réductrice du prolétariat en général, elle conduit de plus à être incapable de dire quelque chose, même symboliquement, aux quartiers populaires, totalement absents de notre campagne médiatique. Cette dernière, très probablement malgré la volonté de PP (mais c’est moins sûr de certains de ceux qui l’entourent), n’apparaît essentiellement que comme la combinaison d’une sélection de revendications syndicales de salarié-e-s (plus la revendication de la sortie du nucléaire) et d’une dénonciation propagandiste et abstraite du système. Tous les intermédiaires, tous les combats purement politiques sont minimisés quand ils ne sont pas absents (comme par exemple l’indispensable agitation sur un nécessaire gouvernement au service de travailleurs et les mesures qu’il aurait à prendre). Jusqu’à défendre comme perspective l’auto-dissolution de la candidature, remplacée par… des soviets comme en 1917 (par exemple dans Médiapart). Indépendamment de la faible affluence à nos meetings, de la faiblesse dans les sondages et même indépendamment du score si nous parvenons à obtenir les parrainages, tout ceci est évidemment plus que problématique. Une campagne sans impact politique parce que sans fonction politique substantielle.
3. Ceci ne représente jamais qu’une mauvaise campagne et un échec politique déjà probable. C’est déjà arrivé dans le passé, et l’expérience montre qu’on peut s’en remettre. Mais ils vont de pair avec le renforcement constant des thèmes, des lignes, des préoccupations, des équilibres imposés par les secteurs archéo-gauchistes du parti. Ceci malgré les batailles méritoires de camarades de la Plate-forme A (PA) de la CN qui ne se sont pas ralliés à ces évolutions de fond. Certes leurs batailles sont souvent justes (en particulier elles ont évité pour l’instant les glissements gauchistes quant au refus de la nécessité de s’inscrire dans la bataille pour virer Sarko, comme la tentation répétée de s’exclure définitivement des combats unitaires en cours sur la question de la dette ou le refus de se prononcer contre les délocalisations). Mais elles sont incapables de bloquer réellement une évolution néfaste suite aux rapports de force exprimés à la CN, au choix à cette époque de laisser faire suite à ces votes, plus enfin les bases sur lesquelles la candidature PP a été lancée.
3. Tout ceci ne peut être traité comme une parenthèse qui pourrait se refermer au prochain congrès. Se sont désormais révélées et accentuées des interprétations irréconciliables des principes fondateurs du NPA. Mais il y a plus. Même si, comme c’est notre cas, on considérerait qu’il n’y a pas une ligne à enlever à ces principes, on ne peut pas faire comme si le projet lui-même n’était pas en crise, jusqu’à donner, momentanément au moins, la main à des secteurs dont la tradition est parmi la pire de celle des groupes d’extrême gauche du siècle dernier. Si on en est arrivé là, c’est qu’au lieu de continuer à s’ouvrir comme les débuts prometteurs du NPA le laissaient espérer, le parti est allé en rétrécissant l’espace qu’il avait en vue de regrouper. Or on rencontre là un problème dont la portée s’est drastiquement accentuée depuis, avec l’explosion de la crise européenne et avec les révolutions arabes. Il y a à cela des raisons de fond qu’on ne peut développer ici (se reporter aux textes de débat sur le site Phénix). Il faut tenir compte à la fois de la crise historique des perspectives éco-socialistes liée entre autres aux conditions de la chute du stalinisme, de celle du mouvement ouvrier, de celle des partis progressistes et révolutionnaires traditionnels ; du surgissement de mouvements nouveaux avec lesquels le lien à construire est décisif et enfin de l’impact majeur (et loin d’être unilatéral) de la crise systémique ouverte en 2008. La première des conséquences est que l’objectif (s’il l‘avait jamais été), ne peut plus en aucun cas être pour nous de construire des organisations singeant l’extrême gauche du milieu du siècle dernier, parfois dans une version caricaturale. Il faut impérativement confirmer la base du projet initial du NPA visant à constituer des regroupements anticapitalistes larges (dans la plupart des pays arabes par exemple c’est la seule issue, regroupements qui pourraient être liés à ce qui se développe au sein du mouvement ouvrier, comme le propose notre camarade Gilbert Achkar). C’est pourquoi il ne s’agit pas seulement d’une parenthèse qu’il faudrait refermer en reprenant le projet NPA là où il a dévié (et pourtant il s’est incontestablement retourné à 180° lors de la CN de juin). Il faut le reprendre certes, mais en tirer un bilan et élargir d’urgence l’ampleur de la perspective.
4. La compréhension des causes de l’impasse de la gauche révolutionnaire qui se manifeste dans toute l’Europe (et ceci d’une manière à peu près indépendante des stratégies respectivement choisies), mettra du temps. Comme il faut du temps et de nouvelles expériences pour redéfinir formes et contenus d’une option de rupture radicale révolutionnaire. Cependant il nous faut imaginer tout de même une issue de court et de moyen terme à discuter dans un congrès rapproché. Compte tenu de la violence des attaques de la bourgeoisie d’un côté, de l’anémie pour l’instant des ripostes populaires, il faut viser des regroupements (sans doute sous forme de fronts, d’alliances durables) autour des tâches principales des prochaines années.
– Le premier point central est le rejet sans concessions des politiques de gestion de la crise au profit du capital, qu’elles viennent de la droite, mais aussi bien entendu de la gauche social-libérale. Un des éléments où le NPA (et la LCR auparavant) a eu entièrement raison est la mise en évidence de la mutation historique de la social-démocratie, de la compréhension de ce qu’elle implique (« les deux gauches ») et de la nécessité absolue de faire de la démarcation gouvernementale et parlementaire avec elle une frontière constitutive pour un regroupement de la gauche radicale. Si on sait que les illusions sont increvables et que même pour Hollande un minimum d’entre elles peuvent revenir, les politiques « de gauche » grecques, portugaises, espagnoles comme les votes émis au parlement européen ne laissent plus l’ombre d’un doute.
– Le second point est la question démocratique, destinée à devenir centrale en Europe en particulier, à la fois en ce qui concerne les institutions mais aussi le mode de fonctionnement interne des formations politiques (crise de la forme parti), des fronts ou des alliances, comme enfin en ce qui concerne le fait de se fonder en priorité sur la propagation de l’auto-activité. La question démocratique sous ses différents aspects est un des éléments majeurs posé d’ailleurs par les mouvements « Indignés ».
– Un troisième élément, plus profond peut-être sur le moyen terme, est la centralité de la question écologique.
Au delà donc d’indispensables blocs socio-politiques anticrise et à l’intérieur de ceux-ci, nous devons nous engager dès maintenant, sans aucune réticence, pour des alliances politiques si ces trois conditions sont réunies : indépendance vis à vis du PS, nouvelles formes démocratiques (lesquelles excluent tout glissement chauvin), éco-socialisme. Pas moins. Et pas plus. Il serait bienvenu que le NPA y prenne toute sa place. Comme d’ailleurs que celles et ceux qui se réclament de ce que naguère on appelait « le marxisme révolutionnaire » trouvent les moyens de renouer les fils cassés et de consolider ensemble une armature pour cette politique.
Par ailleurs, aucune limite une fois ce cadre déterminé. Si le Front de Gauche (FG) en tout ou en partie est, au moins momentanément, sur ces bases après le 6 mai, nous devrons faire ensemble. Les contradictions dues aux liens maintenus avec le PS dans d’autres cadres institutionnels seront alors dans leur camp. Et nous devons avancer tout de suite avec les forces (petites pour l’instant) qui, sans attendre le 6 mai, peuvent à l’évidence partager ce projet puisqu’elles ont annoncé la même couleur. Indépendamment du candidat soutenu le 22 avril, pourquoi ne pas entamer ce regroupement sur un plan électoral déjà pour les élections de juin ? Mais bien plus qu’électoral : pourquoi ne pas discuter de la perspective politique, l’engager par des rencontres communes et, si possible, par une proclamation en bonne et due forme ? Peut-être sera-ce trop tôt, pour des forces comme les alter, les décroissants, telle ou telle partie de la Fase voire du PG. Mais un, nous verrons bien. Deux, de toutes manières, c’est cela préparer un avenir qui va débuter dès le mois de mai.
5. Indépendamment du score que fera Mélenchon (inutile d’ergoter, c’est de toutes manières difficile à prévoir, comme d’ailleurs l’ensemble du résultat de premier tour), le FG a déjà réussi à occuper, seul, l’espace de la contestation à gauche du PS. Compte tenu de la faiblesse de l’attractivité de LO, il s’en déduit que la sphère militante qui peut être concernée par nos propres projets est dans l’immédiat fortement polarisée par ce regroupement.
Au delà des déclarations, le programme du FG n’est pas anticapitaliste au sens strict. Antilibéral radical serait plus adapté. Mais cela ne change rien aux sentiments profonds d’une large part de ceux qui y adhèrent le temps de la campagne. Certes cela n’épuise nullement tout l’espace de la radicalité, en particulier celle qui demeure (et demeurera selon toute probabilité) loin d’une représentation politique à cette élection en l’absence du seul candidat qui aurait pu y correspondre, soit Besancenot. Mais ceci crée ou renforce une situation où toute rupture exagérée avec les foules qui se pressent aux meetings du FG freine voire empêche l’orientation décrite ci-dessus de se développer.
L’affaire n’est pas pliée pour autant, puisque la « question des questions » qui est celle des rapports au PS n’est toujours pas réglée. Mélenchon, c’est maintenant probable, n’ira pas au gouvernement. Sera t-il d’une majorité (extérieure) avec le PS, on ne sait pas. Même question pour le PG. Les sommets du PC, eux, hésitent toujours. Il n’y a qu’à écouter ce que le maigre pas à gauche de Hollande a provoqué comme réactions (du type, « c’est bien, peut mieux faire ») pour comprendre que rien n’est joué dans une direction ou dans l’autre. En fait le sens pris par le vote FG ne peut pas être jugé seulement par lui-même au soir du 22 avril (où sans autre discussion, la hauteur maximale du score FG serait uniment positif). Pas jugé le 22 avril donc, mais seulement après si Hollande l’emporte.
Si ce score sert seulement à renforcer la main pour une alliance avec le PS où est le gain ? « Score à deux chiffres » ? Mais c’est ce que Marchais a obtenu en 81 (plus de 15%), après une campagne auprès de laquelle celle de Mélenchon apparaîtrait comme gentillette. Et des salles archi pleines (même le Stade Vélodrome fut rempli à faire pâlir l’Olympique de Marseille …). La direction du PCF disait que le Parti communiste avait réalisé là sa plus importante campagne…juste avant de s’effondrer.
C’est à la tombée de la nuit que la chouette de la connaissance prend son envol, et pour nous ce sera après le 6 mai. Alors faudrait-il peser « de l’intérieur » contre une possible évolution négative après une bonne campagne ? On ne voit pas en quoi les camarades qui s’y essayent à l’heure actuelle voire depuis des années y parviennent en quoi que ce soit. C’est de l’extérieur que ceci devait être menée, si on en avait eu les moyens, c’est-à-dire avec une candidature Besancenot, ou même celle de Myriam ou Christine et la ligne qui allait avec. Nous n’avons ni les moyens de l’un ni celles des autres. Triste bilan sans doute, mais c’est ainsi. Seul maintenant le choix du FG (ou de ses parties) après le 6 mai précisera ou changera la donne.
6. En tout état de cause la politique est toujours d’abord une question de rapports de force. Il sera difficile de toutes manières d’avancer vers des regroupements tels que décrits ci-dessus si se maintient l’atonie du mouvement social. D’autant qu’il n’est pas impossible que les rapports dans ce cadre puissent comprendre ceux avec le PCF. Et que (c’est encore un autre débat clé) ce parti ne peut pas être traité seulement par sa ligne à tel ou tel moment (comme on le ferait pour le PG, LO voire le NPA). Mais que c’est un conglomérat dans lequel les questions d’appareil (et de la survie de l’appareil) sont devenues décisives.
Mais une chose est certaine : tout sera encore plus difficile sans une colonne vertébrale solide, raisonnablement sûre d’elle et de sa liberté de choix, actuels mais aussi futurs, comme aussi de ses points d’attache historiques. Pour l’essentiel les forces qui pourraient sans s‘y perdre donner un socle pour cette politique d’alliance à la fois large et délimitée sur les points clés cités, ces forces existent principalement au sein du NPA. Elles ne sont pas les seules, loin de là. Mais sans elles, il n’y a à prévoir qu’émiettement ou/et impuissance. De plus, c’est une question élémentaire de comportement : ce que nous pensons juste à avancer, il faut le proposer aux camarades avec qui nous militons depuis des années. Sans aucun pronostic sur le résultat (mais d’où vient cette maladie manifestement incurable de tout décider sur la base de pronostics et non de projets ?).
Résumons :
– Il faudra que le parti se prononce sur des choix aux conséquences profondes, et pourtant sans attendre de trop, donc au cours d’un congrès extraordinaire le plus vite possible après la fin de la séquence électorale.
– Il faut d’abord et rapidement une réorientation politique totale avec pour objectif de constituer un front, un bloc, une alliance, une coalition (peu importe la dénomination) contre la politique d’austérité et de gestion néo-libérale de la crise. C’est vrai en général et encore bien plus vrai si le PS gagne la présidentielle, comme cela semble désormais possible.
– Il faut ensuite, dans ce cadre et en même temps, viser à refonder, reconstruire, réincarner, donner vie à une organisation anticapitaliste et écosocialiste « large » mais clairement délimitée par son indépendance vis-à-vis du PS et de la majorité parlementaire qui lui servira de béquille, le cas échéant. En lien avec les nouvelles formes de radicalisation et en veillant au premier chef à son fonctionnement démocratique.
– Il faut enfin, dans ce contexte, regrouper ceux qui partagent ce projet global avec un ancrage marxiste révolutionnaire, pour être une force d’impulsion qui lutte pour en donner sa cohérence révolutionnaire.
Charles Aubin et Samy Johsua