Hier penauds et déconfits, les colonialistes ont le sentiment qu’ils peuvent, désormais, donner de la voix et plus si possible. Ces jours-ci, le ministre de la Défense français, Gérard Longuet, venu à Perpignan inaugurer un centre dédié à la présence des Français en Algérie de 1830 à 1962, a délivré un message du président Nicolas Sarkozy, à plusieurs centaines d’Ultras de « l’Algérie française » réunis en congrès. Le message : « Les hommes et les femmes qui sont partis s’installer en Afrique du Nord (...) en développant l’économie de ces nouveaux territoires… ont œuvré à la grandeur de la France ». Il a quand même été hué. Sans en avoir pleinement conscience, leur maire, Jean-Marc Pujol, tout droitier qu’il est et tout pied-noir qu’il fut, a eu alors une phrase merveilleuse : « Le temps des historiens est venu avec la valorisation des fonds documentaires ». Des fonds dans lesquels on peut trouver tout ce qu’il faut pour parler de cette « œuvre » qui a fait la grandeur de la France.
Invoquant les Algériens, le général Jean Joseph Gustave Cler, originaire de cette même ville de Perpignan, disait : « La force ne les subjuguera jamais. Semblables aux Suisses, ennemis de Charles le Téméraire, ils ont leurs montagnes et leur pauvreté pour se défendre ». C’était vers 1850. Il savait de quoi il parlait. Il a aussi averti ses chefs : « En égorgeant sur de simples soupçons des populations entières, nous sommes nos plus cruels ennemis en Afrique ». Avant lui, le général Pierre Berthezène s’inquiétait sérieusement : « Ce système de violence et de cruauté qui nous a fait perdre Saint-Domingue, on veut l’importer en Algérie. Je ne comprends pas l’aveuglement des colons qui applaudissent sans penser à ce qui va en résulter ».
Moins scrupuleux sur l’image qu’il pouvait donner de lui et de son pays, le maréchal Clauzel y va carrément de ses désirs : « Les avantages de l’Algérie seraient immenses si, comme en Amérique, les races indigènes avaient disparu, et si nous pouvions jouir de notre conquête en sécurité, condition première de toute colonisation. Ce but atteint, il serait bon de voir ce que font les Anglais de leurs colonies... Colonisons, colonisons ! A nous la Mitidja ! A nous la plaine ! toutes ces terres sont de première qualité. A nous seuls ! Car pas de fusion possible avec les Arabes ».
L’« œuvre » était en marche avec ses « bienfaits ». Comme nous le raconte le général Camou : « Tous les villages des Benni-Immel ont été pillés et brûlés. On quittait des villages en feu par des sentiers semés de cadavres. Plus de trois cents villages avec leurs mosquées, écoles et zaouias ont été détruits ». Ou encore Bugeaud : « Plus de cinquante beaux villages, tout en pierre, ont été pillés et détruits ». Et ce ne sont que quelques épisodes de l’interminable tragédie qui a frappé le peuple algérien.
Le résultat fut terrible, le maire de Perpignan les trouvera lui aussi dans les « fonds documentaires ». En 1844, le général de Bellonnet, spécialiste des questions algériennes et rapporteur du budget de l’Algérie, rapporte que la population devait être estimée à environ « sept millions d’âmes ». Des sources crédibles insistent sur le chiffre de 10 millions en 1830. A ce sujet, on peut constater la dépopulation en se référant aux évaluations démographiques de quelques grandes villes. Alger, qui comptait plus de 100 000 habitants tombait à 12 000 en 1833, Constantine de 45 000 à 12 000, Bône de 4 000 à 2 000, Oran de 20 000 à 2 000, Mostaganem de 15 000 à 1 000.
Ce n’est qu’après 1962 que l’Algérie retrouvera sa démographie d’avant la conquête française. Difficile de dire le contraire des « fonds documentaires » à moins de trouver une recette pour les « modérer ».
Ahmed Halfaoui