MEXICO CORRESPONDANCE - Les agriculteurs mexicains ont remporté une première victoire contre la sécheresse historique qui frappe la moitié du Mexique. Mardi 24 janvier, le président Felipe Calderon a annoncé un plan d’urgence de 33,8 milliards de pesos (1,9 milliard d’euros) pour affronter les pénuries d’eau dans 19 des 32 Etats du pays.
« Ce succès ne suffira pas devant l’ampleur des dégâts », met cependant en garde Abraham Montes, dirigeant de la Confédération mexicaine paysanne (CNC), membre de la Caravane de la faim qui a parcouru, du 16 au 22 janvier, plus de 2 000 km en direction de Mexico pour dénoncer le manque d’aides publiques.
« Nous sommes les »indignés« des campagnes ! », a martelé M. Montes aux côtés de centaines de paysans du nord et du centre du Mexique, qui ont traversé les Etats les plus affectés. A Mexico, les 10 tracteurs et 40 chevaux de la caravane ont bloqué durant trois jours une avenue du centre-ville pour alerter les autorités sur l’urgence de la crise, provoquée par la plus forte sécheresse depuis soixante et onze ans, encore renforcée par le déficit hydrique lié au gel hivernal de 2011.
Conséquence : 2 millions d’hectares de cultures ont été dévastés et 450 000 têtes de bétail sont mortes dans 1 200 municipalités du pays, selon le ministère de l’agriculture.« Depuis un an et demi, le manque de pluie nous empêche d’arroser les cultures, de nourrir les bêtes et de produire des graines pour semer la saison prochaine, raconte Roque Solis, éleveur de bovins dans l’Etat de Chihuahua (nord). J’ai déjà perdu 30 de mes 200 vaches. Les autres mourront aussi si l’aide publique n’arrive pas d’ici le mois de mai. »
Chihuahua est l’une des régions les plus affectées par la baisse des précipitations, évaluée entre 40 % et 50 % par rapport au niveau pluvial habituel. Même paysage de désolation dans les Etats de Coahuila (nord-ouest), Durango (nord-ouest), Zacatecas (nord) et San Luis Potosi (nord-est), où des carcasses de boeufs gisent sur des sols craquelés. Pis, certaines municipalités n’ont plus d’eau potable. « Les conséquences risquent d’être dramatiques puisque trois de ces cinq Etats produisent 80 % des haricots mexicains, à la base de l’alimentation des populations rurales pauvres. Une part importante de cette production est autoconsommée », s’alarme Alfonso Ramirez Cuellar, dirigeant de l’organisation paysanne El Barzon.
Les 220 000 Indiens Tarahumara sont les plus menacés par la famine. Ils vivent isolés dans les montagnes et canyons arides de l’Etat de Chihuahua. Leur vulnérabilité a ému les Mexicains, après que, mi-janvier, le leader paysan Ramon Gardea a annoncé par Internet les suicides d’une cinquantaine d’Indiens, incapables de nourrir leurs enfants. « Cette rumeur est fausse, mais la crise, elle, est bien réelle, avertit Tomas Ruiz, représentant du Conseil suprême des Tarahumara à bord de la Caravane de la faim. En janvier, six Indiens sont morts de faim, après 28 décès similaires en 2011. »
Face à l’urgence, les Mexicains se mobilisent pour collecter des vivres dans tout le pays. Le gouvernement a aussi déclenché, en collaboration avec la Croix-Rouge, un plan d’aide qui distribue, depuis le 17 janvier, des milliers de colis humanitaires. « Personne ne mourra du manque d’eau ou de nourriture », s’est engagé, mardi, le président Felipe Calderon, en annonçant son programme contre la sécheresse de près 2 milliards d’euros.
Ce dernier prévoit notamment l’envoi de 40 000 camions-citernes, le forage de puits et la constitution de réserves de maïs et de haricots. « Un investissement sans précédent », a souligné M. Calderon, qui a affirmé que cette sécheresse « était l’une des expressions les plus dramatiques du changement climatique ».
Un avis que ne partage pas Humberto Rodarte, spécialiste de l’environnement à l’Institut technologique de Monterrey : « Le réchauffement climatique accentue l’aridité. Mais les conséquences actuelles de la sécheresse sont plutôt liées à la déforestation et à l’irrigation abusive de zones désertiques pour les rendre cultivables. Le plan gouvernemental arrive tard, alors que les Indiens et les petits agriculteurs sont délaissés, depuis des années, par des politiques publiques qui manquent de planification et ne luttent pas assez contre la corruption. »
En 2011, seuls 40 % des 937 millions de pesos (54,8 millions d’euros) d’aides contre les pénuries d’eau, alloués à 19 Etats, ont été reversés aux producteurs.
Même scepticisme du côté des organisations paysannes : « Le plan du gouvernement ne règle pas les problèmes de fond, déplore Abraham Montes de la CNC. Sans compter que nos demandes concernant la pénurie de graines ou le contrôle des prix ne sont pas satisfaites. »
Mardi, la Caravane de la faim a néanmoins levé son campement au centre de Mexico. Le gouvernement ayant promis de lancer, à partir du 1er février, une nouvelle négociation sur les programmes alimentaires et les aides à la consommation.
« Le temps presse, avertit Alfonso Ramirez Cuellar d’El Barzon. Les prix des aliments de base risquent de flamber. » D’autant que la sécheresse devrait perdurer en 2012, selon la Commission nationale de l’eau. « Les migrations des Indiens vers les villes pourraient alors s’accentuer », s’inquiète Abel Rodriguez, spécialiste des Tarahumaras à l’Ecole d’anthropologie de Chihuahua, qui précise qu’environ 20 000 d’entre eux ont déjà quitté leurs terres ancestrales.
Frédéric Saliba