Le Forum social thématique a été très vivace et a été marqué par la convergence de plusieurs événements. Citons notamment : le Forum Mondial de l’éducation, le 3e Forum des médias libres, le Forum des Autorités Locales de Périphérie à Canoas. Les activités autogérées, entre 600 et 800, ont été diverses et pour certaines très suivies. A titre d’exemple, j’ai participé à une table ronde, avec Marina Silva et Léonardo Boff, qui a réuni plus de mille personnes, sur la Charte de la Terre, issue de Rio en 1992 et finalisée par les mouvements en 2000.
Le séminaire international sur la crise capitaliste et les propositions des mouvements
Le séminaire international « Crise capitaliste, justice sociale et environnementale » a mobilisé entre 700 et 1000 personnes de plus de cinquante pays, d’Amérique latine, d’Europe et du Maghreb-Machrek, avec une faible participation de l’Asie et de l’Afrique. Il a été organisé dans la perspective de la préparation de l’Assemblée des peuples qui aura lieu à Rio en du 15 au 23 Juin 2012 en contrepoint de la rencontre des chefs d’état intitulée Rio+20
Le séminaire international a organisé trois tables rondes qui ont
explicité les trois grandes interrogations : la crise ; l’économie verte ; la démocratie.
• La table-ronde sur la crise a été introduite par Edgardo Lander et sa contribution « une nouvelle période historique »
• La table ronde sur l’économie verte a été introduite par Pablo Solon et sa critique de la conception de l’économie verte formalisée dans le « Draft zéro » qui est le document de référence, dans son état actuel, destiné à préparer la conférence de Rio+20
• La table ronde sur la démocratie a été introduite par Esther Vivas avec la participation des nouveaux mouvements (Maghreb-Machrek, indignés, occupy, étudiants chiliens)
Le séminaire international a organisé 18 groupes thématiques qui décomposent la thématique générale de la crise du capitalisme du point de vue de la justice sociale et environnementale.
Ces groupes sont : Biens communs ; Climat ; Communications et cultures numériques ; Consommation ; Droits ; Développement et diplomatie non-gouvernementale ; Eau ; Education ; Ethique ; Extractivisme ; Finances et économie équitable durable et solidaire ; Gouvernance et architecture du pouvoir ; Jeunesse ; Radiographies et alternatives à l’économie verte ; Santé et sécurité sociale ; Science et technologie ; Territoires et bien vivre ; Villes durables.
Chaque groupe a été préparé par des exposés introductifs des facilitateurs. Un rapport de cinq pages a été rédigé par chaque groupe et sera disponible (Fanny Simon va organiser un blog sur lequel on retrouvera ces rapports). Le rapport comprend un diagnostic et des propositions du point de vue des mouvements ; ces propositions comportent des orientations et des mesures de long terme correspondant à la transition vers une nouvelle société et des propositions de mesures immédiates qui peuvent être portées par les luttes et sont susceptibles de victoires à court terme . Chaque groupe a proposé deux paragraphes de synthèse qui servent au lancement de la rédaction d’un texte de synthèse.
Il était prévu de préparer à partir des groupes thématiques un regroupement des propositions autour de quatre grands thèmes :
• Fondements éthiques et philosophiques (subjectivités, domination et émancipation
• Droits humains (peuples, territoires et défense de la « Mère-Terre »)
• Production, redistribution et consommation (accès à la richesse, bien,s communs et économie de transition)
• Sujets politiques (architecture du pouvoir et démocratie)
Cette étape n’a pas été assurée pendant le séminaire.
La discussion sur l’économie verte
Un groupe de travail sur l’articulation et les stratégies d’action a été animé par Christophe Aguiton et Pablo Solon.
La discussion s’est rapidement centrée sur l’économie verte. Cette notion structure la préparation de Rio+20, la conférence officielle des Nations Unies. L’analyse du document officiel préparatoire des déclarations et décisions de Rio+20 est organisé autour de l’idée que la sortie de la crise, économique et environnementale, repose sur l’économie verte. Cette économie verte ne fait que prolonger les formes dominantes du système mondial actuel. Elle préconise d’aller plus loin dans la primauté du marché mondial et d’étendre la financiarisation de la Nature et la marchandisation du vivant.
Deux propositions ont été étudiées. La première consiste à rédiger un « Draft zéro des peuples » en réponse au Draft zéro des Nations Unies. La seconde consiste à lancer une campagne mondiale contre cette conception de l’économie verte. Le texte de campagne s’intitule « Is the green economy a new Washington consensus ? ». Le mot d’ordre « Non à l’économie verte » a été explicitée de différentes manières : Non à leur économie verte ; Non à l’économie verte des corporate (entendez des multinationales) ; Non à l’économie verte de la financiarisation et de la marchandisation ; Non au capitalisme vert. Il a été décidé de laisser chaque mouvement de préciser la qualification du mot d’ordre en fonction de sa situation.
L’objectif de cette campagne est de montrer les dangers de cette conception de l’économie verte et du cadre institutionnel qui est proposé pour permettre la financiarisation de la Nature et la marchandisation du vivant. Il s’agit donc d’obtenir l’abandon du chapitre 3 sur l’économie verte du document officiel de la Conférence. Cet objectif se réfère aux campagnes contre l’AMI (Accord multilatéral d’investissement préparé par l’OCDE), contre l’OMC qui a culminé à Seattle, et contre l’ALCA (Area de Livre Commercio das Americas) qui a été abandonné.
La discussion sur cette campagne a commencé dans le Forum thématique, notamment dans l’Assemblée des mouvements sociaux . Elle a montré l’importance de la prise de position des mouvements sociaux. Elle a montré aussi l’importance de la stratégie « outside-inside » pour peser sur les gouvernements à partir des mobilisations. Les mouvements brésiliens sont notamment attentifs à leurs négociations avec le gouvernement brésilien. Les syndicats et notamment la CUT ne veulent pas que la condamnation de l’économie verte puisse laisser penser à une indifférence par rapport aux emplois verts. Le MST est sensible à l’unité avec la CUT. Il a néanmoins pris une position ferme sur la mobilisation .
La préparation de Rio+20
Le Sommet des Peuples, du 15 au 23 juin 2012, il devrait se structurer autour d’activités autogérées le matin et d’Assemblée des peuples l’après midi. Les Assemblées des peuples travailleront sur les causes structurelle de la crise ; les fausses solutions ; sur les alternatives portées par les mouvements et la convergence de ces luttes vers un agenda commun. Le 20 juin 2012 sera une journée mondiale d’action.
L’ensemble de ces mobilisations devra aboutir à une déclaration commune, ou Déclaration des peuples, comme proposition alternative au document final de la la conférence officielle.
Fanny Simon a participé à la réunion du Comité de facilitation brésilien. Le travail du Comité se structure aujourd’hui autour de 5 groupes de travail (GT) qui sont :
• GT territoires (aménagement du site avec mise en visibilité des différentes luttes)
• GT Communication (interne et externe, ainsi qu’avec les internationaux)
• GT méthodologie pour l’organisation du Sommet des Peuples
• GT suivi du processus officiel (avec stratégie inside/outside, i.e. comment peser sur la Déclaration finale de la Conférence à partir des mobilisations)
• GT mobilisation.
L’évolution du processus des forums sociaux
Les membres du Conseil international présents à Porto Alegre (une cinquantaine) ont tenu une réunion informelle le 29 janvier. Ils ont discuté du prochain Forum social mondial, à partir d’une lettre de Kamal Lahbib et Hamouda Soubhi , reprenant les discussions dans la commission d’organisation du Forum Maghreb Machrek. La proposition de tenir le prochain forum à Monastir, en Tunisie, au printemps 2013, sous forme d’un « Forum social mondial partagé » avec des prolongements notamment en Egypte et au Maroc, a été explicitée.
Les membres du Conseil International présents ont estimé qu’il était difficile de tenir une réunion du CI à Diyerbakil en mars. Ils ont proposé qu’une délégation significative se rende au Kurdistan en solidarité. La prochaine réunion du CI pourrait avoir lieu en Tunisie en juillet 2012.
La discussion a porté sur l’évolution du processus. Le processus des forums sociaux est dans une situation contradictoire. D’une part, il est conforté par la vigueur des événements associés au processus comme on a pu le voir à Porto Alegre avec le Forum social thématique et les trois autres Forums concomitants. Avec d’autres initiatives prévues aussi comme le Forum Palestine libre prévu le 29 novembre à Porto Alegre ou le Forum sur la paix et le désarmement à Sarajevo. On pourra aussi voir le compte rendu du comité organisateur de l’US Social forum. Il a su aussi servir de cadre à de nouvelles mobilisations internationales, Rio+20 et en mars en France, le FAME (Forum Alternatif Mondial de l’Eau).
D’autre part, le processus des forums sociaux est interpellé par l’évolution de la situation mondiale, le désinvestissement de certains mouvements de départ et l’apparition des nouveaux mouvements qui se sont déployés en dehors du processus .
Sur la situation mondiale, le Forum de Porto Alegre a permis de mettre en avant plusieurs questions. L’analyse de l’évolution de la crise et les propositions alternatives des mouvements ont été explicitées. La relation entre les questions sociale et environnementale a été prise en charge par les mouvements autour notamment de la question des inégalités sociales, de la justice sociale et environnementale . Elle construit une pensée de la transition et de la stratégie d’actions. Deux autres dimensions s’inscrivent dans cette réflexion : la dimension géopolitique et la démocratie. La dimension géopolitique qui ne se réduit pas aux « émergents » mais s’élargit à la nouvelle phase de la décolonisation.
La démocratie comme nouvelle perspective est portée par les nouveaux mouvements . Ces nouveaux mouvements ouvrent un nouveau cycle de luttes et de révolutions. La discussion a commencé avec des participants à ces mouvements : les révolutions arabes, les indignés d’Europe du Sud, les occupy Wall street, London, Montréal, et les mouvements de la jeunesse scolarisée au Chili, en Grande Bretagne, au Sénégal, en Croatie. Des débats ouverts ont eu lieu à Porto Alegre tout au long du séminaire. D’autres avaient déjà eu lieu à paris à la rencontre d’Attac sur Dette et démocratie. Même s’il y a de nombreux liens, il n’en demeure pas moins que ces mouvements ne se sont pas organisés dans le processus des forums sociaux.
Il faut donc travailler à une nouvelle compréhension du monde et des résistances. Je propose une hypothèse, celle d’une nouvelle phase du mouvement altermondialiste. Il y a déjà eu plusieurs phases de ce mouvement : en 1980, dans les pays du Sud contre la dette, l’ajustement structurel, le FMI et la Banque Mondiale ; en 1995, avec les luttes contre la précarité, le chômage et la casse de la protection sociale ; en 2000 avec le processus des forums sociaux mondiaux. Aujourd’hui les nouveaux mouvements marquent une nouvelle phase. Une nouvelle phase n’annule pas les phases précédentes. Chaque nouvelle phase prolonge et renouvelle les formes des phases précédentes. Elle les oblige à se transformer. Le processus des forums sociaux doit se transformer pour contribuer au nouveau cycle de luttes et de révolutions.
Gustave Massiah, 5 février 2012