Marine Le Pen martèle que le FN est « un parti républicain ». Ce 10 décembre, elle a franchi un cap symbolique en appelant à une « révolution » porteuse d’une « nouvelle nuit du 4 août », en référence à la nuit du 4 août 1789 où furent abrogés les privilèges de la noblesse et du clergé. Le lendemain, elle achevait son discours de Metz par un non-coutumier « Vive la République ! Vive la France ! ».
Depuis quelques mois, ce thème républicain a servi à d’aucuns à considérer que le FN serait ainsi « sorti de l’extrême droite », quant d’autres n’ont voulu y voir qu’un « double discours ». En fait, la revendication républicaine et révolutionnaire par le FN s’explique par des raisons historiques, sociologiques et politiques.
La République vue d’extrême droite
La représentation classique que l’on se fait de la conception que l’extrême droite a de la Révolution et de la République est celle de l’Action française (fondée en 1898), haïssant la « gueuse ». Mais, à la fin du XIXe siècle, il y eut une grande politique gouvernementale de « républicanisation » des masses. Avec la Première guerre mondiale, même les anti-dreyfusards acharnés vinrent soutenir « l’Union sacrée » pendant la guerre de 14-18. Ainsi, quand à l’issue des tranchées apparurent bolchevisme puis fascisme, la population française était amplement acquise à la forme républicaine de gouvernement.
Tandis que le fascisme italien et le nazisme exécraient la Révolution française, les fascistes français au contraire rattachèrent le fascisme à la poursuite de la Révolution. A l’instar de Georges Valois qui considère que les Jacobins furent une matrice du fascisme et que le prolétariat fasciste retrouve le sens de la République naissante qu’aurait trahie l’oligarchie. C’est encore Marcel Déat qui affirme que les soldats de l’An II étaient les pionniers de l’État totalitaire et de la Waffen SS française. Il y a donc des raisons idéologiques… et une réalité avec laquelle il faut faire.
En 1944, le dernier projet de constitution du maréchal Pétain (tâche qui était incluse dans le mandat délivré en 1940) revenait aux termes et à la forme (suffrage universel) de la République, signe que lui-même reconnaissait la défaite idéologique du logiciel contre-révolutionnaire. On a donc une configuration française très spécifique avec un référent républicain devenu indéboulonnable. C’est dans ce contexte culturel particulier qu’évolue l’extrême droite française.
La stratégie républicaniste
Dans les années 1970, le pendant technocratique de la Nouvelle droite, le Club de l’Horloge (Bruno Mégret, Jean-Yves Le Gallou, etc., alors cadres des partis de la droite parlementaire), a su réinscrire le discours « républicain » dans son idéologie radicale. Dès cette époque, ils récupèrent le symbole de Marianne et s’affirment comme « les Nouveaux Républicains ». Après l’alternance de 1981, ils cherchent à délégitimer la gauche par les deux références historiques majeures : la Révolution et la Résistance. En 1982, lorsque Bruno Mégret fonde des Comités d’Action Républicaine, ils organisent un séminaire pour les élus de droite. Ils y affirment que « la ’bataille des mots’ devient prioritaire... Les mots sont une arme essentielle dans le combat politique. Il faut les manier avec précaution et ne pas les retourner contre soi ». En particulier, ils exposent qu’il faut utiliser le vocabulaire de la gauche pour « permettre de minorer l’adversaire sur le plan du langage », soit principalement « un langage enraciné dans la tradition républicaine », citant Danton ou Robespierre, car cela permet de « toucher le cœur des Français ».
Cette stratégie d’intégration au référent républicain afin de le subvertir a été suivie avec constance par les Horlogers quand, dans les années 1990, les membres issus de la Nouvelle droite mettent la main sur l’appareil du Front National. On voit se faire conjointement des références à la Révolution et à la Résistance. Les mégretistes ont parfaitement compris ces enjeux symboliques.
La conversion légaliste
Enfin, il y a un dernier élément qu’il ne faut pas mésestimer : l’aspect générationnel. Marine Le Pen et ses amis n’ont pas connu de guerre, ils rentrent en politique quand le communisme est mort, et dans une démocratie apaisée où l’alternance est une réalité Il y a là des individus qui ne sont pas dans le « faire-semblant », mais qui relèvent d’une droite populiste et autoritaire intégrée à une hégémonie culturelle de la République.
N’en demeure pas moins que cette République est a minima, un système avant tout. Les frontistes ont en cela le même raisonnement que Luc Ferry déclarant l’an passé : « Marine Le Pen, elle est républicaine, elle est démocrate, elle est pour les élections ». Ramener la République à son seul système institutionnel revient à la réduire à l’ordre. En la privant de ses valeurs, de sa vision du monde, de ses concepts, comme le faisait l’agrégé de philosophie, il est certain que le légalisme vaut brevet de républicanisme.
Lorsque Louis Aliot, numéro deux du FN et spécialiste de Droit constitutionnel, définit le FN comme « un parti républicain au sens de l’article 4 de la constitution », son propos est à la fois de cet ordre et justifié. Cet article stipule que les partis doivent respecter « les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Rien dans les propos de Marine Le Pen ne permet de considérer que son parti y déroge. En cela, il y a bien rupture avec nombre d’anciens cadres du FN.
Il n’y a donc ni contradiction ni double discours dans le fait qu’un parti d’extrême droite puisse se revendiquer de la République. Il revient à la responsabilité de chaque citoyen de déterminer si les valeurs de la Révolution et de la République se limitent au respect de l’ordre.
Hors de l’extrême droite, cette stratégie de références a démontré son efficacité. En 2007, François Bayrou a su se déployer bien au-delà de l’électorat démocrate-chrétien en se présentant comme le candidat du « Tiers État ». A droite, Jean-François Copé a pris la manie de dénoncer « une ambiance malsaine de nuit du 4 août », témoignant d’une incompréhension de la culture politique de la société française. Marine Le Pen occupe donc d’autant plus naturellement l’espace...
Avec les références à la Révolution et à la République, Marine Le Pen éveille les images bienheureuses de l’unité nationale, de la souveraineté populaire, de la fonction sociale de l’État, de la liberté individuelle conquise, et satisfait la passion égalitaire des Français. Il revient à la responsabilité des autres partis politiques de savoir s’ils la lui laissent.
Nicolas Lebourg - Chercheur et spécialiste de l’extrême droite pour Le Nouvel Observateur
(Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés Méditerranéennes – Université de Perpignan-Via Domitia)