« Je crois au travail et je crois à la famille », déclarait Nicolas Sarkozy le 6 janvier à Cholet. Son discours sur la politique familiale prononcé dans le Tarn, le 7 février, se conclut ainsi : « Nous devons aimer la famille, nous devons défendre la famille, nous devons préserver la famille, car elle est le socle de la société française, de notre identité nationale. Elle est l’avenir, elle est sans doute le plus bel atout que nous ont laissé nos parents et ceux qui nous ont précédés. » Depuis Pétain, a-t-on connu des discours d’un chef d’État français plus vigoureux en faveur de la famille ?
Le 7 février, il s’agissait de contrer François Hollande qui s’était prononcé pour la suppression du quotient familial. Aucune autre proposition dans ce discours de Sarkozy, qui confirme ainsi sans vergogne sa politique en faveur des plus riches. Quant à François Hollande, il a renoncé à cette proposition face aux rodomontades de l’UMP. Il se contente de « maintenir toutes les ressources affectées à la politique familiale sauf l’allocation de rentrée scolaire augmentée de 25 % et à rendre le quotient familial plus juste en baissant le plafond pour les ménages les plus aisés, ce qui concernera moins de 5 % des foyers fiscaux. » Ce n’est pas grand-chose pour faire face aux besoins sociaux !
LA POLITIQUE FAMILIALE DANS L’HISTOIRE
Dès la fin du XIXe siècle, les encycliques papales exhortent à la mise en œuvre d’une politique familiale. Les femmes doivent être cantonnées aux tâches ménagères et donner naissance à des enfants. Cependant la bourgeoisie était malthusienne (pour la restriction du nombre des naissances) et fort peu à l’écoute de l’Église antirépublicaine. Les feuilles féministes de l’époque évoquent la question du « pouvoir d’achat » pour élever correctement ses enfants mais aussi la lutte antimilitariste et guerrière qui s’est développée d’année en année dès le début du siècle passé : pas d’enfant pour la guerre ! Le mouvement ouvrier y était également hostile pour des raisons idéologiques.
Petit à petit, la bourgeoisie se rapproche des conceptions natalistes des catholiques sociaux, à la fois pour des raisons stratégiques, avoir de la chair à canons, et des raisons économiques et idéologiques : la famille « cellule de base de la société ».
Après la guerre de 14-18, un supplément familial est ajouté au salaire dans des administrations publiques (les contributions indirectes, l’administration centrale des finances et des colonies, aux militaires de carrière, instituteurs et postiers). Les patrons « sociaux et chrétiens » adhèrent à cette conception patriarcale du salaire jusqu’à préconiser un salaire familial, « un ouvrier devrait être payé non d’après l’ouvrage qu’il a fait, mais selon ses charges et besoins, s’il a une femme et des enfants, il serait rétribué deux ou trois fois plus que le célibataire ». Mais ce sont principalement des raisons économiques qui expliquent le paternalisme patronal. Il faut encourager la natalité pour lutter contre la raréfaction de la main-d’œuvre et attacher à l’entreprise « des hommes fidèles ». Il faut aussi modérer les salaires et « tenir » en main la classe ouvrière, moraliser et contrôler la main-d’œuvre. Ce salaire familial renchérissant les coûts au profit de la concurrence qui n’embauche que des célibataires suscite des débats. Une initiative patronale crée la première caisse d’allocations familiales, « une caisse de compensation ». En 1932, l’adhésion des entreprises industrielles et commerciales à une caisse de compensation devient obligatoire. En 1939, le code de la famille uniformise les taux et institue une prime pour tous les Français à la naissance du premier enfant, si elle survient dans les deux ans du mariage.
En 1940, le gouvernement de Vichy interdit l’embauche de femmes mariées dans les services de l’État et des collectivités locales. En 1941, la Charte du travail amplifie la politique nataliste. L’Allocation de salaire unique est versée aux mères de famille qui restent au foyer pour élever leurs enfants.
En 1945, sont créées les Caisses d’allocations familiales chargées du paiement des allocations et aussi des prestations familiales. En 1949, une loi assure l’autonomie des CAF dans le cadre de la Sécurité sociale. Le quotient familial est mis en place.
Dans les années 1950, les prestations familiales à vocation nataliste se développent. La fin des années 1960 marque un tournant : en 1965, les femmes peuvent gérer leurs biens propres (ouvrir un compte bancaire) et exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari ; en 1967, les contraceptifs sont en vente libre ; en 1970, une loi met fin à la puissance paternelle en reconnaissant l’autorité parentale ; en 1975, la loi Veil dépénalise l’IVG, la loi sur le divorce introduit le consentement mutuel, la fin de la prééminence du nom du mari et de son choix pour la résidence de la famille.
Les préoccupations démographiques réapparaissant dans les années 1980 avec le développement de nouvelles allocations (pour jeunes enfants, l’allocation parentale d’éducation). Cependant le montant global des allocations diminue, comparé au Smic, les allocations familiales ont en 30 ans perdu les deux tiers de leur valeur.
La cotisation familiale « patronale » est progressivement portée de 12 % du salaire brut sous plafond en 1946 à 16,75 % en 1951. À partir de 1959, elle diminue à 14,25 % pour atteindre 5,4 % de la totalité du salaire à ce jour. En 1948, la branche famille représentait la moitié des dépenses de Sécurité sociale. Elle n’est plus qu’à 17 % en 2010.
ÉTAT DES LIEUX
La politique familiale en France est prise en charge par plusieurs acteurs.
• La branche famille de la Sécurité sociale (les caisses d’allocations familiales), verse aux familles résidant en France des allocations [1] et prestations familiales à partir de deux enfants à charge, âgés de moins de 20 ans. Sous condition de ressources, elles attribuent des aides dites d’action sociale (bons vacances, aides ménagères, subventions à des crèches, centres de loisir...) et versent, pour le compte de l’État et des départements, des prestations sociales qui ne sont pas réservées aux seules familles avec enfants (aide personnalisée au logement, revenus de solidarité active).
• Le fisc accorde des allègements pour « charge de famille » sur l’impôt sur le revenu dans le cadre du quotient familial et secondairement des abattements et exonérations sur la taxe d’habitation. Des crédits d’impôt sont aussi accordés pour des frais de garde d’enfant, de scolarité...
• Les caisses de retraite (Sécu et complémentaires) accordent aux femmes du secteur privé qui élèvent un ou plusieurs enfants une majoration de leur durée de cotisation, et pour les fonctionnaires une validation des périodes d’interruption ou de réduction d’activité.
• La fiscalité permet des réductions d’impôts variables selon la composition de la famille. Les communes et départements financent l’accès à divers services (maternités, crèches), à l’aide sociale à l’enfance, à la protection maternelle et infantile, à une partie de l’aide aux familles.
• Des aides publiques directes sont versées aux familles : supplément familial aux fonctionnaires variable selon le traitement et le nombre d’enfants, bourses d’enseignement sous condition de ressources.
Note 1. Onze allocations : allocations familiales, prime à la naissance ou à l’adoption, allocation d’accueil du jeune enfant, complément familial, allocation de logement familiale et sociale, allocation d’éducation de l’enfant handicapé, allocation de soutien familial, allocation de rentrée scolaire, allocation de libre choix d’activité, allocation de libre choix de mode de garde, allocation journalière de présence parentale.
SUPPRESSION DU QUOTIENT FAMILIAL !
Cette disposition fiscale permet de réduire les impôts sur le revenu en fonction du nombre d’enfants à charge. Le revenu imposable d’un foyer est divisé par un nombre de parts fiscales, qui dépend du nombre de personnes composant le foyer. Ainsi, les adultes comptent pour une part chacun, les deux premiers enfants, pour une demi-part et les suivants pour une part chacun. Le quotient familial ne doit pas être confondu avec le système de quotient utilisé pour le paiement des services (loisirs, cantines) par les mairies qui tiennent compte des revenus des familles.
Le quotient familial est inégalitaire et injuste, car il rapporte plus aux foyers les plus riches.
Un rapport officiel du Conseil des prélèvements obligatoires (mai 2011) reconnaît que « cet avantage est fortement concentré au bénéfice des ménages disposant des revenus les plus élevés malgré le plafonnement du montant de réduction d’impôts auquel donne droit le quotient ».
Il ne concerne pas les familles les plus pauvres. Il ne bénéficie qu’à ceux qui paient l’impôt sur le revenu ou à ceux qui deviennent non imposables grâce à lui.
Ainsi, les 10 % de foyers avec les plus hauts revenus se partagent 46 % du total de la réduction d’impôt liée au quotient familial (soit 6,4 milliards d’euros en 2009) tandis que les 50 % les plus pauvres se partagent seulement 10 % de la somme (c’est-à-dire moins de 1,4 milliard).
Malgré le plafond introduit en 1982 par la gauche, les inégalités sont énormes puisque la réduction moyenne d’impôt par enfant approche de 300 euros par mois pour un enfant dont les parents appartiennent au groupe du 1 % des revenus les plus élevés, alors qu’elle se situe à 35 euros pour les ménages aux revenus médians, et à seulement 3 euros pour les moins aisés, puisque la plupart ne paient pas d’impôt sur le revenu.
Cette disposition fiscale ne réduit pas les inégalités mais les aggravent, puisque la redistribution se fait vers les plus riches. Il faut donc la supprimer.
NON AUX PRESTATIONS SOCIALES SOUS CONDITION DE RESSOURCES !
Un quart des prestations familiales est versé sous conditions de ressources. Le Medef y est favorable. M. Aubry et L. Jospin en 1997 avaient étendu cette disposition aux allocations familiales. Le tollé provoqué, notamment par les associations familiales, avait abouti au retrait de la mesure neuf mois après la mise en place.
Quelle limite fixer ? Le plafond pour bénéficier des prestations baissera chaque fois qu’il « faudra réaliser des économies ». C’est prendre le risque de réduire les prestations sociales à la portion congrue. Certains à droite et au PS préconisent une modulation de l’âge du départ à la retraite, selon les métiers. Le Medef préconise le relèvement modulé de l’âge de la retraite.
Exclure des personnes du bénéfice des prestations sociales, c’est les orienter vers les assurances privées. C’est ouvrir la voie aux critères de ressources pour l’ensemble de la Sécurité sociale et ouvrir la porte à la transformation de la Sécurité sociale obligatoire, solidaire et universelle en un système de simple assistance aux plus démunis, le seul recours pour les autres devenant l’assurance privée. Les inégalités ne se combattent pas par l’élimination de bénéficiaires mais par une politique de justice fiscale. La Sécurité sociale est universelle depuis 1945, elle doit le rester !
LES « ALLOC » EN PÉRIL !
La TVA antisociale va assécher les ressources de la branche famille de la Sécu. Elle est censée se substituer aux cotisations sociales. Il n’y a déjà plus de cotisations famille (elles sont uniquement « patronales ») sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic soit 2 337,39 euros. Les patrons seraient exonérés totalement jusqu’à 2,1 Smic et de façon dégressive entre 2,1 et 2,4 Smic (3 356,09 euros). Mais l’État percevra son montant à la place de la Sécu et le gouvernement pourra ainsi affecter les sommes recouvrées à de toutes autres dépenses, au détriment des allocations familiales.
Plusieurs rapports officiels [2] affichent la nécessité de changer les objectifs de la politique familiale. Il faudrait prendre en compte les besoins des autres branches de la Sécu et renforcer la lutte contre la pauvreté dans l’évolution de la politique familiale. Autrement dit rogner le budget des CAF et mener une politique d’assistance aux plus pauvres au détriment des droits à la Sécu pour tous et toutes.
Note 2. Par exemple Rapport du Conseil de modernisation des politiques publiques.
LES PROPOSITIONS DU NPA
• Des services publics
La cellule familiale hétérosexuelle est fondée sur l’exploitation du travail domestique gratuit des femmes. En effet, ce sont elles qui prennent essentiellement en charge l’entretien, l’alimentation, le soin des enfants, des malades, et des personnes âgées. Du coup, ce sont les femmes qui subissent en premier lieu les conséquences de la remise en cause des services publics (cantines, crèches, maisons de retraites, hôpital, etc.). Au contraire, nous voulons de véritables services publics gratuits de la santé, de l’éducation, des personnes âgées, de l’enfance (création de places en crèche à hauteur des besoins, accès à la maternelle dès 2 ans pour tous les enfants, centres de loisirs gratuits...), pour que les femmes n’aient pas à assumer ces tâches dans le cadre du travail domestique non rémunéré, et puissent s’en émanciper. La suppression du quotient familial permettrait d’apporter des ressources pour le financement de ces services publics.
• Un financement socialisé
Les allocations familiales doivent continuer à être financées par les cotisations sociales, par le salaire socialisé. La fiscalisation de son financement en exonère les patrons. Les allocations familiales étaient appelées présalaire. Ce présalaire doit permettre aux pères et aux mères de subvenir aux besoins des enfants, de bénéficier de congés parentaux… Ce salaire socialisé devrait être étendu pendant toute la formation des jeunes : un présalaire d’autonomie jusqu’au premier emploi. La retraite doit aussi être intégralement financée par les cotisations sociales : un salaire continué. Bref, nous voulons un salaire durant toute la vie !
• Des mesures d’urgence !
– Versement de l’allocation familiale dès le premier enfant pour toutes les mères (ou pères), afin de compenser effectivement les charges financières liées à l’entretien des enfants. Cette allocation doit être revalorisée.
– Augmentation de toutes les allocations (aux handicapés, allocation de parent isolé, RMI et RSA au niveau du Smic revendiqué (1600 euros net).
– Création d’un service public du logement et revalorisation des allocations logement afin que le loyer ne dépasse pas 20 % des revenus.