Depuis des mois les services de renseignements généraux de la préfecture prévenaient que « ça allait bouger », sans que le préfet ne prenne aucune mesure pour permettre au mécontentement populaire de s’exprimer démocratiquement et chercher ensemble des réponses à la crise qui ébranle la société réunionnaise toute entière.
Près du quart de la population active est sans emploi au sens du Bureau international du travail. Sur 324 000 personnes en âge de travailler (population active), le taux d’emploi des 15-64 ans est de 44 % et le taux de temps partiel de 20 %.
Contre la vie chère
Les événements qui ont secoué l’île ont débuté le 11 février par un mouvement des transporteurs routiers, dont le syndicat exigeait une baisse de 25 centimes du prix des carburants. Le mardi suivant, ils bloquaient les ronds-points stratégiques de l’île avec le soutien des usagers. Mais le soir, le ton montait, les gens commençant à se demander s’ils bénéficieraient aussi d’une baisse des prix des carburants… puis il se sont mis à poser la question de la formation des prix, dénonçant la vie chère et les bas salaires, le chômage des jeunes, la précarité. Ça chauffait sur les ondes des radios libres comme Freedom ! Le lendemain, le préfet envoyait les flics pour verbaliser les transporteurs. Certains ont pris peur et levé le barrage, provoquant le mécontentement de la population qui espérait que ce mouvement permettrait d’exprimer sa déception quant aux promesses non tenues de l’État après les mobilisations du Collectif des organisations syndicales et politiques de La Réunion (Cospar), en 20091, et leur colère contre les politiciens !
Du coup, le jeudi, des gens du quartier se sont donné rendez-vous par radio interposée devant les mairies, en fin de journée, pour en discuter de vive voix, formant de rassemblement de 20 à 300 personnes, selon les régions. Le lundi 20 février, les transporteurs décidaient de s’en prendre directement aux entrepôts de la Société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) sur le port, afin d’empêcher toute sortie de carburant, notamment de kérosène pour les avions… bref d’asphyxier la vie économique de l’île ! Ils promettaient d’élargir leur revendication sur le prix des carburants et du gaz à tout le monde, et de mettre sur la table la question de la vie chère. Le préfet a alors proposé une table ronde, considérant qu’« il est temps de siffler la fin de la récréation », ce qui a été vécu comme une provocation [1].
Mardi matin, le préfet a envoyé ses flics, mais les gens, alertés par les radios libres, ont empêché physiquement les transporteurs de lever le camp… Même le jeune maire de Saint-Leu, Thierry Robert (Modem) est venu avec son écharpe et s’est allongé sur la route pour protester contre leur intervention. Devant la tension qui montait, le préfet a cherché à gagner du temps en proposant un rendez-vous pour le vendredi – ce qui lui a permis de faire venir deux escadrons de Mayotte et 250 gardes mobiles de France métropolitaine.
Les émeutes ont commencé dès le mercredi soir. Ce sont les jeunes chômeurs, les jeunes souvent sans formation et sans avenir (les « cagnards ») profitant du désarroi et de la frustration, qui sont allés à l’affrontement avec l’État français, d’abord dans un quartier, puis l’autre, d’une ville à l’autre, sans coordination. Ces affrontements ne cesseront plus pendant trois jours.
Le jour des négociations, des centaines de badauds attendaient devant les grilles de la préfecture. Ils ont très fraîchement accueilli les représentants des transporteurs et celui de l’Association de défense des pauvres et des précaires (proche du Parti communiste réunionnais) après avoir appris qu’ils avaient accepté une baisse de 8 centimes pour tous du carburant, de 6 euros sur le prix de la bouteille de gaz, la promesse de geler 40 produits de première nécessité, et l’ouverture d’un site de stockage permettant d’ouvrir la concurrence à la SRPP.
Le vendredi soir, Saint-Pierre brûlait et samedi soir, c’était au tour de la ville Le Tampon de connaître l’état de siège.
Correspondant