Seule la viande labellisée halal ou casher ferait l’objet d’une redevance
Certains députés, comme Lionnel Luca (UMP, Alpes-Maritimes), l’affirment haut et fort, « les citoyens financent des communautés religieuses à leur insu ». Pour mettre fin à « ce problème de laïcité », il a récemment signé, avec une quarantaine de parlementaires, une proposition de loi demandant l’étiquetage obligatoire de la viande abattue rituellement.
Ce soupçon, récurrent, est réapparu lors de la polémique sur la présence de viande abattue rituellement dans le circuit de distribution conventionnel. Il est formellement repoussé par les responsables religieux juifs et musulmans.
« C’est un mythe, affirme le grand rabbin Bruno Fizson, spécialiste de la question au grand rabbinat de France. La redevance sur la viande casher dans le circuit classique, c’est totalement faux. Elle est payée par le consommateur des produits casher et seulement prélevée sur la viande étiquetée casher. » Même dénégation de la part du président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohammed Moussaoui : « La redevance est perçue sur la viande certifiée halal. »
Des spécialistes du sujet rejettent aussi l’idée que la viande halal ou casher vendue sans être labellisée comme telle dans le commerce subisse une répercussion du surcoût provoqué par cette procédure spécifique. L’abattage rituel suppose de payer des sacrificateurs et des contrôleurs.
« LOGIQUE COMMERCIALE »
« Quand on achète une viande abattue rituellement mais non labellisée halal ou casher, on ne paye pas un surcoût », affirme Florence Bergeaud-Blackler, chercheuse spécialiste de l’abattage rituel. Au ministère de l’agriculture, on partage cette analyse : « La taxe perçue pour une prestation de service du sacrificateur et/ou du contrôleur l’est seulement sur la viande étiquetée casher ou halal. L’opérateur qui revend la viande n’a aucun intérêt à payer une redevance à l’organisme de certification sur des volumes qui n’iront pas sur le marché rituel. On est dans une pratique et une logique commerciales. »
Pour le casher, le surcoût est évalué entre 1,50 et 2 euros par kilo. Côté halal, la redevance demandée par les organismes de contrôle varie de 2 à 10 centimes d’euro par kilo, mais il est difficile d’en connaître la répercussion sur le prix d’achat. « Pour le halal, la vente de »cartes de sacrificateur« rapporte des revenus aux trois mosquées agréées (Paris, Evry, Lyon), de l’ordre de quelques milliers d’euros par an », selon la chercheuse.
Les contrôleurs, eux, sont payés directement par les entreprises contrôlées ou salariés par des organismes de certification, plus ou moins reconnus. « La majorité des organismes de contrôle ne rémunère que le travail de contrôle et ne verse rien au culte musulman. Seuls les plus importants versent une redevance mensuelle à des activités religieuses. Leur montant n’est pas connu », explique encore la chercheuse.
Stéphanie Le Bars
* LeMonde.fr. | 10.03.12 | 14h56 • Mis à jour le 11.03.12 | 07h48.
Le halal à la cantine, un fantasme loin de la réalité
La candidate du Front national, Marine Le Pen, en parle comme d’une évidence qu’il faudrait éradiquer : « Je veux interdire le halal dans les cantines scolaires », a-t-elle assuré à Strasbourg, le 12 février. Le ministre de l’intérieur, Claude Guéant, l’évoque comme une menace. Le 2 mars, il a justifié son opposition au vote des étrangers lors des élections municipales par cette inquiétude : « Nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent obligatoire la présence de nourriture halal dans les repas des cantines. »
A Bordeaux, le 3 mars, Nicolas Sarkozy s’est emparé à son tour de cette préoccupation récurrente chez certains élus : « Les cantines scolaires sont tenues au principe de la laïcité ; je m’opposerai à toute évolution allant dans un sens contraire. » Plus discrètement, François Hollande, lors d’un colloque organisé sur la laïcité par les députés socialistes, à l’Assemblée nationale, le 6 décembre 2011, avait déclaré : « Nos cantines doivent rester des lieux de partage où des menus différents ne servent pas à créer des tables séparées. » Ces propos se nourrissent tout à la fois d’une réalité, d’un fantasme et d’une méconnaissance des textes en vigueur.
Tous les observateurs reconnaîssent qu’il existe une hausse des demandes de menus spécifiques dans les établissements scolaires depuis une dizaine d’années. Globalement, la demande est passée, en un peu plus de trente ans, du « sans porc » au « sans viande », puis plus récemment au « halal ». Ces nouvelles revendications émanent des parents de confession musulmane. « Les modérés demandent que leurs enfants ne mangent pas de viande ; les ultras, qu’ils mangent halal », disent les acteurs de terrain.
La problématique se pose moins pour la communauté juive et les repas casher, notamment parce que 30 % des enfants juifs - issus des familles les plus pratiquantes - sont scolarisés dans les établissements confessionnels.
La proposition d’introduire du halal dans les cantines peut aussi être le fait de professionnels de ce secteur, désireux de s’implanter sur de nouveaux marchés auprès des collectivités locales, responsables des cantines scolaires. Pourtant, qu’il s’agisse du Haut Conseil à l’intégration (HCI) - un organisme rattaché au premier ministre et très sourcilleux sur les questions de laïcité -, de spécialistes du fait musulman ou d’acteurs de terrain, tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il n’y a pas « à l’heure actuelle » de viande halal dans les cantines scolaires en France. « A ma connaissance, du halal dans les cantines, cela n’existe pas, assure Alain Le Bars, directeur d’un syndicat intercommunal pour la restauration collective en Seine-Saint-Denis. La demande existe mais des solutions alternatives sont proposées : menus à base de poisson ou végétariens. »
L’association Ville et banlieue, qui regroupe 120 maires, reconnaît que cette question n’a même pas été abordée lors des propositions récentes de l’association sur la laïcité. « Les communes concernées ne rentrent pas dans les questions religieuses mais veillent à la diversité de l’offre de repas pour l’équilibre nutritionnel des enfants », indique-t-on à l’association. Sur le terrain, certains responsables s’opposent au halal au nom de la laïcité, d’autres mettent en avant des problèmes d’organisation, de surcoût, ou la crainte de devoir mettre en place des « fichiers ethniques ».
« Au-delà du halal, les parents musulmans demandent surtout que l’on n’oblige pas leurs enfants à manger de la viande non halal le midi », affirme Dounia Bouzar, spécialiste de l’islam. C’est aussi ce qu’a expliqué le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohammed Moussaoui, à François Hollande, qu’il a rencontré le 7 mars. « Je lui ai rappelé qu’il n’y avait pas de halal dans les cantines ; je mets quiconque au défi de démontrer le contraire. Les parents demandent surtout une alternative aux plats de viande », nous déclare-t-il.
« Les rares communes qui ont tenté l’expérience du halal l’ont rapidement abandonnée, notamment parce que cette pratique entraînait une »segmentation« des élèves et l’apparition de »tables musulmanes« », souligne aussi Mme Bouzar. Par endroits, les menus « porc » et « sans porc » nourrissent aussi « une caractérisation des enfants », relève de son côté l’association Ville et banlieue.
Sensible, ce sujet a régulièrement fait l’objet de circulaires. Proposer des repas halal dans les cantines scolaires ne contredit pas la réglementation en vigueur. Mais cela relève de l’appréciation des acteurs de terrain, possible source de tensions et de contentieux.
A la suite des récents débats sur la laïcité et l’islam, le ministère de l’intérieur a publié une circulaire de rappel en août 2011, reprise dans le recueil de textes consacrés à la laïcité et à la liberté religieuse sorti en octobre 2011.
Il y est d’abord indiqué que « la cantine scolaire est un service public facultatif » et que « le fait de prévoir des menus en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usagers ni une obligation pour les collectivités ». « Il appartient à chaque organe délibérant compétent (conseil municipal pour le primaire, conseil général pour les collèges, conseil régional pour les lycées) de poser des règles en la matière. »
Mais, précise le même texte, « les termes de la loi autoriseront les collectivités locales à pratiquer des prix différents en fonction de la prestation servie (repas bio, repas spécifiques pour les régimes particuliers, etc.), régimes conformes aux exigences des différents cultes compris ».
Comme souvent sur ces questions, la ville de Strasbourg - où les demandes religieuses sont prises en compte de manière différente du fait du Concordat - se démarque du reste de la France. Ainsi, depuis dix ans, les cantines des écoles proposent le choix entre un menu standard, avec ou sans porc, (3,28 euros), un menu halal (3,97 euros) et un menu végétarien (3,15 euros). Les repas halal concernent 20 % des 7 600 élèves servis chaque jour.
Au niveau national, ce sujet devrait connaître dans les années à venir de nouveaux développements. Reste à savoir si les réponses seront pragmatiques, réglementaires ou législatives.
Stéphanie Le Bars
* Article paru dans le Mondfe, édition du 11.03.12. | 10.03.12 | 14h56.